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18/07/2014

Les lisières

Roman en forme d’autofiction ou autofiction qui fait semblant d’être un roman ?

Assurément le lien entre réalité et fiction est ténu dans cette oeuvre d’Olivier Adam. Quand s’ouvre le récit, Paul Steiner,   le narrateur, traverse une passe difficile. Il refuse d’admettre que la séparation imposée  par son épouse est irrémédiable. Bien qu’il ait déménagé dans la même rue de sa cité bretonne, il souffre du manque de ses enfants au quotidien.  Mais la remise en question n’est guère profonde : il sait être et avoir toujours été un être tourmenté,   et jusqu’alors, sa famille fonctionnait. La lassitude de Sarah ne peut être que temporaire, il  se persuade que la désagrégation de son couple ne peut être qu’une étape provisoire. 

Quand son frère aîné lui demande de le relayer auprès de leurs parents vieillissants, il prend cette requête pour une corvée malencontreuse de plus. Paul a quitté depuis longtemps la banlieue  parisienne où il a vécu son adolescence, tout comme son frère. Cependant François, l’aîné, bénéficie de la posture du « bon fils », tandis que le départ de Paul ressemble plus à une fuite impliquant l’abandon d’une famille et d’un passé où il étouffait.

Très  rapidement en effet, les rapports entre Paul et son père prennent un tour d’agressivité mal maîtrisée.  Malgré son égocentrisme, Paul réalise que l’état de santé de sa mère est réellement préoccupant. Le déni paternel représente un autre sujet d’inquiétude. Le dialogue entre les deux hommes devient difficile, tant les blessures  d’ego sont vives. Le père s’est senti renié par le succès du fils, celui-ci n’a d’autres réponses que la fuite à la recherche des anciens camarades. Ce qui lui permet de constater combien il est loin de leur mode de vie et de  leurs problèmes sociaux économiques irrésolubles.

À travers ce qui ressemble à une très longue logorrhée  nombriliste, olivier Adam parvient à poser des état de faits assez pertinents : le marasme des banlieues, l’engluement du couple, le désastre du vieillissement  de la population. Trois piliers de ce roman qui nourrissent largement le sentiment de déprime du narrateur …Et du lecteur. 

Sans nier les qualités de narration, je confesse avoir éprouvé quelques fatigues à la lecture.  Je l’ai dit, tous les problèmes abordés évoquent des faits qui sonnent  justes,   d’autant que nous y sommes (ou serons)   confrontés. Mais le ton du roman, l’angle de vue adopté par le narrateur, double distancié  de l’auteur, me ramène à ce que je perçois comme un travers bavard anti-littéraire, même s’il relève d’une pratique courante dans la sphère germanopratine.  Olivier Adam ne tente d’ailleurs même pas de disculper son personnage. Il tient le  filtre du nombrilisme pour éclairage significatif, ce qui n’est pas  entièrement faux d’un point de vue existentiel.  Je veux bien concéder qu’il s’agit ici de ma propre fatigue face à cette manière de grever nos relations affectives. Mais à vouloir tout dire, même en 450 pages, Olivier Adam a provoqué en moi un besoin irrépressible d’aller respirer ailleurs… Un livre intéressant, mais pas incontournable. 

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 Les lisières

Olivier Adam

Flammarion  Août 2012

ISBN :978-2-0812-8374-9

 

13/07/2014

L'Arc en ciel blanc

Ce recueil remarquable comporte quatre récits écrits entre 1953 et 1964. Ce sont de longues nouvelles à l’écriture sobre et efficace, et qui ont en commun le poids de l’inexorable qui pèse sur la destinée.

L’arc-en-ciel blanc, qui donne son nom au recueil, est la plus ancienne de ces nouvelles. Il y règne une atmosphère particulière, à la limite du fantastique.  Toshisuke a épousé Ayako, beaucoup plus jeune que lui. Immédiatement, il a compris que sa femme  n’était pas prête à accepter les relations conjugales. «  Leurs corps ne se touchaient pas beaucoup plus. Pour sa part, il n’essayait jamais d’aller vers elle.

Cette relation bizarre était liée à sa réaction lors de la première nuit…Ce soir-là, à l’instant où son mari l’avait touchée, Ayako n’avait pas caché sa violente aversion. » 

Toutefois, depuis quelque temps, Toshisuke observe que le comportement d’Ayako se modifie. La nuit, elle semble vivre un rêve éveillé, prétend entendre sa mère décédée, puis elle semble malade. Toshisuke s’inquiète, et l’on pressent sa tendresse à l’égard de sa jeune  femme. «  Il pensa qu’il venait de goûter pour la première fois depuis leur mariage un sentiment de couple. » Peu après, la jeune femme en vient à avouer le viol dont elle a été victime peu de temps avant leur mariage. Difficile moment pour un couple que celui où cet aveu se révèle lourd de conséquences. Mais Toshisuke assume cette paternité honteuse :

«  L’acte impulsif d’un homme (…)…Voici ce qui était à l’origine de tout. De plus, le corps de sa femme n’avait gardé que les conséquences de l’acte de cet homme. L’existence de Toshisuke en tant qu’époux n’avait pas de prise sur ce corps.

Le bébé s’imposait majestueusement dans le couple. Il tétait le sein d’Ayako, Toshisuke le changeait.

Toshisuke chaque soir glissait la bouillotte dans le lit du bébé. Et lui, avec ses jambes toujours glacées, avait le plus grand mal à s’endormir. » (Page 28)

Puis on apprend la mort accidentelle du Bébé. Un procès a lieu dont Ayako est acquittée. Mais le couple sortira-il de cette épreuve ?

 

Un été en vêtements de deuil (1958) nous entraîne à la suite de l’orphelin Kiyoshi dans le jardin de la maison où sa grand-mère l’héberge. Outre les poules et la domestique de l’aiëule, nous découvrons également  sa petite compagne Tokiko  et sa mère hébergées dans une resserre à l’écart de la grande maison. Un mystère plane sur les relations de tout ce petit monde, mais il est évident que tous dépendent de cette grand –mère immobile. Une nuit, Kiyoshi est réveillé par des bruits bizarres. Dominant sa peur, le garçonnet  explore l ’immense couloir  et découvre une trappe menant à une cache… Grand-mère est-elle si malade ? Son père est-il vraiment mort ?  

Le troisième récit, étoiles et funérailles (1960) met en scène Jirô, le garçon qui aime beaucoup les enterrements. Jirô est un peu simple d’esprit, mais nous comprenons pourquoi il n’en manque aucun, et se montre tellement scrupuleux sur le déroulement du rituel. On pourrait même le croire très malin, ce Jirô qui vit seul avec sa mère mal aimante. Mais dans le voisinage de Jirô vit Tokiko, pauvre gamine totalement perdue avec son bébé sur le dos. Tokiko est plus malheureuse que Jirô, alors celui-ci n’écoute que son cœur et tente de l’aider. Comment Tokiko perçoit-elle les  avances de Jirô ? Incompréhension, maltraitance, inceste et solitude sont les seules vertus promises à ces représentants du petit peuple. Cette nouvelle magnifique me semble la plus désespérée des quatre récits.

Ce sont encore des enfants aux corps maigres, Kiyota et sa sœur Hisae,   qui essaient de lutter contre une fatalité. Ce n’est pas la misère qu’ils veulent contrer, par  une nuit étoilée, en fuyant la société de recherche close par  un Mur de brique ( 1964) où ils demeurent depuis que leur mère s’est remariée avec  ingénieur. Oh, ce n’est pas qu’il n’apprécie pas le beau-père, au contraire, ils sont appris à lui être reconnaissants de veiller à leur éducation. Mais en vivant sous son toit, ils ont découvert ce qui se trame dans cette entreprise … Et malgré leur jeune âge, ils ne peuvent accepter  ce qu’ils ont découvert. Seulement voilà, peut-on sauver  quelqu’un malgré lui ?

J’ai beaucoup aimé la poésie de cette dernière  nouvelle, moins désespérée que les récits précédents. Poignant comme l’Arc en ciel blanc, où presque cynique dans Étoiles et funérailles, l’univers de Akira Yoshimura dresse un état de la société japonaise qui étreint par la profonde misère morale autant que matérielle qu’il dépeint. Cette  œuvre sombre  offre cependant une poésie du dénuement, non comme une  fin en soi, mais comme regard sur les êtres faibles et leur manière de se débattre, cette  découverte mérite le détour.   

L’Arc en ciel blanc

Akira Yoshimura

Actes Sud (2012)

ISBN :978-2-330-00617-4

 

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11/07/2014

Nous étions les Mulvaney


          Au moment du choix de ce roman, il faut se fier au titre. L’usage de l’imparfait est en soi un indice sémantique pertinent. Tenir compte aussi de l’univers de l’auteur : chez Joyce Carol Oates, pas d’angélisme ni d’optimisme béat. De l’optimisme pourtant, Corinne Mulvaney n’en manque pas, cette mère de famille ne ménage pas sa peine pour transmettre à ses quatre enfants sa foi et son énergie.  Et contrairement à d’autres  de ses créatures, il me semble que l’auteur a ressenti une sympathie, voire une véritable tendresse pour ces  Mulvaney.

Ce sont les six membres d’une famille américaine que l’on suit sur deux décennies, des années 70 au début 90. Les deux époux, Michaël et Corinne viennent d’horizons très différents : Michaël, en rupture familiale dès son jeune âge, devient le prototype du self made man, après avoir connu une jeunesse aventureuse. Jusqu’au jour où il rencontre une curieuse jeune femme rousse et maladroite, qui compense sa beauté discrète par le charme plus durable d’une nature profondément cocasse. Michaël évoluera en durcissant ses ambitions, exigeant avec lui-même comme avec chaque membre de son entourage. Il prospère en fondant sa société et gravit un à un tous les échelons du code social.  Corinne  incarne l’autre versant : dynamique et un rien brouillonne, elle gère la vie à la maison, c’est- à- dire High Point Farm, la ferme où cohabitent enfants et animaux.  Cette ferme représente l’univers parfait pour Corinne, issue d’une famille de fermiers d’origine allemande, dont elle  a hérité  foi religieuse et volonté de travail. Indéfectible soutien de son mari qu’elle aimera jusqu’au bout,   Corinne détonne pourtant à ses côtés par son originalité vestimentaire. Mais elle est moulée elle aussi par le  rêve américain, fixée sur l’objectif de mener  une famille « parfaite », où chacun exécute tâches domestiques et fonctions sociales.

L’ascension des Mulvaney est longue et belle, jusqu’au jour où Michaël est enfin  intronisé membre du club le plus en vue de Mont Ephraim, la ville proche de High Point Farm. Mais l’aîné, Mike junior, commence à décrocher, abandon de sa carrière sportive, et nuits trop arrosées. Son cadet, Patrick, se construit une carapace d’intellectuel arrogant et rebelle. Marianne répond à la fierté de ses parents, adolescente entourée d’amies, elle irradie et incarne toute la réussite paternelle. Quant à Judd, le benjamin, il grandit imprégné d’admiration infantile pour chacun de ses aînés.

La fêlure échappe à tous pourtant, ce lendemain du bal de la Saint Valentin 1976, où Marianne, comble d’honneur, était invitée. Curieusement, ni Patrick à qui il est demandé d’aller rechercher sa sœur et qui ne s’inquiète pas de son mutisme, ni sa propre mère Corinne, que les succès scolaires et amicaux de sa fille éblouissent, encore moins le père tellement occupé qu’il rentre de plus en plus tard… Personne ne perçoit le malaise patent de Marianne.

Aussi quand éclate enfin le scandale, les réactions des uns et des autres nous prennent au dépourvu. La culpabilité docile,   la soumission de Marianne convient en apparence à Corinne et l’on reste stupéfait devant cette soudaine pruderie. La colère de Michaël père est violente, douloureuse, et dans un premier temps, on se dit qu’il a raison : allez régler ses comptes directement chez le « salaud ». Mais… Mais la pression est forte, Marianne tellement repliée sur sa » faute » —poids de la pratique religieuse. Par le regard de Judd, de Patrick dit Pinch, nous suivons alors la métamorphose du rêve en cauchemar.

Joyce Carol Oates poursuit sans concession la dissection méticuleuse des verrous sociaux et culturels. Son analyse acérée se teinte cette fois de tendresse pour Marianne  et Corinne. Son empathie lui permet de démontrer  comment chacune se débat dans le désastre. La force de l’amour de Corinne pour Michaël est saisissante, et l’on reste sidéré par  le parti pris à l’égard des enfants, de la jeune fille en particulier.  La construction du roman emprunte parfois la narration personnelle, à travers les points de vue différenciés de Judd ou de Patrick, pour mieux considérer comment ces enfants issus d’un clan fusionnel vont s’approprier leur propre destinée, hors Mulvaney. L’arrachement au formatage familial pour chacun des quatre rejetons est sinueux, difficile, douloureux, « une vie en patchwork « selon le reproche à peine déguisé de  Corinne à sa fille.

Et même si l’on se dit qu’on est en train d’observer une famille campagnarde américaine sous la loupe d’une écrivaine de là-bas, difficile de ne pas frémir en reconnaissant sous les mots de Joyce Carol Oates  les ferments du qu’en dira-t-on universel, la violence de l’ambition, la versatilité des sentiments, la révolte face à l’injustice. Le monde  décrit par l’auteur est dur, mais il appartient à chacun de s’y construire en choisissant ses valeurs, telle serait la morale finale de cette saga captivante.

 

Nous étions les Mulvaney                                    

Joyce Carol Oates

Paru aux USA :1996

En France chez Stock en 1998

Edition le livre de Poche, 2011

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ISBN : 978-2-253-15750-2

 

 

 

10/07/2014

Les Îles

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 Rêver  les Îles…Évocation du Paradis

Vision exotique, destination romantique,

Fantasme de solitude symbolique,

Image intime de  terres allégoriques

Forcément secrètes, inaccessibles, réservées ou amnésiques.

 

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Les îles parlent

 De voyages lointains, de  mers pacifiques,  de conquêtes épiques

Les îles attirent les mythes,   inspirent les poètes

Quand elles livrent du fond de l’horizon  leurs silhouettes

Émergeant lentement du miroir profond de l’Océan

Les îles parlent

D’accueil rassurant,   de repos alanguis, d’oubli ensorcelant

Aux Ulysse modernes  en quête de nouvelle  Arcadie.

 

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Les Îles parlent

 D'histoires d’Hommes et de Dieux,

D' épopées guerrières,  de récits tempétueux

Vestiges d’Humanité,   cités abandonnées

Légendes d'époques épanouies,

De  dynasties  enfouies ou d'amours évanouies.

 

Que cherchons-nous vraiment

Trésors  opulents,   voies  initiatiques

Défis tragiques des morts héroïques?

Les Îles parlent.

 

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Écoute

 Elles disent  le vent qui fait danser les arbres

Elles pleurent la houle  déferlante qui brisent les barques

Elles chantent les pierres résistantes témoignant de  sanctuaires

Elles murmurent des comptines qui remontent aux origines

Elles clament la  perpétuité de la vie qu'elles ne doivent  qu'à elles-mêmes.

 

 

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Voyageur de passage que  le grand large fascine,

Sais-tu que chaque île garde ancrée dans ses racines
 
Une part de ton âme, tissage sans fin de la trame

Mosaïque de destins qui dessinent

La mémoire des Îles

Écoute

 

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01/07/2014

Hyamas- Bienvenue à bord!

Καλώς ήρθατε

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Il nous attend solidement amarré au  quai.

Loin des géants des mers qui cloquent sur  l’horizon comme des icebergs d’acier aux ventres alourdis, l’Aegeotissa ne promet ni luxe ni vitesse.

Mais il a fière allure, avec sa structure  de bois rutilante. Il  en impose même, par ses 30m de longueur et  ses deux ponts aux lattes de teck. Nous verrons très vite que rien ne manque pour notre agrément, douche de pont et échelle de coupée pour les bains en mer, deux salons extérieurs à l’ombre, une plage pour bains de soleil, des cabines pontées, sans compter  l’accueil de l’équipage.

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La passerelle brinquebalante franchie, le pont arrière accueille nos pas encore hésitants. Malgré la fatigue du voyage — une  nuit bruyante  à l’hôtel d’Athènes et l’interminable traversée en Ferry —  nous sommes impatients de découvrir notre  sweet home. Impatience teinté d’une once d’appréhension, pour être honnête :  Et si… Après tout… Le confort sera rustique, on le sait, on a délibérément choisi ce genre de bateau plutôt qu’un hôtel- grand- comme- une- ville flottante. Mais l’autre inconnue du problème réside dans la cohabitation avec les autres passagers…

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L’accueil est immédiatement rassurant. La faconde de Maria nous pousse déjà dans le carré-salon-salle à manger pour l’Ouzo de bienvenue. Son discours  ferme et rôdé nous laisse peu de temps pour réfléchir davantage : répartition des cabines, annonce succincte du programme. Une trépidation discrète signale la mise en route des moteurs,   les manœuvres du départ s’effectuent alors que nous sommes déjà à table.  Pas le temps d’observer davantage le petit port de Parikia, nous quittons Paros en direction du Sud: Tout à l’heure, nous ferons escale à Ios

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En attendant, nous déjeunons à la grande table du carré. À la découverte de la cuisine de bord, que concocte délicieusement  Spiridoula. Les mets généreux nous sont apportés par Antonis, qui cache sous ses larges lunettes noires la vigilance et la rigueur de son service. Antonis illumine nos repas de son sourire, de sa gentillesse, de sa joie de vivre. Ses qualités sont contagieuses, l’ambiance à bord est parfaitement détendue, les  premiers rires éclatent, se répondent, montent en tonalité. Cet effet n’est pas dû qu’à l’Ouzo : les petits vins (surtout le blanc) servis au pichet sont appréciés, les convives oublient la retenue policée du continent. À Ormos où nous abordons sur Ios, les joies de la baignade et la découverte du village aux soixante églises sont des plaisirs partagés unanimement.

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En matière de relations humaines, il n’est pas de règles, sinon la bienveillance et le respect. Il peut se produire qu’un esprit chagrin (on en a tous fait l’expérience) sème des graines de discorde. Mais les dieux étaient à bord cette semaine, et l’osmose s’est installée spontanément. Si quelques affinités particulières se sont avérées, elles n’ont en rien freiné la dynamique des échanges, conversations à bâtons rompus du petit-déjeuner au coucher,    nous baignant d’une délicieuse aura de bien-être partagé. De sorte que la semaine a filé trop vite sur nos consciences heureuses, le départ sonnant comme un  arrachement  du cocon amical. Nous étions tous sincèrement désireux de tisser un peu plus solidement la toile de cette amitié à venir. 

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25/06/2014

Les chats de Naxos

Notre façon de   voyager livre sur l' explorateur  moderne plus d’indiscrétions  qu’il y paraît.  À l’abri de nos  objectifs, nous happons à foison morceaux de paysages tronqués par le cadrage, vestiges  de civilisation figés par l’érosion, scènes de vie séquencées par le rythme de nos circuits. Le touriste actuel est un courant d’air qui,   tel un  nuage,   traverse l’horizon des contrées visitées. Il n’y laissera rien d’autre qu’une ombre fugace, estompée  sitôt qu’il tourne les talons.  Les habitants des sites envahis avec constance par les vagues successives de globe-trotters saisonniers ont mis au point des tactiques de Résistance, indifférente ou servile, hostile ou débonnaire,   fuyante ou accueillante. 

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                                         coucher de soleil sur Ios

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                                                                                              Santorin 

Cette semaine passée à bord de L’Aegeotissa nous   a bercés d’une bienveillance revigorante. Sous l’égide  dynamique et maternelle de Maria,   les îles abordées ont livré leurs senteurs d’été et la blancheur des maisons, les ruelles labyrinthiques des villes, les paysages alternativement dénudés et touffus, la fraîcheur des eucalyptus et  la luxuriance des bougainvillées…    

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carnets de voyage, les cyclades,îles, grèce      Dans les  ruelles de Mykonos

 

 

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Lefke la verdoyante                              

 

                                                      Naxos

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Quand notre timing ne coïncide plus avec la permanence d’une Nature hiératique, nous pouvons ressentir la frustration du manque de temps nécessaire à la pérennité de la connaissance, à l’installation lente et progressive des liens humains — il faut du temps pour s’apprivoiser disait le Renard au Petit Prince—   nous sommes tentés d’accaparer le caractère "authentique" de cette vie offerte à nos regards. La technologie le permet, un zoom rapide au détour d’une   venelle  peut saisir  un couple de vieillards prenant le frais sur leur seuil. Mais au-delà du cliché pittoresque, quelque chose nous retient, et  empêche la violation d’une intimité  qui ne nous appartient pas.

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Alors, alors me direz-vous, comment conserver précieusement la chaleur bienfaisante des ressentis, ce bonheur tangible de toucher par nos cinq sens la vraie vie qui nourrit l’humanité ? Le partage  généreux des rires et des  conversations échangées d’un bord à l’autre d’une rue, d’un quai, d’une sente ?

En réalité, ce sont eux qui nous ont encouragés à les regarder, à les admirer…À les photographier.

Eux vivent partout, ils se croisent de bon matin ou à la lumière du couchant, ils ne fuient pas la chaleur aride du Zénith. Ils se laissent approcher, attendent patiemment que vous portiez vos pas jusqu’à les caresser. Confiants dans l’objectivité de l’appareil, ils prennent la pause. Ils occupent le terrain comme nos pensées, ils sont les témoins du temps qui ne passe pas, d’une éternité que les hommes ont besoin de sculpter dans la pierre mais qu’eux seuls savent transmettre. Ce sont les Chats de Naxos, Santorin ou Mykonos. Ce sont les Chats des Îles, qui se moquent bien de notre curiosité passagère. Depuis que la colère des Géants  a jeté leurs rochers sur l’immensité de la mer, ils ont vu passer tant de passion, de vaillance, de volonté de survivre qu’ils ne craignent plus  ni tempête ni  guerre, pas même qu’une virago les chasse du foyer :  C’est à nous, piétons intrusifs, qu’il appartient de respecter l’espace qu’ils nous consentent.

 

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26/04/2014

Accordailles

         Désir brûlant des  regards fixés sur mes formes élégantes. Dérangeant et excitant,  serais-je  à la hauteur? Je me sens si fébrile parfois,   consumée par   l’envie  ardente de sentir vos appétits fondre sur moi,   et me glisser jusqu’au confluent de vos  mains enlacées, d’y butiner l’éclat des feux qui vous dévorent. Dangereuse convoitise, balancier infernal des battements du cœur.

Éternelle énergie,   prodiguée sans même bouger un doigt.  J’aurais préféré, n’en doutez pas,   rester cachée dans mon antre,   à l’abri de  la contamination concupiscente: dès lors qu’ils pensent à moi, Eux me considèrent suffisante, Elles me voudraient plus conséquente. Une stratégie éprouvée me pousse à leur opposer une indifférence de marbre. Je tente alors d’arborer une mine de plomb, je fais semblant d’avoir un cœur de pierre. Pourtant,   une fierté sans pareille coule dans mes veines et  je mets en valeur la finesse de ma taille et tous mes atours.

 Séduction éphémère,   hélas, une seconde de gloire, c’est toute la satisfaction au regard de ma réputation.  Ma présence devrait suffire à  apaiser tant de soupirs.  Ensemble, ils m’affichent mutuelle reddition à l’hymen éternel. Le secret de mon exposition repose sur les facettes de mes talents, réanimateurs habiles d’ardeurs chancelantes.

Immanquablement, vient le temps de l’ambivalence.  J’étais irrésistible,   je deviens infirmière d’amours exsangues  puis geôlière.  Les pulsions initiales  dont j’étais si brillamment parée sont   désormais banales, puis  ordinaires, elles deviennent chaînes. Ternie par un usage  quotidien, je me rends accessoire quand sonne le glas de la passion. Le  désir comblé s’éteint à petit feu,   et la magie distillée jadis se dissout dans la monotonie des libidos éteintes.

Rageur est le geste qui me jette au tapis. Ne reste que les regrets des promesses non tenues, le  pénible ratage d’un rêve  inachevé. Reléguée  loin des regards que la haine allume Elle me  contemple un moment, avant de me ranger dans l’écrin des souvenirs douloureux, recel ultime des amours renoncées. 

À tout prendre  cependant, que suis-je d’autre qu’une pépite de planète, débris minéral arraché à la matière stratifiée ? Que de temps, de peines, de travail forcené se sont conjugués jusqu’aux outils du joaillier pour forger mon  destin, incarner sur les  doigts d’une main les cinq étapes du Désir. Diamant solitaire, alliance aux mille feux,  chef d’œuvre voué à la célébration des accordailles,  je flétris  aux désaccord’aïe.

 

 

29/03/2014

Le port intérieur

Habituellement,   je fuis les quatrièmes de couverture, ces exergues publicitaires qui servent à hameçonner nos envies, parfois malhonnêtement voire grossièrement. Cette fois, heureusement que  l’édition Mdouble (version poche de chez Minuit) donne un large aperçu de l’intrigue pour permettre au lecteur de s’y retrouver, et lui éviter une noyade prévisible dans le dédale marécageux de l’écriture Volodienne! Pourtant, honnêtement, ce roman ne manque pas d’intriguer.  Si l’on éprouve de temps à autre le besoin de faire le point, (merci  donc à la 4e de couv), l’intérêt du récit l’emporte, et l’on s’accroche, on poursuit le récit malgré soi, en quête du sort final réservé à Gloria et Breughel.

Reprenons donc depuis le début : trois personnages (Machado, Breughel et Gloria Vancouver) ont fui une nébuleuse organisation toute-puissante nommée tantôt le Parti,   ou le Paradis. Cette fuite, à valeur de trahison, se double du larcin d’une grosse somme, ce qui implique pour les fuyards la certitude d’être recherchés et exécutés sans pitié. Fuyant l’Occident (territoire indéterminé), les amants Breughel et Gloria sous la protection de Machado, mercenaire, homme de main du Parti, lui aussi en rupture de ban, trouvent refuge en Asie, à l’abri d’une fausse identité. Ils échouent à Macau,   alors indépendante de la République Populaire de Chine, où le mode de vie mêle étroitement les vestiges de l’occupation portugaise et les traditions chinoises. D’emblée, nous savons que Machado a trouvé la mort, que Gloria  a perdu la raison et que Breughel n’a plus qu’un but : protéger cette femme qu’il aime malgré sa folie et faire en sorte que les exterminateurs à leurs trousses ne puissent la découvrir.

À ce jeu, Volodine se révèle très habile. Efficace, la construction du récit devient un dédale entre les rêves, les cauchemars, les récits dans le récit qui noient la réalité dans les brumes étouffantes du port. La qualité première du récit repose sur le rendu de la touffeur malsaine du territoire, la chaleur humide, les cafards colonisant la masure où vit  Breughel, la sueur exsudant des corps en permanence, la tension extrême des situations jusqu’à la levée de la tempête des derniers chapitres : «  Le vent projetait avec force des morceaux de nuit contre la porte. «  ( Page 151)

D’un chapitre à l’autre, la voix du narrateur alterne les personnages, les lieux, les moments du récit. Entre les rappels des événements, les traductions des cauchemars que les personnages subissent, la volonté de Breughel de construire une fausse vérité pour tromper l’ennemi qui les chasse sans relâche… Volodine nous prévient d’entrée :

«  La bouche tremble. On voudrait ne plus parler. On aimerait rejoindre l’ombre et ne pas avoir à décrire l’ombre. Le mieux serait de s’allonger dans l’amnésie, à la frange du réel, les yeux mi-clos, et d’être ainsi jusqu’au dernier souffle, momifié sous une pellicule trouble de conscience trouble et de silence.

(…)

Un homme est là, très près, attentif à ce qui émerge. Il menace, il écoute. Il menace de nouveau, il écoute. On essaie d’éviter son regard. Toutefois, si les lèvres tremblent, ce n’est pas dans la crainte de la douleur et de la mort. C’est plutôt le vieil instinct du bavardage qui les agite. On a trop longtemps cru que parler tissait quelque chose d’utile sur la réalité, dans quoi on  pouvait s’envelopper et se cacher, quelque chose de protecteur. Parler ou écrire. Mais non, S’exprimer n’aide pas à vivre. On s’est trompé. Les mots, comme le reste, détruisent. » (Page 9)

Dans cette réalité mouvante où la vérité ne se démêle pas de l’imaginaire, nous nous attachons à comprendre les liens liant si passionnément et définitivement  Breughel, le personnage principal, à Gloria.  Le seul personnage féminin du roman paraît infiniment mystérieux, insaisissable autant que son absence :

« Gloria est là. Tu erres parmi les arbres et elle est là. Ses longs cheveux noirs touchent ton épaule, elle existe à côté de toi, tu lui saisis la main, le poignet, elle se dégage, elle te parle. Elle a une voix épuisée par l’absence. « ( Page 140).

Malgré l’éloquence de cette langue poétique, il faut bien avouer que les effets de     (dé) construction multipliés et répétés à l’envi finissent par lasser mes capacités de  concentration. Certaines trouvailles deviennent des tics de langage, et alors leur portée s’amoindrit, puis le procédé finit par déranger. Ainsi cette élision des fins de phrases, qui éblouit d’abord  comme une évidence, tellement on peut y reconnaître l’expression d’une lassitude :

«  Quel Paradis interrogea  Kotter.

Vous, dit Breughel. Ceux qui vous envoient.

Ah, dit Kotter, c’est comme ça que. » ( Page 11)

À force de rupture du flux que produisent ces phrases tronquées, le mécanisme du récit se grippe, expose  ses rouages, et le lecteur se sent joué, floué. La poésie s’évapore, reste tout de même une écriture forte malgré ses maladresses, ou grâce à elle, allez savoir. Pour ma part, je regrette le parti pris  démonstratif systématique. Malgré mes réserves, Ce port Intérieur possède une empreinte  particulière  dans le paysage romanesque.

 

antoine volodine, le port intérieur, roman post exotisme, littérature contemporaine

 Le port intérieur

 

Antoine Volodine

Mdouble ( Minuit poche) Septembre 2010

 Sorti initialement chez Minuit en 1995

ISBN : 978-2-7073-2121-3