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Les hirondelles de Kaboul

Les hirondelles de Kaboul

Auteur : Yasmina Khadra

Éditeur : Pocket

Année : 2004

Yasmina Khadra

Les hirondelles de Kaboul

C’est un roman coup de poing, que l’on ne peut oublier, tant par son thème que par son ton.
La langue y est belle, magnifique, tellement sobre et lyrique à la fois, elle témoigne de cet usage du Français que l’on goûte sous les plumes des auteurs orientaux. Un exemple ?
Essayez ceci, d’entrée de jeu :

« Les terres afghanes ne sont que champs de bataille, arènes et cimetières. Les prières s’émiettent dans la folie des mitrailles, les loups hurlent chaque soir à la mort, et le vent, lorsqu’il se lève, livre la complainte des mendiants au croassement des corbeaux… »

Vous êtes dans les faubourgs de la cité, vous portez le tchadri empoussiéré par ce vent étouffant, qui s’entortille autour des chevilles et entrave toutes les libertés, même celle des hommes.
Yasmina Khadra, avec sa sensibilité pudique, parle d’hommes ligotés davantage par les lois inhumaines des talibans que par les coutumes ancestrales. Ces hommes qui sentent monter du plus profond d’eux-mêmes la nécessité de vivre leur amour sans l’insidieux carcan du régime appuyé sur une religion détournée : Écoutez Mohsen enjoindre sa femme aimée, Zunaira de l’accompagner au marché, comme au temps où …

« On n’est pas chez nous, Zunaira. Notre maison, où nous avions créé notre monde, a été soufflée par un obus. Ici, c’est juste un refuge. J’ai envie qu’il ne devienne pas notre tombeau. Nous avons perdu nos fortunes ; ne perdons pas nos bonnes manières. Le seul moyen de lutte qui nous reste, pour refuser l’arbitraire et la barbarie, est de ne pas renoncer à notre
éducation (.…) Nous ne pouvons accepter que l’on nous assimile à du bétail. »


Vient ensuite la colère contenue de Zunaira, qui a cédé à Mohsen et accepté de sortir en ville. Je ne peux reproduire ici l’intégralité du passage si poignant, je vous en livre donc ces quelques lignes :
« Elle savait que sa témérité allait l’exposer à ce qu’elle déteste le plus, à ce qu’elle refuse jusque dans son sommeil : la déchéance. C’est une blessure incurable, une infirmité qu’on n’apprivoise pas, un traumatisme que n’apaisent ni les rééducations ni les thérapies et dont on ne peut s’accommoder sans sombrer dans le dégoût de soi-même. Et ce dégoût, Zunaira le perçoit nettement ; il fermente en elle, lui consume les tripes et menace de l’immoler. Elle le sent grandir au tréfonds de son être, pareil à un bûcher. C’est peut-être pour cela qu’elle dégouline et suffoque sous son tchadri, que sa gorge asséchée semble déverser comme une odeur de crémation dans son palais. »

Voilà des mots forts et justes, qui touchent profondément et devaient anéantir l’idée même qu’on puisse débattre du droit à la liberté d’éducation, de l’égalité hommes femmes, de la légitimité des régimes religieux ou intégristes. Quel plaidoyer pour la liberté d’opinion, de déplacements, en un mot, d’exercice du droit de vivre…

La tragédie se noue dans cet univers claustré, des êtres perdent ignoblement la vie, par fanatisme, par lâcheté, par convention… On lapide, on emprisonne, on veille aussi, et parfois, la conscience se réveille, pour mieux ensevelir l’espoir et la vie. Atiq le gardien de geôle, crée son propre dilemme et doit assumer son choix… Il faut perdre et se perdre dans le Kaboul des Talibans… Dans le bruit et la fureur, le destin d’Atiq s’accomplit, nous laissant atterrés, écrasés par l’assourdissant silence de notre confort et de notre impuissance.
Les choses ont-elles tellement changées ?

Note : 11/10

Publié dans Sources Vives | Lien permanent