03/04/2016
Fragments - 7
Fragment blanc
Transparence
Lumière intense sur la table grise.
Lumière clinique sur fragments de vie.
Lumière impassible des néons sur nos bouts de cœur.
Tous les objets rassemblés devant nous entremêlent nos histoires et nos pense-bêtes précautionneux.
Bien moins anodins qu’ils paraissent, ils ont été disposés par intuition, associés à l'accroche-coeur: un porte-clef et une manille, quelques photos grises et deux mots doux sortis du secret d’un portefeuille, objets usuels et gris-gris affectifs, exposés brutalement à la clarté tranchante d’un laboratoire de mots.
Nos récits vont les presser, exsuder leur matière de larmes et de sueur, distiller de précieuses informations sur nos choix et nos besoins.
Longuement, je les observe, les miens mêlés aux autres. J’attends qu’ils se parlent, qu’ils entament le dialogue, qu’une l’alchimie hasardeuse crée de ce néant un bourdonnement émotif, une cantate subtile dont la mélodie éveillerait une romance poétique, un conte philosophique, une épopée enchantée…
La lumière blanche au-dessus de nos têtes avale les ombres, aplanit les formes, affale les sentiments.
Assise devant ce tableau élaboré, le haut du corps tendu vers le centre du plateau, j’attends l’émotion, l’amorce du mouvement, l’idée qui trace une piste, un mot…
Un son.
La lumière blanche.
Rien.
À force de tension, la composition s’efface. Mes yeux brûlent, le crayon fuit mes doigts devenus chamallows.
La table grise est engloutie par la vague lumineuse.
Blanche.
Les objets ont disparu, fondu sous l'éclairage livide. Ma volonté se dilue, je ne les vois plus, l’esprit figé dans cette étendue transparente.
Tout est blanc.
Silencieux comme un champ de neige vierge.
Mon histoire est morte avant de naître.
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31/03/2016
Fragments - 4
Fragment rose
Une pincée de piment
Ah mon Ange! Dire que nous allons fêter nos soixante-dix ans de vie commune… Que du bonheur ! Te raconter quel homme il était ? Je ne sais même pas comment sont les autres tu sais. Je n’ai aimé que lui. Et… Je suis bien certaine qu’il me l’a rendu au centuple.
Nous nous sommes connus, voyons voir… Je crois que c’était au bal de la Saint Vincent. Il y a si longtemps. Nous étions timides en ce temps-là, mais on savait se faire comprendre sans recourir à tous vos engins modernes. Il suffisait d’observer. Nous les jeunes filles, depuis nos chaises, entourées par la parentèle qui devait nous chaperonner. Les jeunes gens, eux, se tenaient le plus souvent autour de la salle de bal, et je te prie de croire qu’ils faisaient marcher autant leurs gambettes que leurs mirettes. Il fallait se repérer discrètement… Nous les suivions du regard, parfois en utilisant ces petits miroirs de poche qui se glissent dans le sac. Et dès que celui qui nous plaisait s’approchait, la tactique consistait à pencher la tête comme ça, tu vois ? Aïe mon cou ! Oh je ne serais même plus bonne pour draguer!
À la première danse, j’ai su tout de suite que je serais bien dans ses bras. Il sentait bon le propre, et il savait me guider adroitement, sans forcer la pression de ses mains, le pas léger. C’était une polka, donc le rythme nous empêchait de parler, mais nous avons engagé la conversation pendant qu’il me raccompagnait à notre table. Imagine le fou rire qui nous a pris en découvrant que nous portions le même prénom ! Ange et Angèle… À croire que nous étions prédestinés !
Quand il m’a fait sa demande, au printemps suivant, nous étions en promenade au bord de la rivière. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions assis dans l’herbe. Il a profité d’un bref éloignement de ma petite sœur Adèle, qui s’était levée pour cueillir quelques fleurs des champs. Nous avions pour ainsi dire quelques minutes d’intimité.
— Angèle, il m’a dit, que dirais-tu si nous … Si je demandais ta main ?
Émue, j’ai baissé les yeux avant de répondre. J’avais le cœur battant, la bouche sèche, et mes yeux sont tombés sur… Un trèfle à quatre feuilles !
Alors, j’ai ri. Je l’ai cueilli et je lui ai répondu :
— Je crois que ça va nous porter chance !
Et les années ont passé si vite. Bien sûr, nous avons eu notre part de problèmes, les temps n’étaient pas si faciles. Mais je ne me souviens guère de moments où ça n’allait pas entre nous. Nous étions en plein accord sur l’essentiel, l’éducation des enfants, les économies à tenir, les dépenses nécessaires, les efforts … Et surtout les plaisirs. J’ai mon caractère, Ange me laissait faire comme je voulais. De mon côté, je respirais quand il partait à la pêche ou aux interminables parties de pétanque. Ça nous reposait et je n’avais pas de scrupules à lui faire changer les ampoules et à lui demander tous les petits bricolages de la maison. Peux-tu croire, en ton jeune âge, que l’équilibre des couples repose ainsi sur le respect de la complémentarité ?
Je lui faisais quand même les poches, pour faire la lessive. Lui, ça l’amusait que je connaisse ses secrets ! Je sortais de son pantalon des bricoles de rien, de la monnaie ou des porte-clefs invraisemblables, soit-disant offerts par des clients. C’était un jeu, je faisais semblant d’être jalouse. C’était un test. Il en devenait tout miel, tout sucre… Et ça se terminait bien agréablement ! Pour éviter la routine conjugale, même si tu sais que tu pousses un peu loin le bouchon, n’hésite jamais à pimenter le quotidien.
09:30 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelles, couleurs des sentiments, vide-poche, acl, fragments | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
30/03/2016
Fragments - 3
Fragment noir
Vie cachée
Les morts sont tranquilles, ils ne me gênent pas. Pas de questions inutiles, pas de rébellion ni de hurlements. Dès qu’ils sont couchés à la morgue, les morts sont calmes. C’est le chaos d’avant qui est pénible, ce qui les a conduit ici. Il n’y a sans doute pas deux morts qui se ressemblent, deux façons identiques de quitter la vie, d’expirer en un dernier souffle la teneur de ce qu’on était… Un homme, une femme, faible, fort, actif ou malade, enfant confiant ou vieillard usé.
Mais tous ceux qui arrivent-là, devant moi, ont gagné la Paix.
Ce qui me pèse, c’est de les laisser seuls pour aller annoncer aux vivants qu’ils ont perdu la leur. Je vais faire irruption dans leur vie, les surprendre au milieu d’un repas, d’une réunion de travail, d’un jogging ou des courses de la semaine pour jeter au panier tout ce qui représente leur vie. D’un mot, je vais exploser leur équilibre quotidien, je vais leur donner envie de se livrer à leurs pires corvées plutôt que de m’écouter, je vais leur apparaître comme le messager du Malheur…
Avant d’accomplir cette tâche destructrice, je m’accorde un rituel. Prendre un moment et contempler les objets qui ont entouré ce corps au moment où il a sombré dans l’Inanimé. M’imprégner des derniers témoins usuels pour toucher ce qui faisait sa particularité, l’émotion d’un mot tendre écrit par une petite fille, une photo ancienne aux bords cornés, messages d’amour cachés au fond d’un portefeuille, miroir refermé pudiquement sur la détresse de celui qui s’en va. Trier ces morceaux de vie, mettre de côté le futile et retenir la délicatesse d’un trésor choisi pour emporter avec soi, comme un escargot dans sa coquille, les traces de nos liens et de nos attaches. Car nul être vivant n’est jamais tout à fait seul. Ces fragments nous livrent sa vie cachée. Même le Doudou d’un bébé pourrait raconter les peurs et les besoins d’une existence débutante. Une lampe de poche, si minuscule soit-elle, bannit les ténèbres de l’Inconnu. Une manille témoigne peut-être d’une vie sportive, mais elle représente surtout ce maillon qui nous rattache au concret, qui sauve parfois de la chute fatale. Oui, les objets racontent les vivants avant leur mort … Et l’attention que je leur porte est peut-être le premier rempart contre l’oubli.
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29/03/2016
Fragments - 2
Fragment gris
Une chance à saisir
— Eh bien oui, je pars ! Et non, je n’avais pas l’intention de t’en parler. Oui j’ai retiré toutes mes économies. Il est à moi cet argent, que je sache ! Et je n’ai pas à te dire où je vais… Rends-moi mon billet de train. Sinon, de toute façon, je pars à pied !
— Arrête tes cris et tes larmes, je la connais par cœur ta comédie ! Ça fait si longtemps que tu la joues. Tu devrais apprendre à tirer d’autres ficelles ! Si tu crois que je vais me laisser émouvoir parce que tu exhibes encore ta Ventoline, comme si j’étais responsable de ton asthme… Moi aussi, figure-toi, je me lasse. Toujours les mêmes scènes, les mêmes menaces, les mêmes refrains et les mêmes promesses que tu ne tiendras pas.
Tiens cette fois, c’est moi qui te mets au défi. Pars, puisque tu en as envie, pars et emporte tout ce que tu veux…
— Non, je ne veux pas de tes photos, tu arrives même à faire mentir les souvenirs! Je ne veux pas non plus tes lettres, tu peux envoyer au diable ces mots inventés quand je croyais t’aimer. Je veux t’oublier et effacer ces années passées ensemble qui n’ont servi à rien. Tu as tout abîmé, je préfère repartir de zéro, sans souvenirs ni regrets. Garde tout, jette en vrac ce que tu voudras, fais-en l’usage qu’il te plaira… Ah si, tout de même, le trèfle à quatre feuilles, je le conserve, je veux au moins avoir une chance de ne jamais te revoir !
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28/03/2016
Fragments - 1
Vide-poche en couleurs
Fragment bleu
Insouciant comme un adieu à l'enfance
— Paul, tu viens m’aider ? Je ne sais pas ce qu’il te faut, moi. Qu’est-ce que je te prépare ? Tu as une idée au moins de ce que tu veux emporter? Tu ne peux pas partir comme ça les poches vides…
— Mais si Mm’an, y’a pas de problème ! J’ai besoin de rien, je t’assure. C’est pas la peine de se charger. On peut toujours se débrouiller sur place.
— Enfin, Paul, il te faut bien quelques médicaments ! De l’aspirine, des pansements, du désinfectant… Et tiens, ta Ventoline, si tu refaisais une crise comme il y a trois ans !
— Mais il y a trois ans ! Et grâce à toi, nous avions passé trois semaines de camping dans un brouillard épais à côté d’un parking pour camions déglingués qui puaient… Il n’y a strictement aucune raison pour qu’une situation pareille se reproduise. Demain, je serai en montagne, à l’air pur, en train de compter les marmottes qui se réveillent ! Ta Ventoline d’ailleurs, je te conseille de la rendre au pharmacien, elle doit être périmée depuis un moment.
— Et pour l’argent, Paul, qu’est-ce qu’on fait ? Tu as des espèces sur toi ?
— C’est réglé tout ça, pas de souci ! Tout est prévu au refuge, je te l’ai dit cent fois.
— Et tes frais de voyage, ton billet, ton appareil photo ? Tu as de quoi m’écrire au moins ?
— Maman, j’ai vingt-huit ans, je suis majeur, vacciné, je ne vais pas t’écrire tous les jours comme à l’époque des colonies de vacances ! Tiens, je vais te dire ce que j’emporte : une lampe de poche, un jeu de manilles déjà mis de côté, quelques slips et chaussettes de rechange en plus des vêtements que je porterai et voilà ! Comme Rimbaud, je m’en irai les poings dans mes poches crevées … et mon unique culotte avec un large trou… Ah ah.
Alors, sois sympa, garde la valise avec l’album photos complet de mon enfance, le dossier médical où sont notés mes vaccins et la date de ma première dent, les outils inutiles comme des ampoules de rechange et autres porte-clefs pour fermer une maison où je n’habite pas !
À mon retour, je sais que tu auras veillé sur ces précieux viatiques. Mais fais-moi grâce d’une chose, ma petite Maman, une seule chose mais j’y tiens : jette mes vieux doudous rapiécés. Si, un jour, j’ai un enfant, je ne veux pas encombrer ses bronches avec la poussière de vieux souvenirs !
18:41 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelles, saynètes, couleurs des sentiments, acl | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
23/11/2014
Secrets de Polichinelle
Par ce recueil de huit longues nouvelles, Alice Munro nous invite à explorer les petits coins cachés de nos consciences, les désirs inavoués qui nous poursuivent malgré nos efforts pour les oublier, les événements qui constituent le mille-feuilles de nos histoires personnelles. Ce sont toujours des femmes ou des jeunes filles qui focalisent l’attention de l’écrivaine, motivée par la manière dont ces femmes se débattent entre conformisme et exigence de leurs propres fantasmes. La vérité est souvent occultée, ou du moins Alice Munro montre ainsi que la vérité profonde des êtres reste souvent enfouie sous le fatalisme des apparences, à moins que…
C’est ainsi que dans Une vraie Vie, Alice décrit avec humour les relations de trois femmes plus campagnardes qu’urbaines dans le Canada des années 30. Les manières n’y sont pas très sophistiquées et la priorité de ce groupe d’amies est fondée sur la survie émaillée de ces plaisirs féminins qui passent pour superflus, comme la couture de robes ou la confection de rideaux. Et pourtant, toutes vont conjuguer leurs efforts pour encourager le remariage de la moins gâtée d’entre elles.
La première nouvelle, Emportés, m’a paru plutôt poignante par sa description de la relation épistolaire qu’une bibliothécaire établit avec un jeune concitoyen blessé sur le front en Europe, en 1917. La jeune femme, Louisa, n’a pas sollicité ce courrier, mais elle s’attache à répondre à ce militaire qui vit de terribles moments, bien que ses descriptions en soient très circonspectes. Et puis, la guerre s’achève et Louisa guette le passage de Jack, qui devrait être rentré. Mais Louisa attend en vain à la bibliothèque, et finit par épouser Arthur Doud, l’héritier de la plus importante entreprise de Carstairs. Un jour, elle finit par apprendre que Jack est pourtant revenu et a épousé une certaine Grace dont il a eu trois enfants, avant d’être tué par accident dans la fameuse scierie Doud. Tout un pan des rêves enfouis de Louisa part ainsi dans l’évanescence du temps impitoyable :
Puis il leva la tête, la secoua, et fit une déclaration.
« L’amour ne meurt jamais. »
Elle se sentit irritée au point de s’offusquer. Voilà tout ce que les discours font de vous, pensa-t-ellle : une personne capable d’affirmer des choses semblables. L’amour meurt tout le temps, ou du moins devient-il détourné, étouffé— Il pourrait tout autant être mort.
( Pages 64-65)
Alice Munro ne progresse jamais de façon linéaire dans la menée de ses récits. Elle procède par sauts de puces, d’un caractère à un autre, d’un événement marquant la petite communauté à l’évocation des souvenirs fondateurs. Son style utilise à merveille la manière anglo-saxonne de dire les choses en ayant l’air de ne pas y toucher. J’ai retrouvé cet art de l’ellipse qui caractérise nombre de femmes de lettres du côté d’Albion : Barbara Pym et sa grande sœur Jane Austen.
Ma nouvelle préférée, celle qui ouvre la plus large fenêtre aux fantasmes s’appelle la Vierge albanaise. Elle comprend soixante pages, mais prend l’intensité d’un roman. Malgré les multiples masques appliqués aux personnages, l’héroïne Charlotte devenue Lottar avant de réapparaître en une étrange visiteuse de librairie, connaît un destin extraordinaire, enlevée par des villageois aux mœurs reculées au cours d’un voyage touristique. Comme dans toutes les nouvelles du recueil, le récit atteint son apogée quand l’auteure rompt le déroulement en nous ramenant à d’autres périodes, nous obligeant à lire plus rapidement pour renouer les fils. Certains lecteurs n’apprécieront sans doute pas le procédé, mais je crois qu’il sert à voiler la crudité des situations, à étoffer le foisonnement onirique de nos consciences.
« Mais je n’étais pas abattue. J’avais opéré un changement radical dans ma vie, et malgré les regrets qui m’étreignaient chaque jour, j’en éprouvais de la fierté. J’avais le sentiment d’être enfin entrée dans le monde, avec une véritable peau neuve. (…) Je lisais, mais sans but ni engagement. Je lisais des phrases prises au hasard dans des livres que j’avais toujours voulu lire. Souvent, ces phrases me semblaient si satisfaisantes, ou si belles et insaisissables, que je ne pouvais m’empêcher d’abandonner tous les mots qui se trouvaient autour pour céder à une émotion particulière. J’étais vigilante et rêveuse, coupée de chaque individu, mais toujours consciente de la ville elle-même—laquelle me semblait un lieu étrange. » (Page 138)
Quels que soient les époques et les personnages créés par Alice Munro, ces histoires nous mènent vers des univers incertains et fragiles, où la réalité des rencontres et des situations fluctue selon les ressentis. Pas de vérité incontestable chez Madame Munro, mais ses qualités de conteuse donnent envie d’aller vagabonder du côté de Carstairs.
NB : il s’agit d’une vraie ville de L’Alberta, mais dépeinte ici dans une version personnelle à l’auteure.
Secrets de Polichinelle
Alice Munro
Points 2012 (éditions de l’Olivier)
Édition originale 1995 Open secrets
19:03 Publié dans Livre, Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alice munro, nouvelles, littérature traduite, canadienne, prix nobel de littérature | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
13/07/2014
L'Arc en ciel blanc
Ce recueil remarquable comporte quatre récits écrits entre 1953 et 1964. Ce sont de longues nouvelles à l’écriture sobre et efficace, et qui ont en commun le poids de l’inexorable qui pèse sur la destinée.
L’arc-en-ciel blanc, qui donne son nom au recueil, est la plus ancienne de ces nouvelles. Il y règne une atmosphère particulière, à la limite du fantastique. Toshisuke a épousé Ayako, beaucoup plus jeune que lui. Immédiatement, il a compris que sa femme n’était pas prête à accepter les relations conjugales. « Leurs corps ne se touchaient pas beaucoup plus. Pour sa part, il n’essayait jamais d’aller vers elle.
Cette relation bizarre était liée à sa réaction lors de la première nuit…Ce soir-là, à l’instant où son mari l’avait touchée, Ayako n’avait pas caché sa violente aversion. »
Toutefois, depuis quelque temps, Toshisuke observe que le comportement d’Ayako se modifie. La nuit, elle semble vivre un rêve éveillé, prétend entendre sa mère décédée, puis elle semble malade. Toshisuke s’inquiète, et l’on pressent sa tendresse à l’égard de sa jeune femme. « Il pensa qu’il venait de goûter pour la première fois depuis leur mariage un sentiment de couple. » Peu après, la jeune femme en vient à avouer le viol dont elle a été victime peu de temps avant leur mariage. Difficile moment pour un couple que celui où cet aveu se révèle lourd de conséquences. Mais Toshisuke assume cette paternité honteuse :
« L’acte impulsif d’un homme (…)…Voici ce qui était à l’origine de tout. De plus, le corps de sa femme n’avait gardé que les conséquences de l’acte de cet homme. L’existence de Toshisuke en tant qu’époux n’avait pas de prise sur ce corps.
Le bébé s’imposait majestueusement dans le couple. Il tétait le sein d’Ayako, Toshisuke le changeait.
Toshisuke chaque soir glissait la bouillotte dans le lit du bébé. Et lui, avec ses jambes toujours glacées, avait le plus grand mal à s’endormir. » (Page 28)
Puis on apprend la mort accidentelle du Bébé. Un procès a lieu dont Ayako est acquittée. Mais le couple sortira-il de cette épreuve ?
Un été en vêtements de deuil (1958) nous entraîne à la suite de l’orphelin Kiyoshi dans le jardin de la maison où sa grand-mère l’héberge. Outre les poules et la domestique de l’aiëule, nous découvrons également sa petite compagne Tokiko et sa mère hébergées dans une resserre à l’écart de la grande maison. Un mystère plane sur les relations de tout ce petit monde, mais il est évident que tous dépendent de cette grand –mère immobile. Une nuit, Kiyoshi est réveillé par des bruits bizarres. Dominant sa peur, le garçonnet explore l ’immense couloir et découvre une trappe menant à une cache… Grand-mère est-elle si malade ? Son père est-il vraiment mort ?
Le troisième récit, étoiles et funérailles (1960) met en scène Jirô, le garçon qui aime beaucoup les enterrements. Jirô est un peu simple d’esprit, mais nous comprenons pourquoi il n’en manque aucun, et se montre tellement scrupuleux sur le déroulement du rituel. On pourrait même le croire très malin, ce Jirô qui vit seul avec sa mère mal aimante. Mais dans le voisinage de Jirô vit Tokiko, pauvre gamine totalement perdue avec son bébé sur le dos. Tokiko est plus malheureuse que Jirô, alors celui-ci n’écoute que son cœur et tente de l’aider. Comment Tokiko perçoit-elle les avances de Jirô ? Incompréhension, maltraitance, inceste et solitude sont les seules vertus promises à ces représentants du petit peuple. Cette nouvelle magnifique me semble la plus désespérée des quatre récits.
Ce sont encore des enfants aux corps maigres, Kiyota et sa sœur Hisae, qui essaient de lutter contre une fatalité. Ce n’est pas la misère qu’ils veulent contrer, par une nuit étoilée, en fuyant la société de recherche close par un Mur de brique ( 1964) où ils demeurent depuis que leur mère s’est remariée avec ingénieur. Oh, ce n’est pas qu’il n’apprécie pas le beau-père, au contraire, ils sont appris à lui être reconnaissants de veiller à leur éducation. Mais en vivant sous son toit, ils ont découvert ce qui se trame dans cette entreprise … Et malgré leur jeune âge, ils ne peuvent accepter ce qu’ils ont découvert. Seulement voilà, peut-on sauver quelqu’un malgré lui ?
J’ai beaucoup aimé la poésie de cette dernière nouvelle, moins désespérée que les récits précédents. Poignant comme l’Arc en ciel blanc, où presque cynique dans Étoiles et funérailles, l’univers de Akira Yoshimura dresse un état de la société japonaise qui étreint par la profonde misère morale autant que matérielle qu’il dépeint. Cette œuvre sombre offre cependant une poésie du dénuement, non comme une fin en soi, mais comme regard sur les êtres faibles et leur manière de se débattre, cette découverte mérite le détour.
L’Arc en ciel blanc
Akira Yoshimura
Actes Sud (2012)
ISBN :978-2-330-00617-4
19:50 Publié dans Livre, Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lecture, littérature japonaise, akira yoshimura, nouvelles | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
29/10/2013
En attendant Poucette…
En attendant notre Poucette, j'ai l'âme en balance, les mots en vacances, l'inspiration en manque.
Panne du clavier, paresse de l’âge ?… Je vous entends mes fidèles-souris. Ou du moins, j’ai bien reçu vos messages d’amitié que la séparation géographique n’éloigne pas des intérêts du cœur. La question est d’actualité : « n’oublie de mettre un SMS dès que tu sauras »…Maintenant que nos inquiétudes concernant la santé de GéO se sont réellement atténuées, il est temps que je revienne à mon pupitre et vous adresse ce petit pêle-mêle des dernières nouvelles qui ont embelli nos jours.
Outre le voyage à Bordeaux sur laquelle je reviendrai, n’ayez crainte, l’événement majeur concerne… Mathis a fêté dignement ses 3 ans. Déjà ! Petit reportage illustré qui satisfera j’espère la curiosité légitime qui m’a été adressée.
C’est d’abord en cuisine que ça se passe. Rejoindra-t-il une Masterclass gastronomique ? Grande question, si l’on en juge par ces témoignages.
Assurément, pour assurer la qualité de sa production, notre cuisinier paie de sa personne…
La question du gâteau réglée, la fête a battu son plein. Non, non, malgré les apparences, Nicolas n’a pas eu besoin de frapper l’impétrant pour qu'il accepte d’ouvrir ses cadeaux.
Mais en ce mois de Septembre, notre sphère a été ému par une autre Grande Affaire: LA RENTRÉE de Mathis. La toute première, celle qui ne manque pas de pincer nos cœurs de mère et grand-mère. Et oui, mes bonnes copines, même moi, malgré tout ce que j’ai dit, pensé et défendu pendant mes années d’exercice, je n’ai pu me défendre de trouver que Mathis est encore bien jeune pour affronter toute une journée d’école! De fait, s’il a manifesté son individualisme en refusant d’abord de participer docilement à toutes les activités, son goût des livres, des mots, des comptines a eu rapidement raison de ses défenses. En peu de temps, Mathis a adopté son nouveau domaine, et puisqu’il y a là des copains…tout va bien.
Il n’empêche, on attend toujours SA petite sœur…
12:56 Publié dans Blog, goutte à goutte, O de joie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nouvelles, famille, écriture, mathis, fête, rentrée | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer