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Sauver Mozart

Sauver Mozart

Auteur : Raphaël Jerusalmy

Éditeur : Actes Sud

Année : 2012


Voici un curieux roman imaginé par un écrivain au parcours multiforme. La biographie d’un auteur est-elle nécessaire à connaître pour apprécier son œuvre ? Certes pas toujours, mais en l’occurrence, certains petits détails pourraient se révéler ici piquants…
Juillet 1939 : Pensionnaire d’un sinistre sanatorium sur les hauteurs de Salzbourg, Otto Steiner entreprend de tenir son journal, sous une forme parfois minimaliste, à la fois pour se prouver à lui-même qu’il est encore vivant malgré la tuberculose qui l’affaiblit, et peut-être aussi pour assumer une part de provocation face à l’atmosphère de terreur délétère qui règne dans la ville livrée aux influences nazies depuis l’Anschluss un an plus tôt.
D’entrée, Otto se montre sous son jour râleur et asocial : « J’ai horreur du vendredi. Filet de cabillaud et pommes de terre bouillies. Le fils du concierge est allé m’acheter deux cents grammes de cervelas. En catimini. Je festoie dans ma chambre. »
Le statut d’Otto est précaire cependant, entre la maladie qui ronge inexorablement ses poumons et amenuise ses forces, et les difficultés pécuniaires qui ne tardent pas à devenir préoccupantes. Alors, il lui reste la musique, sa passion, qui jusqu’alors lui permettait d’exercer son métier de critique musical. Son dernier ami fidèle, Hans, essaie de temps à autre de le faire travailler un peu. Dans l’atmosphère troublée de l’époque, s’opposer aux diktats demande bien du courage. Otto est témoin de la disparition d’un pensionnaire, juif notoire. Et nous découvrons que chacun ici cache de plus ou moins gros secrets. Otto doit se résigner à abandonner ses maigres privilèges: sa chambre et son gramophone. Il rejoint une chambrée où la promiscuité ajoute aux souffrances. Doté d’un farouche humour noir et d’une plume acerbe, il prend un plaisir cynique à noter les paradoxes et les injustices. Toutefois, plus la répression anti-juive devient prégnante, plus Otto sent renaître dans sa mémoire le souvenir de ses origines sémites, depuis le village originel de Silésie. Et quand son voisin de lit chantonne une vieille rengaine pour lutter contre l’étouffement, il identifie peu à peu la mélodie issue du folklore yiddish. Loin de dénoncer le bonhomme, il s’accoutume progressivement à cette ritournelle qui l’insupportait d’abord, lui le musicologue à l’oreille tellement raffinée!
Survient alors l’occasion de participer à la poursuite de l’Histoire, la grande… Au cœur de l’hiver 1940, son ami Hans sollicite les services d’Otto pour préparer deux programmes particuliers. Le premier projet concerne l’organisation du festival d’été, le Festspiele de Salzbourg, normalement dédié aux œuvres du Maître musical local, Mozart. Or Otto comprend rapidement que ce festival doit d’abord et avant tout servir de propagande au génie du Reich, et le chamboulement du programme, le choix des interprètes et des chefs d’orchestre compromis avec le régime nazi, les pointilleuses remarques de la censure, sont autant d’alarmes qui concourent à énerver notre diariste atrabilaire.
« J’ai l’impression de vendre mon âme. Et de trahir Mozart. Servir de nègre à Hans… Nègre ? C’est l’expression consacrée. Négritude. Servitude.
Nous sommes tous esclaves des mots. » (Page 62)

Le second événement se situe peu de temps après, en mars, dans une atmosphère très mystérieuse. Otto est contraint d’y remplacer Hans handicapé par une cheville cassée. Le voilà embarqué dans un voyage dont il ignore le but et la destination. Mais ô surprise, il réalise au dernier moment qu’il s’agit d’une rencontre secrète entre Mussolini et Hitler! Une magnifique impulsion le pousse à une tentative désespérée, et il détourne un cocktail suicidaire qu’il s’était concocté … Hélas, le poison manque son effet comme le relate Otto dans une première longue lettre à son fils réfugié en Palestine :
« Je n’ai plus entendu que le claquement hâtif de ses talons. Je me suis imaginé les deux tyrans, là-bas, au bois du couloir, confortablement assis dans des fauteuils capitonnés de cuir. Bien au chaud(…) Le Duce se levant. « Encore un peu de café, mein Führer ? » C’est en regardant une vitre de train, un paysage qui défile, un arbre qui s’éloigne que je voulais mourir. Ce poison dans la cafetière était à moi, et pour moi.
Depuis avant-hier, je suis définitivement cloué devant le poste de TSF, sous le préau. Hitler n’est pas mort. Peut-être n’aime-t-il pas le café italien ? » ( page 90)

Les dernières forces d’Otto vont lui permettre de renouveler le serment qu’il s’est fait de ne pas permettre l’annexion de Mozart au programme honni. Comment ? C’est là que réside toute la finesse du prochain attentat, plus élaboré, mais aussi radical dans l’esprit d’Otto.
C’est aussi ce qui justifie de s’attacher à ce premier roman de Raphaël Jerusalmy, intellectuel formé à l’école normale, puis membre des services de renseignements israéliens, qui s’est ensuite consacré à diverses actions humanitaires pour ouvrir enfin une boutique de livres anciens. Je l’imagine très bien dans un antre délicieusement poussiéreux et odorant le cuir des reliures, vitupérant contre les excès des extrémistes qui ne manquent, à Tel-Aviv autant qu’ailleurs…



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