Le mec de la tombe d'à côté
Auteur : Katarina Mazetti
Éditeur : Babel ( Actes Sud)
Année : avril 2009
Cette fois, je dois ma découverte à la charmante libraire du Jardin des Lettres de St Max…
La couverture choisie par l’éditeur présage du charme rafraîchissant et romantique de ce cœur rouge franc se détachant sur le turquoise à fronces de la robe bleue.
Promesse tenue… Avec ce titre étrange et intrigant, le roman de Katarina Mazetti est charmant, attendrissant, et parfois même désopilant… Il est surtout humain, explorant avec finesse et tendresse les arcanes de nos attirances amoureuses.
Désirée a été mariée avec Örjan Wallin, et si elle se rend si fréquemment au cimetière, c’est surtout pour exprimer à son défunt époux les sentiments que lui inspire sa disparition trop précoce : « La vérité, et elle est pénible, c’est que la moitié du temps, je suis furieuse contre lui. Foutu lâcheur, tu aurais quand même pu faire plus attention avec ton vélo. Et le reste du temps, je ressens probablement la même chose qu’un enfant quand son vieux canari malade finit par rendre l’âme… » (extrait p 8)
Désirée est honnête avec elle-même, et d’une réflexion à l’autre, elle s’avoue bien vite que si son compagnon était vraiment un mari irréprochable, leur mariage a tourné un peu vite à la routine.
« Nous sommes restés mariés cinq ans et pendant ce temps-là, nous ne nous sommes pratiquement pas disputés (…)
Ce n’était pas grâce à moi. Örjan ne se disputait avec personne. Il expliquait aimablement et inlassablement son point de vue jusqu’à ce qu’on baisse pavillon par pur épuisement. » ( p 18)
Quelques lignes (page 10) composent sous une apparente lucidité un état des lieux sarcastique: « Quelque part me taraude aussi un petit sentiment de pure déconfiture. Je suis tout simplement dépitée qu’Örjan soit allé mourir bêtement comme ça.
Nous avions tout planifié, pour notre avenir proche comme pour le lointain ! Vacances en canoë-kayak dans le Värmland et chacun sa confortable retraite complémentaire.
Örjan aussi devrait être dépité. Tout ce tai-chi, ces pommes de terre bios et ces acides gras polysaturés. Qu’est-ce que ça lui a rapporté en fin de compte ?
(…)
Je ressens aussi parfois un léger frémissement impatient entre les jambes, après cinq mois de célibat. Ça me donne l’impression d’être nécrophile.
Parallèlement aux réflexions douces-amères de Désirée, Katarina Mazetti expose régulièrement les pensées du Mec de la tombe d’à côté. Observant scrupuleusement l’alternance de leurs voix un chapitre sur deux, l’auteure donne la parole à deux êtres radicalement aussi dissemblables que le sont les tombes de leur proche. Le voisin de cimetière, Benny, très vite rebaptisé « Le Forestier » par Désirée vient rendre compte à sa mère de ses difficultés à tenir seul sa ferme. Il remarque également sa voisine de tombe et traduit à sa façon le malaise que lui inspire cette femme trop fade :
« Putain, je ne peux pas la blairer, je ne peux vraiment pas la blairer !
Pourquoi elle est tout le temps assise là ?
(…)
Décolorée comme une vieille photo couleur qui a trôné dans une vitrine pendant des années. Des cheveux blonds fanés, le teint pâle, des cils et sourcils blancs, des vêtements ternes et délavés, toujours un truc ciel ou sable. Une femme beige.… »( p 12-13)
Comment imaginer dès lors qu’un lien puisse peu à peu se tisser entre deux personnes aussi éloignées ?
C’est à ce point que réside la finesse de l’observation que mène Katarina Mazetti : les rejets que ressentent ces deux personnages l’un envers l’autre leur permettront, par la magie d’un sourire échangé, autre malentendu finaud, d’ouvrir la porte de la curiosité, avant-garde d’un étrange désir qu’ils ne comprennent ni l’un ni l’autre.
Notre bibliothécaire, citadine cultivée, exprime ses émotions par référence à la poésie, le lecteur repérera rapidement la citation en exergue des chapitres consacrés à son point de vue. Katarina Mazetti veille à pourvoir ses deux personnages d’un ton propre, ce qui rend aisée la pratique de l’alternance des voix.
- Alors, me direz-vous, comment ces deux-là vont-ils s’aborder et entamer le face à face amoureux que nous attendons forcément ?
- Tout doux, ami lecteur, je ne vais pas déflorer si vite cette pavane lente et savante à laquelle même les humains les plus primitifs ne sauraient échapper quand Éros frappe à la porte… D’autant que l’intérêt du roman ne réside pas vraiment dans cette romance improbable. La finesse du sujet, vous confiais-je en introduction, repose davantage sur la manière de rapporter, avec lucidité et pragmatisme les différentes phases du désir, la bonne volonté avec laquelle chacun d’eux consent à creuser dans son cœur une place pour l’autre, et le constat obligé des écueils qui se présentent inévitablement dans la mise en place du vécu. Même si Désiré et Benny ont passé l’âge des amours absolues, l’un et l’autre aimeraient construire une relation viable…Sans renier ses choix préalables. Benny rêve d’une femme à la ferme, solide pourvoyeuse de plats cuisinés revigorants et chaleureux, il attend une aide concrète et espère que Désirée se fonde dans son monde… Celle-ci se rend à la campagne parce que Benny ne peut disposer de son temps, mais elle s’y sent totalement étrangère et ne parvient pas à entendre ce que Benny attend d’elle.
Le couple n’échappe pas à l’impasse que l’on pressent dès le premier sourire échangé…
Malgré cette apparente banalité, ou à cause de cela justement, le charme du roman tient au ton adopté. D’abord, le croisement des points de vue est intéressant. Dans la vraie vie, combien de pièges éviterions-nous si nous pouvions suivre nos débats en accordant à l’autre une oreille objective ? Katarina Mazetti propose ce jeu de ping-pong sentimental avec humour et second degré :
« - Tu m’autorises à fouiller dans tes tiroirs ? a-t-elle demandé ?
Je me suis dit que je n’avais rien à cacher, à part peut-être un vieux magazine porno, et je l’assumerai sans problème.
Mais elle a trouvé quelque chose de bien pire.
Mon dernier bulletin de notes du collège.
Elle a encaissé tous mes quatre et cinq sur cinq pendant que son menton tombait de plus en plus vers ses petites prunes de seins. Puis elle a commencé à bégayer d’excitation en disant que si on lui permettait d’exprimer son opinion, alors c’était honteux de la part de mes parents de ne pas m’avoir fait faire d’études. (…)
C’est la première fois que je me suis mis dans une colère noire et aveugle contre elle. J’avais envie de lui en coller une en plein sur sa figure coquille d’œuf pâle et faire gicler le sang du nez. Mais dans ma famille, c’est simple, on ne frappe pas les femmes. Pas parce qu’on est particulièrement chevaleresque, j’imagine, plutôt parce qu’on ne veut pas gâcher une main d’œuvre précieuse.
Mais elle, là, j’avais envie de la frapper, et on ne pouvait pas vraiment parler de main d’œuvre dans son cas. » ( extrait page 158-159, édition Babel)
Le second intérêt de ce roman me semble plus personnel, car à bien y regarder, chacun se reconnaîtra plus ou moins dans la coexistence entêtée que les couples vivent, ou supportent selon les cas. Le sujet est vieux comme le monde, la fameuse disparité masculine féminine et la volonté d’imposer son point de vue. Cette petite guerre intestine, secret des couples, qui stimule d’abord les sens avant d’user les sentiments… C’est là le thème réel que l’auteur expose à travers l’idylle inattendue du Forestier et de la bibliothécaire beige. Sans prétention, le livre offre le mérite de sa sincérité.
Bien entendu Katarina Mazetti réserve un dernier rebondissement à ses deux personnages en quête « d’amour mode d’emploi », mais sur ce point, il vous faudra d’abord vous résoudre à suivre les cheminements labyrinthiques de ces jeux de l’amour et du hasard contemporains cuisinés à la sauce suédoise.
Le mec de la tombe d’à côté
Katarina Mazetti
Traduit du Suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus
Éditeur Babel (Actes Sud)
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