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Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Auteur : Colum Mac Cann

Éditeur : Belfond

Année : 2009


Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Voilà un titre qui offre à son seul énoncé une vision allégorique, flamboyante et lyrique du monde. Plaines illuminées et chevauchées sauvages, cieux déchaînés, éléments de la mère Nature cataclysmiques, horizons infinis…

Et pourtant, Colum M c Cann ne nous emmène pas si loin … Les horizons infinis qu’il nous concocte s’élève principalement au sein de la grande ville emblématique du XXe siècle, comme si le vaste monde se concentrait sur l’horizon des tours de Manhattan, en prenant de l’élan sur le macadam du Bronx afin de s’offrir le souffle d’une quête purement humaine.

Cette quête initiale, Colum Mac Cann choisit de l’illustrer par la démonstration extraordinaire réalisée le 7 août 1974 par Philippe Petit, un funambule qui relia en plein jour les deux tours jumelles du Trade Center. Au long du roman, les conditions de la réalisation de cet exploit apportent une broderie en forme de contrepoint aux destins de ses personnages, englués dans des réalités plus sombres. L’échappée aérienne du funambule symbolise le désir d’envol des êtres qui peinent à changer le monde pour y retrouver leur dignité et accepter leur fardeau.

Ce roman se présente donc comme une fenêtre grande ouverte sur une humanité diverse, et la juxtaposition des personnages compose un choeur polyphonique. Il se narre d’abord par la voix de Ciaran, originaire de Dublin comme l’auteur, justement. Quelques pages consacrées à l’enfance irlandaise d’une famille monoparentale et aux réactions paradoxales du petit frère du narrateur, dénommé par son patronyme Corrigan, dit parfois Corr ou Corrie. Le récit s’oriente rapidement sur le choix de ce Corrigan adulte, ayant quitté l’Irlande après le décès de sa mère pour se confronter dans le Bronx aux misères les plus sordides. Devenu prêtre, il cèle son statut de religieux pour mieux œuvrer au sein d’une société miséreuse entre toutes, les prostituées qui opèrent sous la Deegan, la voie expresse que les automobilistes n’empruntent que furtivement, rapidement, en fuyant la poisse de celles et ceux dont la vie adhère à ce bitume.
Malgré les menaces et les horions, Corrigan continue d’ouvrir en permanence son appartement aux filles, afin qu’elles bénéficient d’un minimum de confort. C’est cette intrusion qui frappe d’abord Ciaran, réfugié inopinément à New York, parachuté dans cet univers trouble où il peine à cerner la personnalité et les objectifs de son frère.
Une grande part du récit retrace le cheminement de Corrigan, son rôle dans ce microcosme sordide, les paradoxes de ses aspirations mystiques à changer le monde et les combats quotidiens contre la misère physique et morale des êtres qui l’entourent.

Corrigan mène un autre combat, plus secret, entre ses voeux de chasteté et un amour bridé pour la seule femme qui se bat comme lui dans cet univers de misère. Ce révolté entier peut-il s’humaniser en acceptant l’amour charnel d’Adelita? Comment cette superbe et charismatique femme, mère de deux orphelins , surmontera –t-elle la perte de l’homme qui lui permet d’espérer un nouveau bonheur dans un monde si brutal ? Et qu’adviendra-t-il à la dynastie de prostituées, Tillie et Jazzlyn, aux sorts déjà broyés avant même de quitter l’enfance ?

Colum Mac Cann élargit les points de vue au cours de quatre livres inégaux. Nous quittons les considérations de Ciaran pour embrasser le récit de Claire, qui tente désespérément de partager le deuil de son fils avec d’autres mères de soldats tombés au Vietnam. La difficulté pour Claire consiste à faire tomber les barrières sociales pour s’intégrer dans un groupe de femmes aux conditions nettement plus modestes que son statut d’habitante des beaux quartiers. Le monde va, cruel, insensible à ses efforts… Mais il peut également réserver de curieux détours, ce vaste monde, qui mènent Claire à sympathiser avec Marcia, et tisser une curieuse passerelle qui ramène à la Deegan et ses pensionnaires infortunées. Le monde ne s’arrête certes pas à New York, mais la Grosse Pomme est assez fertile et putride pour que l’humanité y croisse et que s’y croise toutes les facettes possibles.

La ronde des destins et des rencontres se poursuit dans une sorte de tumulte que se plaît à construire Colum Mac Cann. Le lecteur se perd parfois un peu, reprend ses marques, suit les préparatifs du funambule, plonge au cœur des quartiers chauds, accompagne la course infinie des personnages, mais cette intensité fatigue un peu. Il m’est venu une distance inhabituelle, au deux tiers du roman. Et puis la fin ménage une ouverture inattendue, un arc-en-ciel prometteur qui efface les pesanteurs mortifères. On se reprend à croire que la course du monde vaut la peine d’être poursuivie…


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