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13/06/2016

Je me souviens de tous vos rêves

Le dernier opus de René Frégni appartient à cette catégorie des livres- conversations qui sont autant d’invites à la résonance de nos propres émotions. Ce sont les deux derniers chapitres qui révèlent les intentions réelles qui sous-tendent les précédentes confidences :

Page 145 : «  J’aurais voulu faire un livre sur le silence, remplir ce cahier de silence, dessiner des mots de plus en plus silencieux, comme on entre dans l’eau des rêves.

Je n’ai jamais ressenti, à travers les saisons de ma vie, un tel besoin de silence. Dans ce cahier, j’ai voulu parler d’un libraire, de mon chat, de quelques hommes perdus, parler de la lumière des collines, du visage d’Isabelle, de la douceur des chemins les après-midi d’automne, de cette petite table où j’invente la tendresse, en écoutant derrière la vitre les voyages du vent. »

 Aucun éditeur n’aurait pu résumer en « quatrième de couve » de meilleure incitation à découvrir les mots de René Frégni.

 

Certains d’entre vous connaissez déjà cet écrivain méridional pour ses romans noirs, récits durs inspirés de ses propres expériences: Les chemins noirs, Où se perdent les hommes, Lettre à mes tueurs, Sous la ville rouge. Mais il ne faudrait pas ignorer le René Frégni conteur philosophe, l’homme poète qui,  comme Christian Bobin, sait s’extasier et partager la lumière d’un rayon de soleil déchirant la brume, l’argent des oliviers frémissant dans le vent, la présence charismatique d’un chat réchauffant votre solitude… Après la fiancée des corbeaux, tel est cet ouvrage au titre percutant, Je me souviens de tous vos rêves.

Parce que René Frégni est un humaniste, un écrivain puisant à la source des autres, ainsi qu’en témoigne son récit d’amitié avec Joël Gattefossé, le libraire génial de Banon qui a inventé un village-librairie… Le chapitre qui lui est consacré est des plus émouvants, et l’on se prend à refaire le monde, abolir les horribles règles comptables et les banquiers incultes qui ruinent les rêves des grands enfants.

Mais quel que soit le sujet abordé, parmi toutes ces anecdotes qui pourraient appartenir à chacun d’entre nous,  lecteurs du dimanche ou dévoreurs du soir, se niche toujours la petite remarque qui touche le cœur et l’esprit, qui nous conduit à une réflexion inattendue et aussitôt reconnue pour sa justesse. Ainsi, quand il évoque le cimetière où reposent ses parents, page 97 :

«  En faisant le tour pour remettre ces fleurs debout, j’ai vu que la mairie avait agrandi le cimetière, c’est plutôt bon signe, preuve que le village, lui, ne meurt pas. »  

Je me réjouis donc de rencontrer à nouveau demain chez ma libraire Catherine cet écrivain généreux et inventif, qui confesse aimer l’écriture comme «  un combat de chaque mot entre contrainte et liberté. Rien n’est plus érotique que l’écriture », (  page 117).

Et si «  le ciel est bien trop petit aujourd’hui pour contenir tous les nuages » (page 102), les pages de ce livre nous offrent bien plus encore en partageant avec nous les rêves d’un homme assagi que l’amour d’une mère disparue émeut encore au coeur de ses nuits :

« J’ai été réveillé par les pleurs de ma mère au fond de ma poitrine, comme elle recevait dans la sienne, jadis, la secousse des miens. (…)

 

Je ne choisis pas mes rêves, ils m’apportent ce qui me manque le plus. ( Page 149)

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Je me souviens de tous vos rêves

René Frégni

Gallimard (la blanche) nrf Janvier 2016

ISBN : 978-2-07-010704-9

26/08/2013

Des Rabastitouilles dans mon sacpoche…

À l’heure où nos esprits se laissent happer par  la rentrée, prêts à oublier que l’été  court encore  quelques semaines — dans ma contrée à tout le moins — il est bon de commencer la collection des souvenirs estivaux. Je n’oublierai pas de loger dans mon « sacpoche » la réminiscence délicieuse des moments partagés,   pépites merveilleuses qui d’années en années constituent l’essence de nos sentiments d’exister.

D'autant que certaine situation constitue une perle rare qu'il convient de préserver:

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Familles et amis, nos cercles intimes et familiers, nos rencontres nouvelles, la douceur de vivre un soir sans fin sous les étoiles, l’éblouissement des matins lumineux et déjà chauds aux côtés de Mathis, les visites de nos jeunes que leur épanouissement pare de toutes les promesses … 

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Il y a eu moins de monde cet été dans notre royaume, mais chacune des visites a été vécue intensément et chaleureusement.  Il y eut beaucoup de bonne humeur, même quand Mathis s’est interrogé sur la valeur des « rabastitouilles » de Papyrache : fallait-il s’émouvoir vraiment des sempiternelles promesses de fessées et autres gracieusetés dispensées ? Philosophe, l’enfant a résolu la question : la vie est faite de diversité, chaque adulte a sa place, chaque caractère a sa fonction, pour preuve, moins de 5 minutes ont été nécessaires pour adopter Papy Pierre…

 

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Quant aux promesses de manger tout seul, comme un grand… Soit, mais à condition que le poisson soit mieux épluché   -— Non, là, j’ai un trait dans la bouche !— dans tous les cas, un petit coup de main ne se refuse pas…

 

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28/03/2013

Fanchette grand-mère

Dix jours en tête-à-tête avec Mathis, quoi de plus réjouissant ? La promesse d’un tel moment donne des ailes, vous le savez, ô vous mes fidèles-souris-discrètes qui partagez le statut délicieux et délicat  d’aïeule… Malgré l’éloignement géographique, je n’entends pas céder une once de partage quand l’occasion se présente : les envies de soleil des parents représentent une aubaine,   je ne me suis pas fait prier pour enfourcher mon beau destrier, en trois heures de  TGV, me voilà prête à l’emploi…

 

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Prête à l’emploi ?

 Je vous entends sourire sous cape,   la formule paraît cocasse, « tu es un être humain pourquoi  diable vas-tu suggérer un mode d’emploi de la fonction ? »

Effectivement, dès mon arrivée, nous entreprenons avec les heureux vacanciers le tour de l’appartement et des différents repères indispensables, rangement du carnet de santé, adresses utiles, clés du local à  poubelles, fonctionnement des différentes machines, à laver, à cuire, même la rutilante cafetière à expresso, café Longo, latte, avec ses fonctions filtres, rinçage et tutti quanti… Nous descendons au garage vérifier que je saurai ouvrir les portes, ma Douce y range sa voiture dans le bon sens pour mon confort et branche le sacro-saint Tom Tom, tant elle sait que je ne manquerai pas d’en avoir l’usage. Que peuvent-ils prévoir de plus pour planifier et faciliter le bon déroulement des vacances de Mathis et sa grand-mère ?

Impossible d’en douter, j’avais en  main toutes les facilités de services.

 

En prime, notre  programme de réjouissance comprenait le premier pestacle auquel Mathis allait assister. Audrey avait réservé des places pour une adaptation musicale du livre de la jungle, au théâtre du Temple. Représentation dimanche à 14 heures. Très bien, j’organise la matinée pour que Mathis déjeune de bonne heure, du plat qui le régale afin d’accélérer l’incontournable rituel jeu des repas, et foi de Doudie, bien  avant l’horaire que je m’étais fixé, nous quittons l’appartement pour rejoindre en toute quiétude la capitale.

C’était évidemment bien trop tranquille.

Mon Mathis, docile et heureux, s’installe dans son siège sans attache, le temps que je gagne le jour de la rue. La voiture sagement rangée le long du trottoir, je ressors pour crocheter les attaches du harnais de siège bébé, selon l’usage. Et c’est là que ça se corse…

 

Vingt minutes plus tard, je suis toujours penchée sur le dispositif, tournant et retournant en tous sens les deux griffes métalliques qui doivent manifestement s’insérer l’une à l’autre avant de plonger ensemble dans la boucle qui remonte au niveau de l’entrejambe. Mon avance horaire a fondu, mais je m’efforce de rester aussi calme que possible, Mathis ne bouge pas, il est d’une patience merveilleuse, se contentant de ponctuer mes efforts de remarques compatissantes. À la fin, fort désappointée, je hèle un jeune homme armé d’une baguette de pain, manifestement en route pour le déjeuner dominical en famille. Sans vergogne  pour ma blondeur, je laisse Fanchette  exprimer son désarroi, et convainc facilement le jeune homme de s’intéresser au démoniaque système. Dix minutes plus tard, son caractère serviable jette l’éponge : —« Vous savez, je ne suis pas encore papa, alors je n’y connais rien… »

 

Que croyez-vous que fit Fanchette, en telle détresse ?

La priorité m’apparaissait clairement : pour rien au monde, je n’aurais privé Mathis du pestacle promis. Le trajet en métro s’annonçait beaucoup trop long, avec ses changements de lignes et le rythme du dimanche…

Quand il s’agit du sourire d’un petit, rien de tel qu’un taxi…

 

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13/10/2012

"Damien" autour du monde

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 Gérard Janichon

Édition Transboréal, collection sillages.

Réédition 2010

Première parution 1998

ISBN : 978-2-913955-86-8

 

 

 

Envie de vous évader un peu de la grisaille ambiante, des embouteillages routiers, des perspectives misérabilistes dont on nous rebat les oreilles ? Ménagez-vous alors un bon moment car l’embarquement sur  le « Damien » est un voyage au long cours : « 55 000 milles de défis aux océans » selon le sous-titre que Gérard Janichon a donné à son récit. Sans compter les 50 pages d’appendices techniques qui ne manquent pas d’intérêt une fois que l’on s’est accroché aux aventures du binôme, le récit de Janichon s’étale sur 609 pages … Le temps ne compte pas quand on aime !

 

En réalité, l’entreprise n’est pas récente et cette troisième édition nous offre l’occasion de remonter dans le temps, pour constater in petto que malgré les avancées technologiques qui ont marqué les quarante  années qui nous séparent de leur départ mythique, le décalage  entre les partants et les restants n’a rien perdu de son acuité, de sa véracité. C’est pourquoi Gérard Janichon ajoute en guise de  post-face ces vers de Paul Fort :

 Ils ont choisi la mer,

Ils ne reviendront plus.

Et même s’ils reviennent,

Les reconnaîtrez-vous ?

La mer les a marqués

Avant de vous les rendre.

C’est l’aveu final qui conclut effectivement la relation de ce voyage extraordinaire.

Et l’on mesurera d’abord la teneur du défi en suivant l’élaboration du projet : Ces copains grenoblois n’étaient pas prédisposés à se retrouver en équipage sur les mers du monde, entre les deux pôles ! Mais les rêves poussent certains avec une force insoupçonnable. Les garçons ont conçu  leur dessein au cours de leurs années lycée, et c’est planche par planche qu’ils ont conquis à la sueur de  petits boulots annexes le droit de réaliser l’épopée. Il leur a fallu quelques années pour fabriquer leur voilier, grâce à certaines amitiés gagnées par la ténacité du trio de départ.  Ils se sont donné des contraintes de raison, ont étudié la faisabilité (l’affreux vocable), ont cherché maints et maints soutiens, ont osé innover, ont beaucoup lu, et se sont quand même entraîné entre la Rochelle et les îles vendéennes à la maîtrise des manœuvres.

Vint le jour J.  Je n’ambitionne pas de vous rapporter leur périple par le menu… C’est autrement captivant de suivre ces aventures par les mots de celui qui les a vécus. Mais une fois embarqués vers le Spitzberg et les premières glaces, attendez-vous à partager les veilles des quarts solitaires sous les aurores boréales, à découvrir l’hospitalité des gens de mer et les rencontres hasardeuses.  Étonnez-vous des difficultés de navigation lors de la remontée de l’Amazone, constatez les bienfaits du rhum qui coule abondamment à bord et surtout, sautez de joie et de soulagement quand les deux rescapés du Cap Horn sortent enfin du chavirage au large de la Géorgie du Sud, territoire hostile dont je n’avais même pas idée avant de plonger dans les péripéties de ce tour du monde.  

Voilà un récit de voyage qui ne sent pas l’esbroufe et l’appel des caméras. L’édition est agrémentée de cartes « à main levée » et de quelques  photos au centre de l’ouvrage, comme une respiration entre les deux hémisphères, le temps de reprendre souffle par cette escale visuelle.

Bonne lecture et bon vent…   

04/06/2011

C'est l'histoire…

C'est l'histoire  est un jeu de créativité proposé dans le cadre de l' ACL.

Les lignes en vert constituent le point de départ d'une histoire. C'est  Galina qui a donc imaginé la situation que je me suis ensuite appliquée à dérouler… Lorsque nous nous sommes revues quinze jours plus tard, elle ignorait comment j'avais mené son affaire…

 

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Tempête à bord…

 

 

    C’est l’histoire de cette traversée et de son équipage sur le paquebot “Cambodge “. J’avais alors vingt-trois ans. Mes malles étaient entassées dans la cale parmi d’autres et inaccessibles. Je passais le plus clair de mon temps à visiter le paquebot avec ses couloirs, ses escaliers, ses écoutilles à n’en plus finir. Parfois même, je prenais des portes et des couloirs sans savoir où ils me mèneraient. Mais ce qui me plaisait le plus, c’était de me retrouver à la coupée du commandant.

    Là, j’observais la passerelle du paquebot s’étendant devant moi, se terminant en pointe, comme une flèche, faisant corps avec l’étendue de l’Océan.          

 

**

    Comme souvent, ce jour-là, je m’étais glissée dans la coupée, avec l’accord tacite et bienveillant des marins de quart. Depuis mon  poste d’observation, je réalisais peu à peu une certaine tension des hommes à leurs postes.

             Au loin, l’horizon s’assombrissait et devenait menaçant. Le commandant pris le message que lui tendait son personnel radio.

          - Nous allons rencontrer une tempête, assez forte, informez le personnel et l’équipage, lança-t-il.

         À peine avait-il donné ses ordres que  l’apparence des flots autour de nous s’était complètement modifiée. Du bleu profond auquel nous étions habitués, la mer avait viré au gris sombre, se creusant de plus en plus profondément, les crêtes  mouvantes et désordonnées  s’ornant de larges festons blancs.

    Semblant prendre conscience de ma présence pourtant discrète, le commandant m’ordonna de regagner les ponts inférieurs avec les autres passagers. Son ton était tellement déterminé que j’obtempérai sans répliquer.

 

    Il était d’ailleurs grand temps de se mettre à l’abri. En quittant le pont supérieur, j’eus le temps de regarder par les baies vitrées du grand salon. Je vis passer en un éclair ce que j’identifiais comme des matelas ou des couvertures de transats, que le personnel n’avait pas eu le temps de ramasser. »Profits et pertes » pensais-je en souriant. L’instant d’après, le navire plongea violemment dans un creux et je me retrouvais accroupie sur le sol, résolue à trouver rapidement un moyen de stabiliser ma posture.

 

***

 

    Nous étions assez nombreux  réunis dans le salon du pont moyen, où se déroulaient régulièrement les spectacles nocturnes proposés pour égayer les soirées à bord. À cette heure de la journée, il était habituellement désert, mais son décor cosy semblait tout à fait approprié pour éviter de penser au ciel subitement assombri, aux éclairs aveuglants qui se déchaînaient maintenant tout autour de notre paquebot. Comme moi, la plupart des passagers étaient résolus à faire confiance à notre capitaine et à l’équipage. Les histoires de croisières entendues ça et là faisaient suffisamment état de leurs expériences… Ils en avaient tous vu d’autres ! À l’abri de l’écrin aveugle que formait cette salle de spectacle, les passagers faisaient front avec patience.  La dépression semblait sérieuse et malgré sa taille respectable, notre navire était agité de soubresauts intempestifs. Le capitaine avait expliqué par l’intermédiaire du réseau de communication interne qu’il essayait de ne pas dérouter le navire mais qu’il devait manœuvrer au plus près pour prendre  les lames de trois quarts afin de maintenir la stabilité du bâtiment. Rassurés par ces commentaires, les voyageurs reclus plaisantaient,   forçant parfois la note, comme s’il s’agissait de sauver la face.    Peu à peu cependant, et malgré les collations proposées par le personnel dévoué, chacun se sentit gagner par un malaise désagréable, de plus en plus manifeste à la longue. Les conversations s’éteignirent au fil des heures.  Nous cherchions à suivre les mouvements du paquebot, persuadés qu’en acceptant  mentalement ces déplacements brutaux, nous échapperions à l’inévitable mal de mer qui s’annonçait de plus en plus dominateur… Hélas, nos efforts n’étaient pas également récompensés.

    Les haut-parleurs grésillèrent  enfin. Réconfortés, nous nous redressions déjà sur nos banquettes, quand la voix du Capitaine  requit notre attention :

    - Mesdames et Messieurs, la tempête que nous traversons actuellement risque de se prolonger toute la nuit…  Compte tenu des conditions particulières, ceux d’entre-vous qui le désirent pourront se restaurer d’un repas froid  au self- service du pont moyen, puis nous vous prions de regagner vos cabines le plus rapidement possible. En aucun cas vous n’êtes autorisés à sortir sur les ponts supérieurs. Merci de votre compréhension.

    Ce message eut pour effet d’accentuer le découragement qui guettait certains d’entre nous. Je vis en particulier le visage de ma voisine se froisser en une mimique trahissant son angoisse. En dépit de son âge mûr, elle semblait sur le point de pleurer comme une fillette éperdue.

 

****

 

    Au milieu de la déroute générale qui s’annonçait, j’entendis alors la voix claironnante de l’un des animateurs de nos soirées divertissantes… Son timbre nasillard et instable, comme s’il était en mue perpétuelle, était aisément reconnaissable. Accentuant le déséquilibre que le tangage du paquebot lui imposait, l’homme se dirigeait vers l’estrade arrondie réservée aux spectacles. Ses comparses habituels le rejoignirent à leur tour. Dans la confusion des heures précédentes, personne n’avait reconnu leurs silhouettes, mais leur intervention les sortaient de l’anonymat. L’un d’eux se mit au piano, et même si ses doigts n’attrapaient qu’une note sur trois, la mélodie endiablée qu’il semblait poursuivre dopa l’assistance. Sans réfléchir, je me mis à fredonner cette musique  qu’en temps habituel je n’apprécie qu’à dose homéopathique. Je n’étais pas la seule à réagir de cette façon. Les animateurs se mirent à frapper dans les mains, manœuvre pourtant risquée car il leur fallait surtout assurer leur position verticale ! Inévitablement, l’un d’entre eux perdit l’équilibre et se retrouva affalé devant la grand-mère prête à pleurer tout à l’heure. Ragaillardie, elle ne put s’empêcher d’éclater de rire et tenta de prêter main-forte au comédien étalé à ses pieds. Ce fut le début d’un sketch inattendu. Faisant mine d’aider son voisin, chacun endossa le rôle des dominos, et charivari du navire ou pas, voilà le salon envahi de clowns à quatre pattes, se livrant à des galipettes  involontaires ou provoquées, accompagnés d’un fond sonore délirant et tapageur.

    En quelques minutes, Angoisse et Impatience avaient cédé la place à l’hilarité et au défoulement enjoué.

     Confortés par ce succès, les animateurs enchaînèrent les numéros que  la tempête réinterprétait avec force remous. Ces saynètes déjà vues au cours des soirées précédentes paraissaient tout à coup nettement plus drôles, leur effet comique contaminant les assistants qui ne résistèrent pas tous à la tentation d’y ajouter un grain de sel de leur cru… Si bien que la salle était en effervescence depuis plus de deux heures, sans que quiconque ait prêté attention aux interventions diffusées depuis le poste de commandement.

 

     La nuit s’avançait cependant, et avec le point de l’aube, le vent perdit enfin de sa force. L’amplitude des lames s’amenuisait imperceptiblement, mais dans la salle peu s’en rendirent compte en temps réel. L’excitation générale avait permis d’occulter le désagrément des roulis et la crainte légitime devant les colères de la mer.

 

 

*****

 

     De mémoire de Capitaine, jamais une si longue traversée n’avait connu une ambiance pareille !

    Après un repos bien mérité, équipage et passagers se retrouvèrent à tous moments du périple comme les membres privilégiés d’une compagnie confraternelle. Il semblait difficile d’échapper à cette solidarité née de l’épreuve dominée ensemble.

             Alors que le début de la traversée m’avait apporté l’ivresse des espaces infinis dépourvus d’horizon, la volupté de remplir mes poumons d’air vif saturé d’embruns, d’emplir  mon esprit d’images et de sensations de liberté entre ciel et mer, voilà que le plus beau moment de ce voyage avait eu lieu dans le ventre aveugle  de ce paquebot, au même titre que mes valises entassées dans la soute. Quelle ironie !

      Au plus vif  de la tempête, le commandant et ses marins de quart, bien trop occupés à leur poste pour s’enquérir du confort des passagers, n’avaient pas eu connaissance de notre désobéissance à leur injonction de repli dans nos cabines. Ignorant la liesse qui nous avait unis, ils attribuaient cette atmosphère si  subtilement chaleureuse à notre soulagement et notre reconnaissance pour leur qualité de pilotage. Personne n’a  ensuite songé à les détromper.

    Voilà des années que j’ai accompli ce voyage qui devait changer ma vie à tout jamais… J’avais embarqué le cœur partagé entre le déchirement de quitter ce pays d’Asie qui m’avait vu grandir, et une insatiable curiosité pour l’Europe et ses promesses…

    S’il me fut donné un moyen de surmonter mon dilemme, c’est à cette tempête que je le dois. Car cette nuit-là, j’ai partagé un moment de solidarité inoubliable, et  j’ai souvent revu la petite grand-mère au bord des larmes… Car sous son regard bienveillant,   au milieu des heurts du tangage,  j’ai embrassé pour la première fois l’homme qui, bien des années plus tard, est devenu le père de mes enfants 

 

16/12/2010

Les pieds dans le plat…

- Eh alors, que devient Guss ? Fais nous parvenir des photos, raconte…

Certaines amies lectrices me pressent un peu d’affûter ma plume au sujet du petit nouveau.
C’est vrai qu’il est  arrivé depuis plus de dix jours maintenant, et qu’il a parfaitement intégré la maisonnée, même si, tout mignon et dégourdi qu’il se montre, certaines règles lui échappent encore.
Nous passons donc beaucoup de temps avec notre petit peuple, d’autant que la froidure générale n’encourage pas les activités extérieures.
Douillettement réfugiés dans la chaleur du logis, nos pensionnaires ne se font pas prier pour répartir léchouilles et caresses aux maîtres gâtissants.
Simone est venue mardi  faire   connaissance avec le nouveau venu. Très à l’aise avec son monde, Guss s’est montré amical et  n’a pas tardé à rafraîchir les joues de notre amie de langoureuses caresses humides prodiguées du plat de sa langue toute rose.
De son côté, Copain, bien circonspect au début, s’est accoutumé à la présence envahissante du camarade encore pataud.

Si, d’aventure vous nous questionnez, comme il est d’usage,   sur l’origine et les caractéristiques raciales de notre petit dernier, nous pouvons sans risque paraphraser un dialogue d’anthologie emprunté à Michel Audiart:
- Oh oui, il en a aussi

Même Lydie, notre véto préférée reste dubitative quand on lui récite les tendances énoncées par les maîtres d’origine :
- Ah… du Beauceron ? Peut-être mais alors juste pour la taille des pattes

Pour l’essentiel l’observateur retrouvera, comme dans un met  gastronomique élaboré, différents ingrédients habilement mêlés par Dame Nature et Sieur Hasard, mais dont l’ajustement présente encore quelques mises au point aléatoires et fortuites parfois très comiques.
  Son museau présente plutôt des ressemblances avec les Labrador communs du coin. Un regard regorgeant de tendresse,   deux rayures blanches comme des virgules de coquetterie sur le nez… Son pelage caramel roux joliment rehaussé de chaussettes blanches au bout des pattes, de même que l’extrémité de la queue, ce qui ne manque pas de l’intriguer quand il vient à surprendre dans son champ de vision le tressautement de ce membre qui le suit en permanence. S'il quémande des jeux auprès de Copain, allez savoir pourquoi ses appels du pied, …euh des pattes, évoquent  une caricature de pas de l'oie, détermination  et  raideur très  militaires!


 La semaine dernière, les oreilles accaparées en une intense conversation téléphonique avec ma Nouchette,   je m’étais postée en sentinelle   derrière les vitres du séjour, un œil vacant pour suivre les ébats du bout’chou sur la terrasse. Le voilà qui s’avise tout à coup du pompon blanc  au bout de sa queue, accompagnant ses sauts de cabri. Aussitôt, l’envie lui prend d’attraper l’insolent et qui sait, de lui faire passer cette envie de filature permanente… Il entame derechef une danse exotique du plus curieux effet, saut extension en rotation sur la droite, museau tendu vers l’objet qui frétille de plus belle… Une magnifique exhibition, triple et même quadruple  Lutz dirait Nelson Monfort… Peine perdue évidemment, sauf qu’à la quatrième rotation, ses dents accrochent par inadvertance le rabat de la nappe qui protège la desserte du Barbecue… Le morceau du revêtement arraché dans l’effort suit le mouvement de notre acrobate, qui perd aussitôt de fil de son combat : le voilà tout éberlué, un trophée inattendu dans la gueule… La maîtresse sort vite fait pour remettre de l’ordre et éviter qu’il retienne  ce sentiment de jouissance que procure le déchirement de tous les dispositifs installés au jardin… J’ai encore en mémoire les séances de remise à l’heure des pendules quand Copain jouait sa partition Déstrouctor
Notre pensionnaire grandit vite. GéO souhaitait un grand chien, à la silhouette assez imposante pour inciter les visiteurs importuns à la prudence, sans qu’il soit nécessaire de dresser notre compagnon à la garde. Si l’on en juge par la  rapidité de sa croissance, jointe à l’appétit dévorant qu’il manifeste… Les vœux du Maître seront comblés.
En matière de repas, Guss n’est pas du genre modéré… Son estomac semble sans fond, et d’ailleurs sa robe affiche quelques plis prévus pour un remplissage prompt. Regardez cette séquence de nettoyage d’une assiette… Il en fait vite le tour et aucun minuscule atome de sauce  n’échappe à son coup de langue …

 

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D’ailleurs, le harnais dont GéO l’avait équipé lui a servi de dessert une des nuits dernières : au matin, il ne subsistait de la lanière que quelques centimètres … Nous cherchons encore le reste, mais il y a de fortes chances pour que le cuir et les poinçons qui paraient le collier soient déjà digérés et retournés à la terre… Certains objets vont connaître d’ici peu un destin écourté… J’ai déjà vécu ça quelque part…

 

 

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05/12/2010

Adoption

Persuadé que notre Copain ne saurait couler des jours vraiment heureux en solitaire, GéO s’est mis en tête de lui offrir un compagnon de jeux, un frère de soupe, un ami en somme apte à partager l’affection intarissable qui le lie aux hôtes de la maisonnée.

Les propositions n’ont pas manqué.
Fait marquant, les propriétaires de chiens et chiennes de la région semblent tous motivés par la reproduction de leurs fidèles amis à quatre pattes… Chiots de race ou chiots d’occase,  ceux à l’origine mâtinée de bergères d’ici et de gardiens des temples d’ailleurs; tel est d’ailleurs notre Copain. Ce dont nous ne saurions nous plaindre puisqu’il reste décidément un  compagnon très  câlin… Ses grosses bises quotidiennes,   ses embrassements spontanés peuvent surprendre parfois, mais il arrache à chaque nouvelle  rencontre les mêmes  commentaires amusés au sujet de ses débordements.  Il a suffi dès lors d’un jardinier tailleur de haie, amoureux des canidés, lui-même hôte débordé par son Cerbère et franchement désireux de répartir à la cantonade les fruits des amours de son molosse et de la chienne de son amie… Petite histoire de famille, comme on le pressent bien.
Ainsi est échu Guss à notre maisonnée.
D’une portée de quatre ou cinq chiots, ce petit bout de chou beige au museau rayé de blanc a su nous étonner lorsque nous sommes allés choisir le futur complice de Copain.
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Le grand jour de l’adoption a enfin sonné.
Hier après-midi, Guss est  arrivé sur les basques de ses maîtres  d’origine.
Les présentations se sont déroulées dans notre cuisine, où nous avions résolu le passage de témoin autour d’une pause-café pour atténuer la transition. Sous nos quatre paires d’yeux attentifs, le nouveau venu,   tremblant et couinant, s’est vite révélé assez curieux pour fureter en élargissant progressivement les cercles de ses pérégrinations.

Il en est un cependant qui n’a guère goûté la nouveauté.
Alors qu’il se montre habituellement familier et confiant, notre Copain ne s’est pas présenté à son avantage… Loin d’accueillir amicalement l’intrus, l’occupant des lieux s’est détourné, a reculé dès la première tentative de contact olfactif, s’est réfugié humblement derrière le rempart humain, abandonnant  sans fierté son coussin à l’exploration du visiteur. Du moins espérait-il sans doute que ce bambin importun ne ferait que passer…

L’affaire ne s’est guère arrangée après le départ des anciens maîtres. À nos tentatives de familiarisation, Copain a fini par répondre en émettant un léger roulement de gorge, protestation discrète mais indéniable. Il a fallu tout notre art consommé et le reste de la journée pour tenter d’organiser une cohabitation plus conviviale… Visite rapide du jardin malgré la nuit tombée,  détour par le bureau et ses tapis d’accueil, retour à la case repas… Rien n’y a fait, à l’heure de notre dîner, nous en étions encore aux positions d’observation réciproque sans aménité: couinement récurrent sous la table à l’abri des pieds de chaises, silence réprobateur de la sentinelle noiraude, promptement ponctué d’avertissement grondeur en réponse à toutes tentatives d’approche… La soirée s’annonçait lourde …

 

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Finalement, nous nous sommes convaincus que l’affaire s’arrangerait mieux si nous affections une apparente indifférence. Nous avons donc réintégré nos quartiers habituels, et le statu quo s’est installé sur la forme du chacun dans son coin, celui de Copain restant bien entendu l’accès au salon en barrant la porte…

D’un point de vue ménager, je ne tairais pas ma petite  préoccupation concernant les besoins de notre nouvel hôte… L’idée d’étaler les journaux dans la cuisine  ne me  tente guère, il me semble que c’est une manière d’accepter déjections et urine dans une pièce dont l’usage principal reste la préparation de la nourriture… Beurk!!!
D’un autre côté, Guss n’a pas été préparé à demander à sortir… Résultat,  quand  GéO a organisé la sortie-pipi-entre-hommes avant le coucher, Guss, qui n'est point sot,  a réussi un aller-retour rapide pour revenir se soulager sous la table de la cuisine, avant de rejoindre innocemment la bande des aînés, histoire de  humer les odeurs nocturnes en plantant son regard dans les étoiles …

 


 C’est peut-être ça qui motive mon humeur ménagère, armée de mon balai serpillière, j’envisage mes petits matins à venir comme la montée obstinée à l’assaut du pipi répandu…

Ô joie de l’adoption !

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N’empêche, il est drôlement mignon quand même…

 

02/08/2010

On dit que c'est la vie…

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Une si belle image du Bonheur devrait protéger.
Comme un Talisman

l’attente prend figure d’Accomplissement.
Cette photo fixe un moment parfait.
Elle parle à l’Enfant qui a déjà pris place
Elle distille dans sa lumière tant de promesses…

Et pourtant…
Une telle sérénité bousculée en quelques instants…
La vie  arrive estompée par une étoile filante
Un chagrin soudain qui atteint ceux qu’on aime
Un abîme incommensurable détruit la chaîne
Pour  Seb et sa famille, l’Absence a désormais un visage.

Loin du drame, nous les rejoignons sans cesse par la pensée.
J’aurais aimé que mon petit-fils soit bercé par ses deux grand-mères
Une alternative de tendresse dont ont jadis été privés mes propres enfants…

Une vie s’en va, une vie arrive,
Famille orpheline à la croisée des destins
Si l’on pouvait retenir dans  nos mains,
Nos bras, nos corps, le Bonheur enlacé
Comme une icône enchantée.



Cette Photo est la  propriété  de Nicolas Riou (Juillet 2010)