No et moi
Auteur : Delphine de Vigan
Éditeur : Poche ( JC Lattès)
Année : 2007
Sous l’apparence d’un récit léger, Delphine de Vigan nous propose une très belle histoire, pas si naïve qu’on l’aurait cru au premier abord.
Lou Bertignac, la narratrice, est une ado surdouée. Elle a grandi entre une mère profondément dépressive et un père investi dans la compensation des lacunes maternelles. Du haut de ses quatorze ans, Lou n’est pas dupe, mais elle est surtout ravie d’avoir réintégré un collège normal, entourée de congénères plus âgés qu’elle. Elle s’absorbe dans l’observation attentive des mœurs de ses camarades de cours autant que des anonymes qu’elle choisit de rencontrer dans les lieux publics C’est ainsi que le hasard lui permet de rencontrer une jeune fille plus âgée qu’elle. Elle devine tout de suite que No vit dans la rue. Sa curiosité insatiable trouve d’abord là un nouveau sujet d’étude, mais en réalité ce qui motive l’intérêt de Lou est une attirance pour la différence de cette personnalité habitée par le malheur:
« J’ai revu la pâleur de son teint, ses yeux agrandis par la maigreur, la couleur de ses cheveux, son écharpe rose sous l’empilement de ses trois blousons j’ai imaginé un secret,iun secret planté dans son cœur comme une épine, un secret qu’elle n’avait jamais dit à personne. J’ai eu envie d’être près d’elle. Avec elle.
(…) En même temps il m’a semblé qu’elle connaissait vraiment la vie, ou plutôt qu’elle connaissait de la vie quelque chose qui faisait peur.(Page 20)
No va ainsi entrer dans la vie de Lou, en réponse à ce besoin inassouvi de présence et de compréhension des lourdeurs de l’âme, ce mal-être qui éloigne la mère de Lou de ses devoirs familiaux. Elle espère de toutes ses forces créer avec No une complicité affective réelle, elle souhaite apprendre de No les ressorts de cette détresse qui ronge les êtres.
À ses côtés, Lou bénéficie pourtant d’une autre présence bienveillante : Lucas, le cancre rebelle, détaché de tout, figure énigmatique et donc séduisante du garçon qui n’a besoin de rien ni de personne. Sauf que Lucas, héros solitaire et sans crainte, manifeste une attitude protectrice à son égard, alors que Lou peine à trouver sa place parmi les autres élèves.
Bientôt, Lucas et Lou en viennent à partager l’aide secrète qu’ils essaient d’apporter à No. Mais il est si difficile d’apporter la lumière dans les tunnels d’un malheur congénital. Lou vit alors les hauts et les bas de No comme une initiation au monde « réel », loin de l’univers protecteur que ses parents ont tenté de forger pour elle. Au travers de ces péripéties, elle pourra assister à la résurrection de sa mère face à plus perdue qu’elle-même… Solidarité du malheur, éveil de la jalousie, solubilité des résolutions dans les addictions…
Pour aborder tous ces sujets graves, la plume de Delphine de Vigan se fait légère, elle prête à Lou un langage simple et efficace, la trace légère d’une âme généreuse, sans à priori.
( Page 190)
Dans les livres, il y a des chapitres pour bien séparer les moments, pour montrer que le temps passe ou que la situation évolue, et même parfois des parties avec des titres chargés de promesses, La Rencontre, L’espoir, la chute, comme des tableaux. Mais dans la vie, il n’y a rien, pas de titre, pas de pancarte, pas de panneau, rien qui indique « attention danger, éboulements fréquents ou désillusion imminente ». Dans la vie, on est tout seul avec son costume, et tant pis s’il est tout déchiré.
En frottant son enfance finissante aux tourments de No, Lou ne peut que grandir. Et tant pis pour les illusions perdues, lou apprend à vivre entre le chagrin et l’amitié, le sacrifice et l’amour, le désespoir et la reconnaissance…
Une belle histoire, accessible sans mièvrerie ni pathos.
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