Karoo
Auteur : Steve tesich
Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture
Année : 2012
Karoo est un curieux roman qui ne laissera personne indifférent, même et peut-être parce que son personnage central, le narrateur Saul Karoo, est un homme absolument antipathique. Tellement déplaisant d’ailleurs, cet homme, qu ’il ne s’aime pas, et s’emploie à faire en sorte que ses proches partagent ce dégoût de lui-même.
— Alors, me direz-vous, pourquoi se complaire à lire ses états d’âme dans ce pavé de 600 pages ?
D’abord, il y a dans l’édition française de Karoo, un attrait irrésistible de l’objet : les éditions Monsieur toussaint Louverture nous ont concocté un objet-lecture qui attire la main autant que le regard : Papier crème soyeux des pages intérieures et couverture gaufrée sont au livre les parures d’un sapin de Noël, sans compter l’annotation en dernière page de l’éditeur :
L’ouvrage
ne mesure que 140mm de largeur
sur 195 mm de hauteur. Pourtant
la chute qu’il raconte est vertigineuse.
Et si en fin de compte, je me sens moins enthousiaste que le jeune libraire de Charlemagne à Hyères, c’est peut-être dû à un besoin de me protéger du cynisme affiché par le narrateur. Saul Karro est scénariste à succès, ou plutôt, remanieur de scénarii, à bon droit ou maladroit, il reprend le travail d’auteurs afin de rendre plus commerciales les œuvres qui sont soumises à son diagnostic. Jusqu’au jour où son principal commanditaire lui transmet un film d’un cinéaste de grand renom qui livre son chef d’œuvre avant d’affronter la mort. » Doc » Karoo reconnaît la valeur du film et songe un temps à résister à détériorer l’œuvre d’art. Mais d’autres facteurs liés à sa vie personnelle influent le cours des choses.
Nous assistons alors à ce long combat d’un homme déchiré entre l’aspiration au rachat de ses erreurs et la tentation de jouer au deus ex machina …
Difficile combat que déroule Steve Tesich, s’appuyant sur un microcosme qu’il connaît parfaitement, celui des studios hollywoodiens.
Conscient de ses manques professionnels, Karoo est tout aussi lucide sur ses manquements affectifs, son incapacité à partager l’intimité d’un rapport affectif, le sadisme conscient avec lequel il tient son fils Billy à l’écart. Le roman s’ouvre alors que Saul tente péniblement de s’enivrer lors d’une soirée chez des amis. Ce fêtard new-yorkais ne parvient plus à retrouver l’ébriété que les multiples verres d’alcool avalés devraient lui procurer. Cette faille évidente souligne un tournant dans le destin de cet homme enclin à la destruction. Malgré lui, il faudra que son « anomalie » ouvre le bilan des échecs et des manquements… Le hasard met alors sur son chemin une starlette de troisième zone, dont le rire réveille un très ancien souvenir… S’il n’a jamais rencontré auparavant Leila Millar, leurs destins sont liés par une circonstance étrange… Saul Karoo parviendra-t-il à se libérer des fils invisibles tendus par des Parques hostiles ? À quel prix devra-t-il se résoudre ? Finalement, malgré la répugnance ressentie à l’égard du personnage avili, on se prend à regretter l’intransigeance du destin et à espérer que l’homme accède enfin à la paix. Quitte à trouver la sortie dans un cloaque rarement exprimé aussi crûment. Steve Tesich n’aura décidément rien épargné à son alter ego de papier.
Le libraire de la librairie Charlemagne à Hyères m’avait vendu le livre comme la révélation de l’année écoulée. J’ai trouvé sur youtube trace de l’écho du livre à La Grande Librairie : les libraires chez Bunel encensent cette découverte. Je mentirai en me déclarant aussi emballée. Il m’est arrivé de le sentir trop long, trop bavard… Ce qui n’empêche ce Karoo de surprendre jusqu’à l’ultime page un lecteur prêt à succomber au vœu de tempérance.
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