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Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates

Auteur : Mary Ann Shaffer & Annie Barrows

Éditeur : NiL

Année : 2009

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates.
Mary Ann Shaffer et Annie Barrows
Édition originale Dial Press Random House 2008
Traduction Française chez NiL assurée par Aline Azoulay ( de l’américain)

ISBN : 978-2-84111-371-2





Voilà le petit bijou de l’hiver !!!
Bien qu’écrit par une Américaine, il émane de ce livre la finesse et l’humour délicieusement décalés de la littérature anglo-saxonne.
Est-ce parce que l’intrigue est située en Angleterre et dans les îles anglo-normandes ?
Est-ce que parce que l’auteure s’est choisi une héroïne anglaise, de surcroît femme de lettres, dont le lien charnel à la littérature est tissé autour de Charles Lamb*?

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates dissimule sous son titre étrange une particularité qui explicite son charme : Non seulement Mary Ann Shaffer a choisi la forme épistolaire, mais elle a situé son action dans l’immédiat après guerre, et le ton adopté s’ajuste parfaitement à la transcription de l’atmosphère de l’époque.


Nous sommes donc en Janvier 1946, soit à peine sept mois après la reddition de l’Allemagne Nazie. Tandis que l’Europe tente de se relever des horreurs de la guerre, Juliet Ashton, jeune écrivaine anglaise, est en tournée de promotion pour le livre qu’elle a écrit pendant les années de Blitz, afin de participer au maintien du moral de la population. Les lettres échangées avec Sidney, son éditeur à Londres, et son amie Sophie, en Écosse, tissent un lien permanent avec les deux personnes qui lui sont les plus proches. Ce qui justifie à la fois le ton informel et personnel des échanges. S’ajoute à ces critères une courtoisie particulièrement « anglaise », ce fond de quant à soi décalé, poli et ironique qui constitue la trame des rapports humains que David Lodge, mon » chouchou « des Lettres Anglaises, traduit toujours à merveille. N’allez pas imaginer l’exploitation systématique d’un procédé, évident comme le nez au milieu du visage. Il s’agit plutôt d’une politesse du cœur qui favorise d’emblée le respect et l’affection pour la plume qui témoigne. Dès la première de ces missives, j’ai frissonné d’aise : savez-vous quel adjectif a instantanément traversé mon petit cerveau de lectrice ?
- Délicieux…
Derechef, j’ai remonté mes oreillers, me suis calée confortablement pour dévorer la suite…

Au rythme soutenu de ces échanges épistolaires se dessinent de brefs chapitres qui nous permettent de connaître les différents protagonistes. Mary Ann Shaffer choisi délibérément un tempo rapide, peu de lettres excèdent trois pages, et l’auteur modernise le style en glissant quelques textes télégraphiques. Ces ruptures de rythme et la mise en page aérée, presque dénudée, confère à la menée de l’intrigue une cadence très vivante. Survient assez rapidement une lettre d’un inconnu, Dawsey Adams, habitant de Guernesey. Je me permets d’insérer ici le début de la première lettre de Dawsey pour éclairer la limpidité du procédé :
- « Chère Miss Ashton
Je m’appelle Dawsey Adams et j’habite une ferme de la paroisse de St Martin, sur l’île de Guernesey. Je connais votre existence parce que je possède un vieux livre vous ayant jadis appartenu, Les Essais d’Élia, morceaux choisis, d’un auteur dont le nom véritable était Charles Lamb.(…)
Je n’irai pas par quatre chemins : j’adore Charles Lamb. Aussi, en lisant morceaux choisis, je me suis demandé s’il existait une œuvre plus vaste dont auraient été tirés ces extraits. Je veux lire ces autres textes. Seulement, bien que les Allemands aient quitté l’île depuis longtemps, il ne reste plus aucune librairie à Guernesey.
(…)
{Lettre de Dawsey Adams à Juliet Ashton, page 19, édition du NiL.}

Voilà posé le nœud de l’intrigue.
C’est ainsi que Juliet entame une correspondance suivie, non seulement avec Dawsey, mais également avec les autres membres du cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Guernesey. Durant toute la première partie de l’ouvrage, nous suivons de missive en missive le tableau que les insulaires dressent de leur société et surtout de l’impact de l’occupation allemande sur leur mode de vie. Ici se tient encore un des intérêts les plus poignant de cet ouvrage : comme Juliet, bien peu d’entre nous connaissent cet aspect des souffrances endurées par les seuls Anglais occupés ! Pendant que les Londoniens se battaient sous les horreurs des bombardements, que le reste de l’Europe faisait le gros dos et résistait de son mieux aux traitements que lui réservait l’occupant, les anglo-normands subissaient un sort identique dans l’indifférence et le secret, coupés du reste du monde par l’insularité, privés brutalement de communication et de marché… L’autonomie sur ces îles minuscules est fort réduite…
Et puisque je prends le parti de vous appâter de quelques extraits, voici un petit caillou extrait de la réponse de Juliet à Dawsey qui pourrait bien vous convaincre de plonger sans plus attendre dans ce petit monde ( Juliet à Dawsey page 22)
(…) C’est ce que j’aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l’infini, et c’est du plaisir pur.
(…) Si vous avez le temps de correspondre avec moi, pourriez-vous répondre à quelques questions ? Trois en fait. Pourquoi avoir dû tenir secret un dîner de cochon rôti ? Comment un cochon a-t-il pu vous inciter à créer un cercle littéraire ? Et surtout qu’est-ce qu’une tourte aux épluchures de patates, et pourquoi est-elle mentionnée dans le nom de votre cercle ?

En découvrant les réponses à ces questions, Juliet va s’attacher à ses nouveaux amis et ne tardera pas à leur rendre visite. Le sort des habitants, les drames humains et les personnalités rencontrées constituent la matière de pages saisissantes par leur humanité, leur intensité dramatique, leur vérité historique et parfois leur cocasserie. La seconde partie de l’ouvrage relate la vie de Juliet sur l’île, sa relation particulière à la petite Kit, fille d’Élizabeth Mac Kenna, figure emblématique de la résistance des insulaires, dont le sort tragique devient un des fils principaux de la pelote que démêle notre épistolière.
Ne comptez pas sur moi pour éclairer davantage vos lanternes… Offrez-vous sans tarder le plaisir de découvrir les réponses à ces palpitantes interrogations dans ce merveilleux bijou littéraire, écrit très tardivement, malheureusement pour nous, par la délicieuse Mary Ann Shaffer.

À la demande des amis de son club de lecture, qui avait dû repérer ses talents de conteuse, elle a entrepris la rédaction de son unique roman édité peu de temps avant que ne se déclare la maladie qui devait l’emporter et elle a dû demander l’aide de sa nièce, Annie Barrows pour en achever la rédaction.
Mary Ann Shaffer était américaine, née en 1934 à Martinsburg, en Virginie occidentale. En 1979, à l’occasion d’un voyage dans les îles anglo-normandes, elle avait découvert des documents surprenants sur l’époque de l’occupation nazie. N’ayant jamais oublié ces révélations, elle s’en est naturellement servi pour développer son histoire. De ses propres aveux, le style épistolaire s’est imposé de lui-même.
Mary Ann Shaffer s’est éteinte en 2008, peu de temps après la publication de son roman, certaine qu’il serait traduit en plusieurs langues… Le rêve de sa vie est devenu réalité.





Mary Ann Shaffer, biographie

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