Les hommes cruels ne courent pas les rues
Auteur : Katherine Pancol
Éditeur : Points ( le seuil)
Année : 1997
Sous ce titre curieux, il s’agit bien d’une course à l’Homme que Katherine Pancol suit dans les rues de New York. Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre sur l’homme dont il est question, et comme le soufflait en son temps l’une de nos institutions nationales : « un homme peut très bien en cacher un autre «!
L’héroïne de ce roman publié en 1990 est une femme malheureuse, paumée, qui fuit un chagrin perturbant dans les rues de cette ville étrangère. Comme si changer le décor pouvait effacer les peines profondes. Malgré la compassion, la commisération, puis les remontrances de ses amies, elle espère moucher son chagrin et le jeter avec son mouchoir en papier. Alors la rencontre d’un alien , en la personne d’Allan, apparaît comme une bouée de sauvetage. Seulement voilà, le chagrin d’amour que fuit la trentenaire éplorée n’est pas celui d’un compagnon sentimental, c’est celui infiniment plus destructeur et corrosif d’un père qui lui a enseigné une façon d’aimer perverse, insensée : « je t’aime, donc je t’abandonne… »
Et le cœur de la narratrice oscille en permanence entre rébellion et tendresse inassouvie, reine d’un instant aux yeux de son géniteur qui l’oublie à la minute même où elle cède au vertige de la séduction.
Ce petit jeu vicieux l’a si bien déformée qu’elle ne parvient pas à accepter l’idée d’être aimée. Dès qu’un soupirant devient trop concret et envisage la vie à deux, elle s’affole, se transforme en furie incontrôlable et s’acharne au saccage de l’union promise. De sorte qu’elle traîne son célibat comme une valise mythique, malgré le temps qui passe et l’horloge qui s’affole. Le décès de ce père adoré autant que haï provoque des réminiscences perturbantes et aggrave encore son rapport à l’autre, l’Homme Idéal .
Sous le charme de l’écriture incisive, nous suivons donc les pérégrinations du duel amoureux entre la narratrice et son séducteur, qui n’est jamais si attirant que lorsqu’il se révèle cruel…
Ce n’est pas tellement le thème de ce roman qu’il faut retenir, mais plutôt la liberté du ton adopté par Katherine Pancol. Autant l’auteure ne parvient pas toujours à se distancier de stéréotypes que nous appellerions aujourd’hui " personnages de chicklit" , autant le style direct de la narration est efficace. Les phrases s’enchaînent et se percutent sous la violence de son chagrin, traduisent l’obstination du refus de guérison, l’impatience du papillon qui se jette contre l’abat-jour. Ce rythme de bagarre entre les mots et les maux constitue une excellente mise en scène des contradictions du cœur et c’est à ce niveau-là que ce roman est touchant.
Et si "les hommes cruels ne courent pas les rues" ne s’apparente pas aux grands romans incontournables, il permet de confirmer le talent de Katherine Pancol à servir la langue et à utiliser les mots pour traduire des sentiments douloureux, avec tendresse, humour et une pointe de sagacité.
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