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Alfred et Emily

Alfred et Emily

Auteur : Doris Lessing

Éditeur : J'ai lu

Année : 2009

« Mes parents étaient remarquables, quoique très différents l’un de l’autre. » Tel est l’incipit de l’avant-propos par lequel Doris Lessing introduit le court roman que lui a inspiré ses réflexions sur sa parenté.
Par cette mise en parallèle rapide, le lecteur comprend comment un écrivain peut détourner la réalité d’une biographie pour ne se servir que de la substantifique moelle des personnages. Elle conquiert ainsi la liberté de les faire évoluer indépendamment de leur destin « réel », en modifiant leur cadre de vie et les circonstances qui président à leurs différents choix. Ainsi peut-elle bâtir une fiction qui lui permet d’approfondir et de magnifier les vertus des « caractères », ignorant superbement les travers moins conviviaux et les contraintes qui ont entravé l’épanouissement de ces personnalités.
En moins de 200 pages, Doris Lessing dresse un décor de vie en Angleterre au début du XXème siècle, cadre champêtre moins idyllique qu’il n’y paraît, puis que la pression sociale et les conformismes familiaux entravent les rêves qui habitent les différents protagonistes. Mais à chaque situation, certaines rencontres peuvent apporter l’échappatoire qui permet l’éclosion des personnalités. Nous découvrons ainsi tour à tour la malchance d’Alfred Tayler, mal aimé chez lui mais « adopté » par des paysans qui deviennent sa véritable famille en l’établissant un des leurs. De son côté, la toute jeune Emily, rebellée contre son père et sa belle-mère, bénéficie de l’amitié éclairée de Mary Lane, la mère de sa meilleure amie. Emily Mac Veagh devient infirmière et révèle son tempérament directif. À partir de ces situations, Doris Lessing déroule les fils des destinés, s’amusant au passage à déconcerter les lecteurs, puisque qu’elle soustrait Alfred et Emily à l’idylle que nous attendions tous…
À l’issue du roman, l’édition J’ai lu enchaîne sur une seconde partie, autobiographique concernant l’enfance de l’auteur et la perception d’une réalité beaucoup moins épanouissante. Doris Lessing entreprend dans les éclaircissements un récit à la première personne qu’elle introduit par ces réflexions :
« Deux personnes âgées peuvent échanger un regard ou se contenter de dire : « Vous souvenez-vous… » pour indiquer un souvenir qu’il vaut encore la peine de conserver trente ans après. Même un ton de voix, une inflexion chaleureuse ou irritée, peut signifier dix ans d’amour ou d’inimitié. En écrivant sur leurs parents, même des enfants ou des descendants attentifs peuvent passer à côté de trésor. » ( page 165)
Illustré de photographies familiales récupérées et restaurées, Doris Lessing se livre à un exercice de mémoire probablement aussi jubilatoire que douloureux. Les blessures de son père, séquelles de guerre, les désillusions et l’enthousiasme maternel douché par la tournure des événements, l’âpreté d’une vie réelle bien différente des promesses initiales, Doris Lessing en conserve une évocation ambivalente. Et l’on comprend parfois qu’elle regrette amèrement que la réalité du vécu ait pu détériorer l’image d’une personne, au point que le recul de l’âge et des faits lui souffle une réhabilitation par la fiction.

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