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Le Huit

Le Huit

Auteur : Katherine Neville

Éditeur : Pocket ( édition originale le cherche midi )

Année : 1988

Ami lecteur, si le réalisme et le pragmatisme constituent les frontières de ton intérêt, passe ton chemin.
"Le Huit" s’inscrit résolument dans la lignée bien ouverte maintenant des ouvrages romanesques historico-ésotériques. Sa trame repose sur un prédicat fantastique et fantaisiste, que Katherine Neville s’ingénie à traiter comme un mythe récurrent. Sa force consiste alors à conduire un double développement sur la même intrigue. La crédibilité du propos s’appuyant sur l’expérience personnelle de l’auteure, difficile de ne pas considérer un bref moment la biographie de l’écrivaine, puisqu’elle prête à l’une de ses héroïnes quelques éléments de sa propre expérience.
À commencer par sa date anniversaire, le 4 avril. Petit clin d’œil facétieux, d’autant que "Le Huit" est le premier des romans de K. Neville.
Celle-ci est donc née le 4 avril 1945, dans les Montagnes Rocheuses, aux USA.
Brillante étudiante, elle a entrepris dans les années 1970 une carrière dans l’informatique, auprès de société aussi importante qu’ IBM, the Bank of America, l’OPEP, et l’US Department of Energy. Un tel parcours l’a amenée à vivre en Europe et en Algérie. Par ailleurs très intéressée par toutes formes de culture, Katherine Neville a étudié la littérature africaine et la photographie avant de bifurquer vers l’informatique et le conseil en énergie auprès d’organismes internationaux. De sorte que le personnage de Catherine Velis s’apparente à son double romanesque… Ce qui ne réduit en rien la biographie époustouflante de la vraie Katherine : mannequin, photographe, conseillère en informatique et consultante en énergie, elle marque son retour aux États Unis dans les années 80 par l’ ouverture d’une nouvelle carrière : après "le Huit" qui paraît en 1988, et qui, traduit en une vingtaine de langues, connaît d’emblée un succès phénoménal, elle écrit encore "Un risque calculé" et "Le cercle magique". Ces romans de la même veine accroissent son renom. De nombreux prix récompensent ces best sellers, les critiques la comparent souvent à Umberto Ecco. Katherine Neville parcourt toujours le monde, en conférencière cette fois pour divers organismes culturels, et bénéficie d’une audience remarquée aussi bien dans son pays d’origine qu’en Espagne ou en Turquie. En 2009 vient de paraître la suite du Huit, "The Fire", qui n’est pas encore traduit en français.

Cette note biographique préalable n’est pas sans intérêt pour mieux apprécier l’environnement et la matière du déroulement de l’intrigue. Manifestement, Katherine Neville est intéressée par le fondement des civilisations et le nœud de son intrigue joue sur l’interdépendance des grands courants de l’Histoire de l’humanité. Afin de mieux accentuer sa thèse, l’auteure développe son intrigue sous deux périodes historiques différentes, intriquant les deux phases comme une double hélice. Inconvénient relatif, le procédé demande au lecteur un petit effort en début d’ouvrage, mais l’écriture romanesque vivante, picaresque, enlevée, compense largement cette exigence : le succès du roman montre combien le lectorat de K. Neville surmonte l’obstacle avec facilité.


Le roman s’ouvre sur la période de la Révolution Française, au printemps 1790, dans les contreforts pyrénéens. La Terreur s’annonce, même dans cette province éloignée de Paris et son théâtre sanglant. Mais la Supérieure de l’abbaye de Montglane, femme de cœur et de tête, avertie du danger, décide de fermer les lieux et de renvoyer chez elles ses religieuses. Cependant, certaines d’entre elles sont chargées d’une mission secrète présentant un grand péril : il s’agit d’emporter et de cacher pour un certain temps les différentes pièces d’un jeu d’échecs mythique offert à Charlemagne le 4 avril 782 par des émissaires orientaux. Le premier empereur catholique romain avait perçu le sortilège néfaste qui émanait du jeu et décidé de le soustraire à la vindicte humaine en l’enfouissant dans les fondations de l’abbaye, qu’il fonda alors aux contreforts de son empire. Le temps apporta l’oubli sur l’objet et sa malédiction, dont le souvenir était confié aux abbesses qui se succédèrent, jusqu’à cette heure où le péril se manifeste à nouveau. Parmi ces religieuses, deux jeunes filles encore novices, Valentine et Mireille, reçoivent cette charge avant de partir pour Paris, où elles vont se réfugier chez le parrain de Valentine, le peintre David, dont les activités révolutionnaires constituent un viatique des plus sécurisants.
Tandis que Valentine et Mireille se forment à la vie bouillonnante de la capitale et côtoient Germaine de Staël et l’évêque Maurice de Talleyrand …, nous sautons bravement dans le temps pour faire connaissance avec Catherine Velis, la narratrice directe de la partie contemporaine de l’histoire. Nous sommes alors en 1972, à New York, et Catherine est en attente de son départ pour l’Algérie, mesure expiatoire due à sa mauvaise entente avec ses employeurs…Une multinationale concernée par les problèmes énergétiques de la planète et pour laquelle elle est en charge des programmes informatiques… Vous avez fait le rapprochement ? Tant mieux, car pour la jeune femme, la tournure des événements devient rapidement chaotique : la rencontre d’une diseuse de bonne aventure un soir de réveillon se révèle troublante puis un tournoi d’échecs mouvementé, auquel elle assiste par hasard, lui vaut d’étranges avertissements assortis de menaces plus ou moins déguisées, Catherine se demande si elle ne devient pas folle quand elle se trouve être témoin de deux meurtres. …

Nous assistons ainsi à la menée en parallèles de deux phases d’une quête éternelle, celle du pouvoir absolu, pour lequel les hommes de tous temps et toutes contrées sont prêts à la lutte sans merci. Grâce au procédé du changement de perspectives, la période Valentine- Mireille au XVIIIème siècle en discours narratif simple, la période XXème siècle en discours personnel, nous franchissons l’alternance sans trop d’efforts… Le récit devient vite haletant, les péripéties s’enchaînent, aux fourberies et à la barbarie de la Terreur en France Révolutionnaire, répondent les traquenards et les faux semblants de la période moderne.
De très beaux moments lyriques nous transportent avec Mireille dans le désert du Tassili, et quand Catherine et sa compagne Lily suivent les pistes hasardeuses qui les mènent à leur tour sur ces hauts lieux pré-historiques, je n’ai pu résister à l’envie d’ouvrir mon Atlas pour suivre de mon doigt le périple aux confins du monde …

Roman fleuve aux quelque 950 pages, dans l’édition Pocket, "Le Huit" s’apparente aux grands romans d’aventure : il y règne le lyrisme des grands espaces mystérieux, le souffle et les rebondissements des sagas, des personnages attachants, en particulier les héroïnes féminines qui me semblent plus habitées que les caractères masculins. Il est vrai que la trame du récit repose sur leurs supposées frêles épaules…
Le travail de documentation fourni est réel, Katherine Neville s’est nourrie de sa propre expérience, on l’a vu, mais les recherches d’ambiance sur le Paris de la fin du dix-huitième siècle ne sont pas dépourvues d’intérêt, surtout quand on en vient à noter comment l’auteur parvient à tisser un lien entre l’Ancien et Nouveau Monde, en passant également par la Russie de la Grande Catherine… Nouveau clin d’œil : chercher tous les personnages répondant au prénom homonyme de l’auteur

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