La solitude lumineuse
Auteur : Pablo Neruda
Éditeur : folio ( gallimard)
Année : 1975
Les textes rassemblés dans ce bref recueil s’apparentent à un carnet de voyage, fondé sur la nature particulière des anecdotes recueillies. La carrière consulaire de Pablo Neruda commence en Asie et lui permet de découvrir avec curiosité un univers totalement différent du Chili, et de se conforter dans une méfiance instinctive à l’ égard des habitudes occidentales et coloniales.
« Ma fonction officielle ne s’exerçait qu’une fois tous les trois mois, quand arrivait de Calcutta un bateau qui transportait de la paraffine solide et de grandes caisses de thé vers le Chili. Fiévreusement, je devais timbrer et signer des documents. Puis c’étaient trois nouveaux mois d’inaction, de contemplation solitaire de marchés et de temples. C’est l’époque la plus douloureuse de ma poésie. « p 31 , extrait de l’infortunée famille humaine.
Puisque ses fonctions lui laissent tant de loisirs, Pablo Neruda s’emploie à s’enrichir par l’observation de faits culturels étonnants :
« A-t-on apporté ici ces reptiles ? Comment se sont-ils adaptés ? on répond à nos questions avec un sourire, en nous disant dqu’ils sont venus seuls et repartiront seuls quand ils en auront envie. Il est vrai que les portes sont grandes ouvertes et qu’il n’y a ni grillage ni carreaux ni rien qui les oblige à rester dans ce temple. » ( page 17)
Ces considérations ne sont pas à fond perdues, même si l’auteur se reproche de ne plus produire de poésie, il sait que la quintessence des moments vécus constituent une richesse sans égal :
« Durant des heures, sous ces arbres qui ne me menaçaient plus, j’assistai aux merveilleuses danses rituelles d’une noble et antique culture et j’écoutai jusqu ‘au lever du soleil la délicieuse musique qui envahissait le chemin.
Le poète n’a rien à craindre du peuple. La vie, me sembla-t-il, me faisait une remarque et me donnait à jamais une leçon : la leçon de l’honneur caché, de la fraternité que nous ne connaissons pas , de la beauté qui fleurit dans l’obscurité. » ( Page 20)
Ainsi de poste en poste, sans illusions sur ses propres ambitions diplomatiques, le futur prix Nobel de littérature, bien loin encore des combats essentiels qui forgeront sa légende, se forge une image personnelle des relations humaines et sociales sous ces latitudes exotiques :
« J’ avais connu sur le bateau une fille blonde, rondelette, aux yeux orange et à la joie exubérante. Elle était juive et s’appelait Kruzi. Elle m’avait dit qu’une belle situation l’attendait à Batavia. Je m’approchai d’elle durant la fête d’adieu de la traversée. Entre deux verres, elle m’entraînait danser et je la suivais maladroitement dans les lentes contorsions en usage à l’époque. Cette dernière nuit, nous la passâmes à faire l’amour dans ma cabine, en amis, conscients que le hasard unissait nos destins pour une seule rencontre. Je lui confiai mes malheurs. Elle me plaignit avec gentillesse et sa tendresse passagère m’alla droit au cœur.
Kruzi, de son côté, m’avoua quelle véritable occupation l’amenait à Batavia. Une organisation plus ou moins internationale plaçait des filles d’Europe dans les lits de respectables Asiatiques. En ce qui la concernait, on lui avait donné le choix entre un maharadjah, un prince siamois et un riche commerçant chinois.… » ( page 66 Singapour)
Belle et riche humanité comme on le voit, qui nourrit les convictions politiques du Poète et contribue à développer la facette combative de l’homme.
Un petit livre folio à la lecture facile, qui permet de revenir sur l’étrange destin d’un homme dont le parcours est emblématique des luttes du siècle dernier.
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