Les cendres d'Angela
Auteur : Franck Mac Court
Éditeur : Belfond ( Pocket)
Année : 1996 ( juin 2011)
Voilà un livre chaleureux, généreux, un de ces textes que l’on quitte à grand regret tant il transmet largement cet étrange ingrédient qu’on appelle « la vie », qui reste pourtant si difficile à capter. Je dois cette belle découverte à Mona, et lui exprime ici ma reconnaissance pour avoir pensé à mettre cette perle entre mes mains.
Ce récit haut en couleurs s’apparente au genre « autobiographie », l’auteur raconte par le menu son enfance, mais il a su trouver le ton et la distance pour mener avec animation le cours linéaire de ses souvenirs. L’expression adoptée est une vraie trouvaille, qui lui permet de conter de manière hilarante les désarrois poignants d’un enfant démuni face à la misère, à l’alcoolisme paternel, à l’enlisement des efforts maternels, aux lourds préceptes d’une société engoncée dans un catholicisme rigoriste jusqu’à l’absurde. De ce point de vue, l’exercice biographique intéresse le lecteur comme le témoignage sensible d’un esprit affûté à sa survie. Et si les cendres d’Angela, la mère du narrateur, démontrent l’amertume du destin de nombreuses femmes, il émane du récit de Franck Mac Court une affection et un sens de rude solidarité plus fort que la sordide indigence où est réduite cette famille.
Franck Mac court est né en 1930 à Brooklyn, car ses parents avaient déjà émigré une première fois pour fuir la misère de l’Irlande et ses contradictions politiques. Son père était originaire du Nord, rebelle à la tutelle britannique, mais aux yeux des Irlandais de la République indépendante, il a « un drôle de genre, un genre du Nord », dont Franck, son fils aîné, semble avoir hérité. Il commence son récit sans illusions :
« Quand je revois mon enfance, le seul fait d’avoir survécu m’étonne. Ce fut, bien sûr, une enfance misérable (…) Pire que l’enfance misérable ordinaire est l’enfance misérable en Irlande. Et pire encore est l’enfance misérable en Irlande catholique. » Voilà le lecteur prévenu. La vie n’est vraiment pas toute rose cependant pour la famille Mac Court en Amérique, durant les quatre premières années de la vie du petit Franck. Mais le dénuement y paraît moins dur quand la solidarité du voisinage remplace les devoirs familiaux. Et si Malachy Mac Court a déjà une tendance affirmée à boire sa paie hebdomadaire avant de nourrir sa famille, les voisines ont toujours de la soupe en plus…
Le retour en Irlande après le décès d’une première petite fille s’avère bien plus difficile. La petite famille n’est bienvenue nulle part. La fierté d’Angela est mise à rude épreuve, mais quand son mari rentre en chantant à tue-tête les rengaines nationalistes, elle sait que ses poches sont vides du salaire nécessaire à sa progéniture toujours plus nombreuse. Les grossesses se suivent, et le malheur s’acharne à lui reprendre des nourrissons mal nourris, sans vitalité pour survivre à l’humidité insalubre des logements.
Pas de misérabilisme pourtant sous les mots de Franck : il raconte avec truculence ses démêlés scolaires, les remontrances de Grand-mère ou la rudesse de tante Aggie qui, faute de pouvoir être mère, supporte mal les enfants de sa sœur… Franck évolue sans illusions mais sans haine dans ce monde aux règles rigides. L’efficacité du procédé vient de ce paradoxe : Franck Mac Court écrit ce livre en 1996, il est sexagénaire, mais il utilise la voix de son enfance pour décrire situations, personnes et système social. Il en ressort une fausse candeur qui rafraîchit le propos, dédramatise le constat social de l’Irlande dans la première moitié du XXème siècle, permet la mise en lumière de la plus extrême misère sans pathos.
Morceaux choisis pour ceux qui apprécient les mises en bouche dominicales avant de courir chercher l’édition Pocket qui vaut son pesant d’or, et rendez-vous pour la suite …
« Grand-mère ne veut plus parler à Maman vu ce que j’ai fait avec Dieu dans son arrière-cour. Maman ne parle pas à sa sœur, tante Aggie, ni à son frère Oncle Tom. Papa ne parle à personne de la famille de Maman et ils ne lui parlent pas, car il est du nord et il a un drôle de genre. Personne ne parle à Jane, l’épouse d’Oncle Tom, car elle est de Galway et ressemble à une Espagnole. Tout le monde parle au frère de Maman, Oncle Pat, car il est tombé sur la tête, il est simplet et il vend des journaux. Tout le monde l’appelle l’Abbé ou Ab Sheehan et personne ne sait pourquoi. Tout le monde parle à Oncle Pa Keating car il a été gazé pendant la guerre, il a épousé Tante Aggie, et puis, si on ne lui parlait pas, il n’en aurait rien à péter de toute façon et c’est pour ça que les habitués de chez South l’appellent l’homme qui gaze. » ( Page 193)
Patricia dit qu’elle a deux livres à son chevet. L’un est un recueil de poésies et c’est celui qu’elle aime. L’autre est une brève histoire de l’Angleterre. Est-ce que je le veux ? Elle donne le livre à Seamus, l’homme qui nettoie les sols, et il me l’apporte. Il dit: « je ne suis pas supposé passer quoi que ce soit d’une chambre de diphtérique à une chambre de typhoïdien avec tous les germes qui volent de-ci de-là et se cachent entre les pages et si jamais tu attrapes la diphtérie en plus de la typhoïde ils le sauront et je perdrai ma bonne place et je serai à la rue à chanter des ballades patriotiques un gobelet de fer blanc à la main, ce que je pourrais facilement faire vu qu’il n’y a jamais eu de chanson écrite sur les malheurs de l’Irlande que je ne sache pas, sans compter deux ou trois autres sur les plaisirs du whisky. » (Page 284-285)
Le jour suivant, Mr O’Dea me fait :- Très bien Mc Court, lisez votre composition à la classe.
Le nom de ma composition est…
Le titre, Mc Court, le titre.
Le titre de ma composition est : Jésus et le temps qu’il fait.
Comment ?
Jésus et le temps qu’il fait.
Très bien, lisez.
Ceci est ma composition : Je ne pense pas que Jésus qui est Notre seigneur aurait aimé le temps qu’il fait à limerick car il y pleut toujours et le Shannon maintient la ville entière dans l’humidité. Mon père dit que le Shannon est un fleuve assassin parce qu’il a tué mes deux frères. Quand on regarde des images de Jésus, Il est toujours en train de vagabonder en pagne dans l’ancien Israël. Là-bas, il ne pleut jamais et on n’entend jamais parler de quelqu’un qui tousserait ou qui serait atteint de Phtisie ou de quoi que ce soit de ce genre et personne n’a un boulot là-bas car ils ne font que se baguenauder, manger la manne, brandir le poing et aller aux crucifixions.… »( Page 302).
« En un rien de temps, elle est de retour avec le gérant.
Grand Dieu ! fait-il. Juste ciel ! Où est l’autre pièce ?
Quelle autre pièce ? demande Grand-mère.
Je vous ai loué deux pièces là-haut et il y en a une qui a disparu. Où est cette pièce ?
Quelle pièce ? demande Maman
Il y avait deux pièces en haut et maintenant il n’y en a plus qu’une. Et qu’est devenu le mur ? Il y avait un mur. Et voilà qu’il n’y en a plus. Je me souviens distinctement d’un mur car je me souviens distinctement d’une pièce. Maintenant, où est ce mur ? Où est cette pièce ?
(…)
L’un d’entre vous a-t-il souvenance d’un mur ? demande maman en se tournant vers nous.
Michael lui tire la main. C’est ce mur qu’on a brûlé dans le feu ?
Tonnerre de Dieu ! s’écrie le gérant. Là, ça dépasse Banagher, c’est le fichu bouquet, c’est vraiment pousser les bornes au-delà des limites !" ( pages 410-411)
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