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l'amour est une île

l'amour est une île

Auteur : Claudie Gallay

Éditeur : Actes Sud

Année : 2010 août

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » (Mark Twain)

J’aime bien l’exergue qu’a choisi Claudie Gallay pour parrainer ce nouveau roman, paru en 2010. Après le succès des " Déferlantes", il est facile d’imaginer combien ses doigts tremblaient devant le clavier et les neurones frissonnaient en quête d’une qualité expressive aussi forte au service d’émotions viscérales.

Alors Claudie Gallay a rejoint sa région et transporté son intrigue en Avignon. Mieux, elle a rebondi sur cet événement extraordinaire qu’a été le festival 2003, perturbé et annulé en grande partie par les grèves des intermittents du spectacle. Au cœur de la vieille ville, ou sur la péniche ancrée hors les murs, Claudie Gallay suit pas à pas les doutes et les passions de ses personnages. Étayé par la même écriture nerveuse, rythmé par les flux d’émotions diverses que vivent les membres de la troupe d’Odon Schnadel, ce roman nous plonge dans les arcanes de la création.
Création théâtrale d’abord, à travers les efforts d’une petite troupe pour faire vivre le texte insolite d’un jeune auteur foudroyé avant de voir son œuvre reconnue. On devine la mise en scène d’Odon, le trac des tout jeunes comédiens, les difficultés pécuniaires des artistes, et leur enthousiasme néophyte pour surmonter les obstacles. Les grèves menacent d’anéantir leurs efforts, et les avis se partagent, entre passion professionnelle et combat social. Dans cette atmosphère bouillonnante, arrivent deux femmes qui vont verser de l’huile sur ce foyer déjà bien incandescent.
Marie arrive du Nord de la France, à l’aventure et sans repères précis, si ce n’est l’objectif de rencontrer le metteur en scène de la pièce écrite par son frère, Paul Selliès. Paul est mort de façon tragique, on le comprend très vite. Marie revendique sa mémoire et demande des comptes à Odon Schnadel, car il est aussi l’éditeur à qui Paul avait adressé un autre manuscrit primordial pour l’écrivain en herbe. Mais Odon n’a jamais donné suite à ce premier envoi. Marie veut comprendre pourquoi Odon monte enfin "Nuit rouge", sans mentionner "Anamorphose", premier texte envoyé par Selliès.

Le festival d’Avignon a deux visages. Odon et sa troupe vivent à l’ombre du in, le festival « officiel », celui qui draine les foules argentées, le répertoire avalisé sur les scènes internationales, les auteurs réputés et les comédiens célèbres. Cette année-là, la Jogar, diva des planches, revient en Avignon pour la première fois depuis qu’elle a conquis la gloire. L’événement est de taille et tous la guettent et l’attendent dans sa ville natale. Certains avec enthousiasme, d’autres avec rancœur. Mais pour Odon et sa sœur Odile, c’est l’émotion qui submerge les années de chagrin. Au temps où elle s’appelait encore Mathilde, La Jogar a été l’amie intime d’Odile, et surtout la maîtresse d’Odon. Ils ont partagé une passion ravageuse et Odon a participé à l’émancipation de Mathilde. Jusqu’à quel point ?

Car même sous les feux des projecteurs, toute trajectoire comporte des zones d’ombres. La comédienne a assis son aura sur un texte ardent, "Ultimes déviances", qu’elle a présenté comme son œuvre personnelle. Le problème de la création littéraire émerge à nouveau au cœur de l’intrigue. Les doutes et les malaises des protagonistes vont croissant au rythme des progrès du conflit social, qui ne quitte en fait jamais la scène du roman.
Claudie Gallay étaie la progression de son intrigue sur ce contexte historique, et les flux et reflux du combat des intermittents portent les remous des agissements de ses personnages. Que cherche vraiment la jeune Marie ? Odon et La Jogar peuvent-ils se retrouver, vivre à nouveau l’acmé de leur amour quand la culpabilité et l’amertume ont creusé un tel fossé entre eux ? Quelle désillusion guettent la jeune Julie et ses condisciples ?
"L’amour est une île"-prison, qui enferme et ne protège personne. Au comble de son vertige, Odon finira par jeter à l’eau son piano. Symbole d’un monde rongé jusqu’à la nausée par les pièges de nos passions.

"L’amour est une île" vient nous rappeler que nos passions sont rarement aussi lumineuses que le souvenir qu’on voudrait en garder. Mais l’écriture de Claudie Gallay reste pugnace et offensive. Elle refuse l’indulgence du pardon facile accordé à ses créatures, mais à travers le personnage d’Isabelle, témoin intangible des débuts fulgurants du festival, amoureuse fidèle à ses mythes, elle nous suggère d’acquérir le recul du temps qui apaise sans oubli.


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