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Auteur : Toni Morrison

Éditeur : Christian Bourgois

Année : 2012

« Puisque vous tenez absolument à raconter mon histoire, quoi que vous pensiez et quoi que vous écriviez, sachez ceci : je l’ai vraiment oublié, l’enterrement. Je ne me souvenais que des chevaux. Ils étaient tellement beaux. Tellement brutaux. Et ils se sont dressés comme des hommes. »
Cette scène d’enfance, Franck l’a vécu à Lotus, Géorgie, dans une famille où la tendresse reste territoire inconnu, et où la règle de vie, prolongement de la scène inaugurale, s’apparente à une menace permanente. Alors, dès qu’il a pu, Franck a quitté sa famille, laissant derrière lui sa sœur cadette dont il sait bien pourtant qu’il est son seul protecteur.
Mais ces éléments fondateurs se livreront au fil d’un récit aussi dense que cahotique, comme l’est sa mémoire de soldat traumatisé. Nous retrouvons Franck au retour de la guerre. La sienne, ce sont les affrontements dans les marécages de Corée, au début des années 50, où le jeune homme a vu mourir ses meilleurs amis. Il en est revenu très abîmé, déboussolé, et les traitements de l’armée pour secourir ses revenants ne sont pas de nature à l’aider. Alors, Franck fuit, à nouveau. Home raconte son périple de retour vers sa maison d’enfance, malgré tout.
Ce n’est pourtant pas un vrai retour aux sources que cherche Franck. Il est surtout dans la fuite, un traumatisme chassant l’autre. L’errance de son personnage permet à Toni Morrison d’aborder les thèmes récurrents du statut des noirs : dénuement, pauvreté, dureté des rapports sociaux, mais aussi embellie de la solidarité, hasards des rencontres, découverte de la résistance des liens, si ténus soient-ils. Au passage, l’écrivaine prend le temps de dresser autour de Lily, la petite amie de Franck, ou de Cee sa sœur cadette, des situations manifestes de la précarité du statut des femmes noires. Et justement, c’est un petit mot de sa sœur, Cee, qui tire Franck vers le Sud, et l’intrigue prend un autre tour. Franck redevient le grand frère protecteur. Mais contraint d’observer les femmes et leurs ressources issues de leur extrême simplicité, il peut enfin libérer en lui les forces occultantes de ses maux.
Home est un roman court, simple en apparence, mais dont le cheminement aux tréfonds de la nature humaine sublime la force de l’authenticité de chacun de nous. Le retournement final est inattendu, mais il ponctue d’une touche d’espoir rédempteur la noirceur du propos.

Citation pages 124-125, illustration du pouvoir des mots à travers une description ambiante :
« Le temps était si lumineux, plus lumineux qu’à son souvenir. Ayant absorbé tout le bleu du ciel, le soleil se prélassait dans un paradis blanc, menaçait Lotus, torturait son paysage, mais échouait à la réduire au silence : des enfants riaient encore, couraient, criaient leurs jeux ; des femmes chantaient dans les jardons à l’arrière des maisons tout en accrochant des draps humides sur des cordes à linge ; de temps à autre, une soprano était rejointe par une voisine alto ou bien un ténor qui ne faisait que passer par là. (…) Franck n’avait pas emprunté cette route de terre depuis 1949 ni foulé les planches de bois recouvrant les endroits dévastés par la pluie. Il n’y avait pas de trottoirs, mais chaque jardin, devant comme derrière les maisons, exhibait des fleurs protégeant les légumes des maladies et des prédaturs : soucis, capucines, dahlias. Cramoisis, violets, roses et bleu de chine. Ces arbres avaient-ils toujours été de ce vert profond, tellement profond ? Le soleil s’évertuait à consumer la paix bénie que l’on trouvait sous les vieux arbres au vaste feuillage ; s’évertuait à anéantir le plaisir d’être parmi ceux qui ne veulent pas vous rabaisser ni vous détruire. »

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