La belle vie ( The good life)
Auteur : Jay Mc Inerney
Éditeur : Éditions de L'Olivier
Année : 2007
de Jay mac Inerney,
Éditions de L’Olivier
Titre original: The good Life (2006)
Le 10 septembre 2001, à New York, deux couples qui ne se connaissent pas mais qui appartiennent au cercle bobo de la big apple, vivent sans enthousiasme leur dernière soirée de couple « uni ». Dès le lendemain, ils subissent l'onde de choc des attentats, réagissant comme la plupart des êtres humains confrontés à une telle catastrophe: sidération et chagrin causés par la perte de proches, effacement temporaire des désaccords, désir et besoin de se protéger mutuellement et… Exploitation hypocrite du deuil national pour retrouver ses réflexes mondains. Là, Jay Mac Inerney parvient à merveille à lancer ses dards contre cette part superficielle de la société. Mais les personnages que nous suivons, Corinne Calloway et Luke Mac Gavock entre autres, ainsi que la fille de celui-ci, Ashley la bien prénommée, se retrouvent au seuil d'un bouleversement radical de leur existence. Les premiers chapitres, avant catastrophe, montraient largement leurs désillusions respectives. L'après-attentat définit une sorte de période tampon, à l’effet de stupeur et de panique bien décrites, où la sidération déclenche le facteur " chance" qui met miraculeusement en présence Corinne et Luke, tellement fragilisés par leur doute et leurs deuils. S'épaulant spontanément tous deux, "en participant de leur mieux" au déblaiement et à l'organisation des secours, ils vont apprendre à se reconnaître comme les deux moitiés d’humanité mythique enfin réunis, déchirés entre bonheur plein de leur complétude et culpabilité de rupture qu'ils n'osent pas assumer. D'autant que Luke est confronté à un second drame, l'overdose d'Ashley qu'il n'a pas pu jusqu'alors arracher au désastre d'une adolescence gâchée. À la recherche de sa propre renaissance, Ashley offre à son père l'occasion de faire le point en retrouvant ses propres racines loin de la ville. C'est bien sûr au moment où nos amants prennent chacun de leur côté la ferme résolution de larguer le passé pour s'offrir un avenir épanoui, que le petit grain de sable remet tout en cause.… La force de l'auteur réside dans la description fine des mécanismes sociaux, conformisme snob ou relations fondées sur une spirale sans fin de séduction en tout genre. Systèmes sociaux qui ne peuvent qu'aboutir à la destruction des valeurs d’intégrité, courage, respect de soi et de l'autre… Pour Corinne c'est la mise entre parenthèse de sa carrière au profit de l’éducation d’enfants désirés, qui a déclenché le retour sur soi, et la remise en question des moyens que l'on s'octroie pour réussir. Quant à Luke qui s'est volontairement affranchi du monde de l'entreprise, il est confronté à trois facteurs décisifs : lassitude de son couple, inquiétude devant la dérive de sa fille, deuil enfin de son ami Guillermo, avec qui il aurait "dû" mourir… Bref, dans ce monde poli et glacé où il est de mise de se battre sans scrupules pour se constituer une cage de réussite codifiée, le facteur humain sème une petite graine perturbante… L’intérêt et la force de ce roman résident surtout dans le niveau toujours individuel des réactions de chacun des personnages, et non dans la description générale d’une société chamboulée par les événements du 11 septembre. Ce n’est donc pas un roman sur les attentats de New York, mais plutôt la prise de considération de destins personnels auxquels l’Histoire offre une confrontation avec la perte de leur valeur initiale.
Pourquoi donc s’intéresser à un tel sujet quand on est simplement une lectrice européenne moyenne dans une société bien éloignée des courants branchés mégalos urbains ? C’est la force et la réussite de la construction des personnages, qui dépassent les clivages sociaux déterminés par l’auteur et qui trouvent leur écho en nous. Second critère intéressant, le lecteur s’investissant dans la vie des différents personnages se reconnaît confronté à certaines circonstances qui lui échappent : tsunami, attentat, crises de société graves, incendie de collines, ne sommes-nous pas conduits à transposer et adapter nos existences nanties et sécurisées à une situation de danger immanent qui nous dépasse et pose la question de nos limites. « Et moi, qu’est-ce que j’aurais fait en pareilles circonstances? »… Ni Corinne ni Luke ne cherchent l’héroïsme dans leur réaction, mais pour l’un et l’autre, l’immersion dans l’aventure des secours apparaît comme une planche de salut, la bouffée d’air dont ils avaient l’un et l’autre besoin par rapport à une vie personnelle sur le point de sombrer, alors même qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre prêts à le reconnaître.
Un roman bien intéressant à cet égard et encore un grand merci à mes trois complices de lecture, Nucie John et Jean-Claude, à qui je dois déjà nombre d'heureuses découvertes.
Note : 9/10
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