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Les comédiens

Les comédiens

Auteur : Graham Greene

Éditeur : pavillons poche ( ebook)

Année : 1965

Comme la plupart de romans de Graham Greene, Les Comédiens repose sur une histoire datée. L’auteur colle littéralement son intrigue à la situation politique d’Haïti sous le régime de Papa doc, François Duvalier de sinistre mémoire et ses incontournables tontons macoutes. Mais si l’essentiel du roman se déroule dans le décor de Port au Prince, Greene prend un soin particulier à présenter ses personnages dans un autre huis clos : celui du paquebot Médéa qui transporte le narrateur, Brown, pour retrouver à la fois son gagne pain, l’hôtel Trianon, et sa maîtresse Martha Pineda, la femme du diplomate Vénézuelien dont l’ambassade constitue un havre non négligeable.
Brown n’est pas seul sur ce navire à débarquer en Haïti. Il a voyagé en observant finement d’autres « comédiens », revendiquant de percer à jour les paradoxes entre apparences et réalité : Ce couple américain constitué par les Smith : sont-ils réellement les idéalistes embourgeoisés et confits de bonnes pensées qu’ils affichent ? La rigueur du commandant est-elle structurelle à l’image de sa femme à la chevelure rigide, et enfin qui se cache sous l’apparence sournoise et décousue de Jones ? Ce patronyme trop banal n’est-il pas, à l’image du sien, Brown, l’indice remarquable d’un pseudonyme révélateur d’une usurpation d’identité ?
« Il y a des gens qui, par leur naissance, appartiennent inextricablement à un pays et qui même loin de ce pays sentent ce lien. Et il y a ceux qui appartiennent à une province, un comté, un village, mais je ne me sentais pas attaché par aucun lien du tout à la centaine de kilomètres carrés qui entourent les jardins et les avenues de Monte-Carlo, la ville dont les habitants sont en transit. Je me sentais fixé par de solides amarres à cette loqueteuse patrie de la terreur que le hasard m’avait choisie.
(…) Le transitoire était ma pigmentation ; mes racines ne s’enfonceraient nulle part assez profondément pour m’y faire une demeure et m’y assurer un amour durable. »

Sur place, Brown a retrouvé son hôtel, hérité d’une mère qu’il a retrouvée presque par hasard, la veille de sa mort. Brown a été doublement abandonné dans son enfance, par un père resté parfaitement anonyme, d’où cet improbable patronyme, et par sa mère qui a confié aux jésuites de Monte-Carlo le soin de mener l’enfant sur la bonne voie. Évidemment, le jeune Brown s’est conduit tout seul vers une vie aventurière plus ou moins reluisante, jusqu’au jour où une carte postale crée un lien invraisemblable avec cet hôtel minable d’une île alors favorable à la prospérité touristique.

Les événements ont tourné depuis lurette, Brown a essayé de vendre un bien dont plus personne ne veut, l’île ne reçoit plus de riches clients insouciants. Dans son hôtel désert, Brown retrouve tout de même son fidèle employé Joseph, que les tontons macoutes ont mutilé. Pendant son absence, Joseph a tenté de cacher là le ministre de la santé Philipot, mais le pauvre homme s’est suicidé dans la piscine vide, plutôt que de courir le risque d’être découvert… Brown doit donc dissimuler ce cadavre compromettant, y compris aux improbables clients que se révèlent être les Smith bardés de leurs principes.
Drames personnels et politiques s’enchevêtrent inextricablement et offrent à Brown l’occasion de démêler peu à peu les vérités particulières à chaque protagoniste, y compris son propre cheminement à travers tant de mensonges. Quand ment-on aux autres autant qu’à soi-même ? Tel pourrait être le propos du livre.
C’est en tout cas le propre du fameux Jones, personnage ambigu s’il en est, qui de la case prison se hisse à la respectabilité et conquiert la place enviable de protégé des tontons… jusqu’au revers inévitable de situation. Greene s’amuse et nous entraîne dans maintes péripéties. Le roman navigue entre étude sociale et drame politique, mais n’omet pas les rebondissement du thriller. Néanmoins, il me semble en achevant la lecture de l’ouvrage, que Greene poursuit là encore la seule vraie quête qui l’intéresse, la question du sens de nos actions et de nos convictions dans un monde en vaine déliquescence :
« Les êtres sans racines ont éprouvé, comme tous les autres, la tentation de partager la sécurité d’une foi religieuse ou d’une conviction politique, et pour une raison quelconque nous avons repoussé la tentation. Nous sommes les sans-foi : nous admirons les zélés, les docteur Magiot et les Mr Smith pour leur courage et leur intégrité, leur fidélité à une cause ; Mais par timidité ou par manque d’un enthousiasme suffisant, nous nous trouvons être les seuls qui soient vraiment engagés… engagés envers le monde entier du mal et du bien, envers les fous et les sages, les indifférents et ceux qui sont dans l’erreur. Nous n’avons rien choisi hormis de continuer à vivre, « entraînés et roulant dans le ronde diurne de la Terre, avec les rocs et les pierres et les arbres. »


-— Même si vous avez abandonné une foi, n’abandonnez pas toute foi. Nous substituons toujours autre chose à la foi que nous perdons. Ou serait-ce la même foi, sous un autre masque ?


« Sans doute, en de telles circonstances, était-il naturel que je rêve de Jones. Il gisait au milieu des arides rochers sur la plaine plate, à côté de moi, et il me disait : « ne me demandez pas de trouver de l’eau. Je ne peux pas. Je suis fatigué, Brown, fatigué. Après la sept centième représentation, il m’arrive d’avoir un trou : j’oublie une réplique… et je n’en ai que deux. »
— Pourquoi mourrez-vous, Jones lui dis-je ?
— C’est dans mon rôle, mon vieux, c’est dans mon rôle. Mais j’ai cette réplique comique…si vous entendiez toute la salle rire quand je la donne. Les dames surtout.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est justement le hic. Je l’ai oubliée.
— Jones, il faut vous rappeler.
— J’y suis maintenant. Je dois dire ( regardez un peu ces mochetés de rochers) : « C’est un bon endroit », et tout le public rit aux larmes. Alors, vous dites : « pour empêcher les salauds de passer ? » et je réponds : « ce n’est pas ce que je voulais dire. »

traduction Marcelle Sibon

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