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Alors, les oiseaux sont partis…

Alors, les oiseaux sont partis…

Auteur : Yachar Kemal

Éditeur : Gallimard ( NRF)

Année : 1978

Pour ma première prise de contact avec cet écrivain turc très prolifique, j’ai choisi ce roman au titre prometteur : Alors les oiseaux sont partis… Ce titre me semblait susciter une inspiration poétique qui annonçait du Bon… En effet, ce récit de Yachar Kemal ouvre un horizon métaphorique assez large. Au prétexte de nous conter la quête pour survivre de trois gamins déshérités, L’écrivain emmène ses lecteurs sur une bande de terre isolée, à l’écart de la grande Cité d’Istanbul, pour mieux illustrer le combat de son pays entre tradition et modernité (même si l’ouvrage date de 1978), à la frontière ténue du choix des valeurs de ce peuple en permanente mutation. .

À travers le regard quelque peu hostile de Tougroul, dont nous ne savons rien, nous sommes amenés à observer le campement sauvage de trois gamins débrouillard et démunis. Le narrateur se situe lui-même en observateur attentif de ces différents groupes, ce qui nous conduit à attendre la confrontation.

En réalité, l’attention se reporte rapidement sur ce groupe des trois enfants venus d’un village lointain, Fatih, pour chasser les innombrables oiseaux qui ne vont pas manquer de faire halte sur le Plan de Florya au cours des migrations de Septembre. Répondant à une tradition en voie d’oubli, les trois enfants collectionnent leurs petites proies vivantes dans de grandes cages afin de les revendre aux croyants des différentes communautés d’Istanbul. Les acheteurs de ces oiseaux les relâcheront en prononçant un vœu pour s’assurer un bon accueil au paradis.

De ces trois enfants, nous ne saurons jamais grand-chose, si ce n’est qu’ils appartiennent à cette foule d’enfants d’origine très pauvre, obligés de développer très tôt toutes les stratégies de survie possibles. Ils vivent au jour le jour, et comptent beaucoup sur leur chasse pour acquérir les quelques sous qui leur permettraient de se construire un avenir plus sûr… Ou réparer quelques vilenies accomplies par nécessité. Ils ne sont pas voyous par plaisir, mais à chaque ligne, nous les percevons désillusionnés, habités d’une colère sans objet précis, de simples insurgés de la misère.
Alors, au fur et à mesure qu’arrivent les oiseaux, ils tendent leurs pièges, remplissent les cages et se racontent qu’ils vivront mieux demain… Quand ils vendront enfin leurs oiseaux aux habitants de la ville…

Seulement voilà, la piété a déserté la Cité. Plus personne ne veut dépenser quelques livres pour acheter un oiseau messager… Plus personne ne croit à ces superstitions d’un autre âge… Les oiseaux s’entassent dans les cages et vont mourir…
Alors, avant que le désespoir ne les pousse à tuer eux-mêmes leurs prisonniers, le narrateur vient offrir son aide aux trois gamins révoltés. …

Ce récit simplissime nous offre une halte intemporelle dans la course du temps. Nous sommes à la croisée des mondes, entre les activités, le bruit, les agitations stériles de la vie moderne et les traditions en apparence cruelles issues du passé. Mais où se niche la véritable cruauté? Les enfants du campement ne peuvent percevoir la barbarie de leur chasse, tant leurs destins sont enracinés dans le filet des traditions anciennes dont ils ne possèdent pas les outils pour s’en affranchir. Ils ne peuvent imaginer d’autres solutions pour gagner ces quelques sous.

C’est donc une sorte de photographie verbale que nous propose Yachar Kemal. De cette lutte sans espoir que mènent Sémih, Souleyman et Hayri, l’écrivain ne tire aucune morale… Il ouvre nos yeux sur ces chasseurs d’oiseaux piégés à leurs rets comme une population accrochée à ses illusions. Yachar Kemal choisit cette métaphore pour tenter d’éveiller ses compatriotes à leurs contradictions, à leur perte d’identité également. J’ai abordé ce récit non comme un roman au sens du développement d’une intrigue, mais comme une lente mélopée ancienne, illustrant l’intemporalité de cette lagune couverte de cardères. Tant que les oiseaux y feront halte, le peuple turc s’y reconnaîtra… Mais si les oiseaux désertent les cardères…

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