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Le Magasin des Suicides

Le Magasin des Suicides

Auteur : Jean Teulé

Éditeur : Julliard ( pocket)

Année : 2008

Dire qu’entrer dans ce "Magasin des Suicides" est déconcertant relève d’une opinion minimaliste.
Évidemment, le lecteur avisé ne se laissera pas dérouter longtemps par le cynisme de la proposition. Chaussons nos lunettes « second degré » tout de suite ou passons au large.
Dans un monde tout gris à l’avenir indéfini, Lucrèce et Mishima Tuvache font leur possible pour satisfaire une clientèle déprimée qui ne songe qu’à en finir… Cette petite entreprise familiale utilise les talents de tous ses membres, enfants compris donc. Mais si les deux aînés (Marilyn et Vincent prénommés comme les icônes du genre !) se montrent zélés et commerçants qualifiés, il n’en va pas tout à fait de même pour le petit dernier, Alan, qui affiche dès son plus jeune âge un optimisme indéfectible. La preuve, dans son berceau le nourrisson sourit déjà sans raison… Une vraie tare dans ce monde évolué où la géographie s’est bizarrement distordue.
Alors, comme tous parents soucieux de bien élever leur progéniture, Lucrèce et Mishima se démènent pour ramener le petit Alan à des pensées plus moroses… Voilà la matière de ce traité caustique du mal-être ambiant et de la déprime institutionnelle.

Jean Teulé semble vouloir nous amuser avec cette fable drolatique. À dire le vrai, elle n’est désopilante que d’un certain point de vue, car elle nous oblige à réfléchir à notre propre formatage social. Certes, imaginer une société où le suicide est, sinon encouragé, reconnu « d’utilité publique », paraît incongru et donc drôle, divertissant parce qu’improbable. Mais sommes-nous si éloigné du propos, nous qui vivons des temps où les sujets douloureux de l’euthanasie et de la fin de vie se discutent passionnément? Je ne suis pas certaine d’ailleurs que Jean Teulé ait envisagé une telle extension à sa fiction, mais attendez-vous à frémir quand vous arriverez aux dernières pages. Finalement, ce livre nous laisse au bord d’un malaise indéniable et ce roman que l’on prenait pour un divertissement anodin, à la lecture facile, laisse une trace ambiguë dans notre magasin des souvenirs.

Pour ceux qui apprécient la dégustation de morceaux choisis afin de se convaincre, voici quelques brefs extraits qui illustrent le ton badin de l’auteur :
« Accrochés au plafond, des tubes au néon éclairent une dame âgée qui s’approche d’un bébé dans un landau gris :
— Oh, il sourit !
Une autre femme plus jeune — la commerçante — assise près de la fenêtre et face à la caisse enregistreuse où elle fait ses comptes, s’insurge :
— comment ça, mon fils sourit ? mais non, il ne sourit pas. Ce doit être un pli de la bouche. Pourquoi il sourirait ? » (page 7)
***
« La nouvelle fonction de la fille Tuvache s’avère être un succès à l’ébahissement de ses parents.
— Après des études qui furent un véritable suicide scolaire, elle a enfin trouvé sa place…Au rayon frais, soupire la mère.
— Depuis le kit Alan Turing, c’est la meilleure idée qu’on ait eue, confirme le père.
Et le tiroir-caisse fonctionne. Il y a une liste d’attente. Aux gens qui téléphonent pour réserver un Death Kiss, Lucrèce répond :
—Ouh, là, là, si vous voulez, mais pas avant une semaine !
Il y a tant de candidats au baiser de la Mort qu’il faut vérifier que des clients ne reviennent pas plusieurs fois. » (Page 66)
***
« — Il n’y a pas beaucoup de clients ce matin.
— Oui, c’est mort.
— C’est peut-être à cause de la victoire de l’équipe régionale, hier… » (Page 101)
***
« La jeune femme déconcertée regarde à droite et à gauche.
— Je ne me suis pas trompée ?… Je suis bien au Magasin des Suicides ?
— Ouh, là, là, oubliez ce mot qui ne mène nulle part.
— Pourquoi il dit ça. Fronce des yeux le père.
— La vie est ce qu’elle est. Elle vaut ce qu’elle vaut ! Elle fait ce qu’elle peut elle aussi avec ses maladresses. Faut pas trop lui en demander non plus à la vie. De là à vouloir la supprimer ! Autant prendre tout ça du bon côté. Et puis laissez ici cette corde et ce revolver zetable. Angoissée et paniquée comme vous êtes ces temps-ci, vous allez tirer dans le nœud coulant, ce sera n’importe quoi. C’est un coup à tomber du tabouret et se casser le zenou. Vous n’avez pas mal au zenou, là ?
— J’ai mal partout.
— Oui, mais au zenou ?
— Non, heu…
— Eh bien à la bonne heure ! Continuez comme ça…( Page 118)


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