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Terre et cendres

Terre et cendres

Auteur : Atiq Rahimi

Éditeur : P.O.L

Année : 2000

Un an après la découverte du magnifique Syngué Sabour, je poursuis la découverte de l’univers d’Atiq Rahimi. J’avais été subjuguée alors par les qualités décelées dans l’ouvrage primé par le Goncourt 2008. La poésie rude de l’écrivain d’origine afghane, qui signait là son premier roman écrit directement en français, donnait au récit une dimension universelle aussi émouvante et intemporelle que les tragédies grecques.

Mon amie Simone, après avoir dégusté à son tour l’ouvrage, a pris le temps d’y revenir plusieurs fois, comme elle me l’a rapporté, afin de se pénétrer de cette langue exigeante, au service d’un thème poignant. Puis elle était arrivée un beau jour pour déjeuner à la maison avec ce petit ouvrage, sachant combien j’étais curieuse de mieux connaître cet écrivain. Par crainte de ma propre subjectivité au regard d’œuvres d’un même auteur, j’aime bien prendre le temps de laisser décanter mes impressions, cela me semble plus honnête face au nouvel ouvrage. Un an plus tard, je pouvais enfin déloger l’opus de sa file d’attente.…

C’est peu de dire que je n’ai pas été déçue !
Grâce à la traduction de Sabrina Nouri, « Terre et cendres » appartient bel et bien à la production d’un très grand écrivain-poète. Celles et ceux d’entre vous qui s’amusent à suivre mes coups de cœur le savent, je suis assez sensible au français oriental des écrivains venus d’horizons méditerranéens : après Andrée Chedid, Tahar ben Jelloul, plus récemment Yasmina Khadra…

Écrit au présent, construit comme une adresse directe au personnage central du roman, ce récit présente un apparent dépouillement d’autant plus sobre que les destins qu’il rapporte sont englués dans la Tragédie.
Au cours de ces quelque 93 pages, nous accompagnons Dastaguir, l’aïeul rescapé de son village bombardé au cours de la guerre contre l’Union Soviétique, dans son terrible périple. Assommé par la perte de toute sa famille, à l’exception de son petit-fils Yassin, Dastaguir entreprend d’aller annoncer le drame à Mourad, son fils. Celui-ci travaille dans une mine isolée dans les montagnes, afin de subvenir aux besoins du clan. Dastaguir le sait coupé des nouvelles du monde, ignorant du deuil subi. Le vieil homme se retrouve être le dernier lien entre son fils et son petit-fils. Il se doit de veiller sur ce dernier, devenu sourd à la suite des bombardements qui ont détruit le village. Il se doit aussi de porter au père de l’enfant la relation de cette catastrophe humaine et familiale.…

Le poids des destins confère aux individus la force d’accomplir leur devoir. Dans « Singué sabour», le coma du mari permettait à sa femme à la fois d’endosser son rôle de presque veuve, avant de puiser dans son abnégation la force de sa rébellion et sa revendication à défendre son droit à la vie. Dans « Terre et cendres », la mort a déjà frappé; Dastaguir résiste aux souffrances pour annoncer et partager son désespoir. En lui se situe un autre combat : ses morts doivent être ensevelis décemment par le respect du deuil que les vivants leur doivent … Au-delà de la tradition, c’est le poids culturel du vécu qui structure la démarche du vieillard, et le drame du grand-père qui redoute l’avenir de son petit-fils.

Tout se dit et se joue en quelques pages, en quelques mots, et la force d’Atiq Rahimi réside dans la façon toute simple de donner à des détails minuscules la symbolique de tout un mode de vie. La description du baluchon dans lequel Dastaguir a réuni quelques pommes pour survivre pendant le périple qu’il entreprend : ce sac est nommé gol-e-seb, et la note de bas de page nous renseigne sur le symbole que revêt ce tissu imprimé. Voilà résumé l’imagerie du village, les activités des femmes et l’apparence de leurs atours.

Ce roman peut se lire rapidement. Le lecteur ne s’en départira pas si facilement. Il contient tant de désarroi qu’il nous lie aux mots d’Atiq Rahimi mieux que n’importe quel reportage de guerre. Nous sommes au cœur de la détresse d’un homme âgé qui pressent sa solitude. Il sait par anticipation que son monde a disparu avec sa femme et sa famille, et que la rencontre avec son fils Mourad n’y changerait rien. Mourad appartient déjà à un autre univers, ce que le contremaître de la mine lui confirme :
" - Mourad est notre meilleur ouvrier. La semaine prochaine, nous l’envoyons à un cours d’alphabétisation. Il apprendra à lire et à écrire. Un jour, il aura une position. Nous l’avons choisi pour représenter les mineurs, parce que c’est un jeune homme intelligent, travailleur et révolutionnaire.

Tu n’entends pas la suite. Tu penses à Mirza Qadir. Comme lui, tu dois choisir de rester ou de partir. Si jamais tu vois Mourad, que lui diras-tu ?
(…)

Tu saisis le baluchon tombé à tes pieds. Tu ne veux pas le laisser ici pour Mourad. Le foulard gol-e-seb porte le parfum de ta femme.

(…)

Tu te presses vers l’entrée. Tu parviens au portail. Tu n’attends pas Shamard et te mets en route vers les collines sombres. Les sanglots t’étouffent. Tu fermes les yeux et tu laisses les pleurs couler doucement dans ta poitrine. Dastaguir ? Sois un homme ! Un homme ne pleure pas. Et pourquoi pas ? Laisse donc ton chagrin s’écouler!"

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