l'Énigme du retour
Auteur : Dany Laferrière
Éditeur : Livre de poche 2011 ( Grasset 2009)
Année : 2009
Par l’Énigme du retour, Dany Laferrière poursuit le but clairement énoncé de tisser un lien avec ses racines. L’écrivain haïtien s’est exilé depuis plus de trente ans au Canada, où » il a fait son trou », il s’est établi comme poète dans cette communauté qui l’a adopté. Mais le décès de son père, qu’il ne l’a plus revu depuis sa petite enfance, provoque un séisme intérieur : son père n’est pas seulement l’Absent, il est aussi l’Exilé, celui qui est mort dans la solitude d’une mégapole qui n’est pas sienne, loin de sa famille.…
Or, trente ans d’absence ont ouvert un véritable abîme entre le jeune homme qui a fui un pays englué sous la dictature et l’homme fait qui découvre un état des lieux qu’il aurait préféré idéalisé. Il tente alors de donner forme à la confusion de ses sentiments, et nous livre un ouvrage étrange et déroutant, envoûtant et pénétrant, touchant et percutant où tout voyageur de longue haleine reconnaîtra les appréhensions des retrouvailles.
Le dire de Dany Laferrière ne semblera peut-être pas facile à tous les lecteurs. Je vous conseille de vous laisser happer par le rythme de sa parole, par l’alternance d’un phrasé versifié sans chercher à rationaliser ce flux de pensées. Abandonnez vous à ce murmure dans la nuit, il ouvre des portes à nos vécus, à nos peurs, à nos attentes.
« Bien au chaud, on cause aisément
Tout en pansant de vieilles blessures.
Les blessures dont on a honte
Ne se guérissent pas.
(…)
J’ai perdu tous mes repères.
La neige a tout recouvert.
Et la glace a brûlé les odeurs.
Le règne de l’hiver.
Seul l’habitant pourrait trouver ici son chemin. »
(…)
Je suis conscient d’être dans un monde
À l’opposé du mien.
Le feu du sud croisant la glace du nord
Fait une mer tempérée de larmes. »
(page 16 – 17 de l’édition de poche)
Mais à l’instant de rentrer, l’homme prend conscience de la difficulté à réintégrer l’ancien monde :
« Le temps passé ailleurs que
dans son village natal
est un temps qui ne peut être mesuré.
Un temps hors du temps inscrit
Dans nos gènes.
Seule une mère peut tenir pareil compte.(…)
Les visages autrefois aimés s’effacent
Au fil des jours de notre mémoire brûlée. » ( Pages 37-39)
Bien sûr, il y a le retour, l’instant de poser le pied au pays, de prendre d’abord un moment, à l’hôtel, pour re- connaître la ville, les bâtiments, les ruelles et leurs odeurs… Je me suis étonnée qu’il n’aille pas tout de suite chez lui, prendre dans ses bras cette mère qui l’a tant attendu. Mais cette attente n’est pas figée, c’est un compte de souffrance et de stratégie, d’adaptation aux périls et aux difficultés où la survie fait la loi. C’est là que tient cette énigme qu’il faut apprivoiser :
« Ma sœur est encore plus secrète que ma mère.
À la voir toujours souriante on n’imaginerait pas
Qu’elle vit dans un pays ravagé par une dictature
Qui ressemble à un cyclone
Qui n’aurait pas quitté l’île pendant vingt ans.
(…)
Ma sœur parle tranquillement
Sans me regarder.
On dirait une petite fille oubliée
Par ses parents dans la forêt noire
Et qui se demande combien de temps cela prendra avant qu’elle ne rejoigne la meute.
(…)
Je suis pris d’un tel sentiment de remords.
J’ai l’impression d’un gâchis incroyable
Ma mère, puis ma sœur.
Les femmes ont payé le plein prix dans cette maison.
(page 115-116)
Au fil des jours, Dany Laferrière explore ce pays qu’il ne connaît plus. Il renoue des fils qu’il pensait dissous, il constate des fractures difficiles à redresser, il cherche la paix dans la quête du cimetière où les cendres de son père doivent retrouver la terre natale et ses liens sacrés. Il doute encore et s’interroge sans cesse sur ce qu’il est réellement :
« Juste au moment de remonter dans la voiture
on a changé d’idée
pour entrer nus dans la mer chaude
et y rester
jusqu’à la nuit tombée.
Le chauffeur assis sur le capot de la voiture
nous attendait sans un geste d’impatience.
L’étrange calme de l’homme du sud.
J’ai senti
Que j’étais
Un homme perdu
Pour le nord quand
Dans cette mer chaude
Sous ce crépuscule rose
Le temps est subitement devenu liquide. »
(pages 230-231)
Quand enfin l’auteur se fond dans la terre humide et chaude comme dans la mer caraïbe qui l’enserre, il se rassure sur cette dualité :
« Nous avons deux vies.
Une à nous.
La seconde qui appartient
A ceux qui nous connaissent depuis l’enfance » (page 264).
Réconcilié avec lui-même, le poète peut poser enfin les mots qui tracent le sens de sa vie : (pages 279-280)
« Ce n’est plus l’hiver.
Ce n’est plus l’été.
Ce n’est plus le nord.
Ce n’est plus le sud.
La vie sphérique, enfin.
Ma vie d’avant n’est plus si loin.
(…)
Une main douce
Sur mon front apaise la fièvre.
(…)
On me vit aussi sourire
Dans mon sommeil.
Comme l’enfant que je fus
Du temps heureux de ma grand-mère.
Un temps enfin revenu.
C’est la fin du voyage. »
Puissions-nous tous connaître ainsi la fin de notre chemin.
Celui de Dany Laferrière est heureusement loin d’être achevé !
Certains d’entre vous ont peut-être croisé cet « étonnant voyageur » qui participe activement à la reconnaissance de la littérature francophone. En 2009, l’Énigme du retour lui a permis d’obtenir de prix Médicis, il vient de publier en 2012 Chronique de la dérive douce, qui raconte la découverte de sa nouvelle vie au début de son exil… Une boucle bien refermée cette fois ?
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