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Millénium - : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Millénium - : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Auteur : Stieg Larsson

Éditeur : Actes Noirs ( actes Sud)

Année : Juin 2006

Petite gourmandise à l’approche de l’été, je me suis plongée dans le premier tome de la si fameuse trilogie de Stieg Larsson : Millénium. Une saga qui a d’ores et déjà trouvé sa place dans le catalogue des divertissements littéraires. Si la curiosité vous pique de comprendre les raisons d’un tel succès, vous faites comme moi, vous vous dites qu’il faut aller y voir…
Quitte à prendre le risque d’être déçu, de rester sur sa faim, ou de plonger en apnée dans les deux autres volumes, sans trouver la force d’échapper à cet univers magnétique…

Stieg Larsson établit en effet univers personnel attachant car il fait partie des créations où tout un chacun peut reconnaître ses propres marques : soucis de travail, considération sur son parcours personnel, difficultés relationnelles, insatisfaction sentimentale, confrontation des degrés divers de tolérance que chacun de nous est capable de développer en période de crise, critères des choix ou suspicions à l’encontre du monde qui nous entoure.

Dans le paysage romanesque de Millénium, nous suivons les bonnes et mauvaises fortunes du personnage principal : Mikaël Blomkvist, journaliste à Millénium, la revue mensuelle qu’il a créée avec sa maîtresse, Erika, l’épouse de Lars Beckman, artiste peintre qui ne s’offusque pas de la relation sexuelle durable entre Mikaël et Erika.

Mikaël vient de perdre un important procès contre le richissime banquier Hans-Erik Wennerström. Après une série d’articles de fond sur la pratique de la corruption dans l’empire Wennerström, celui-ci l’a accusé de diffamation et les juges lui ont donné raison. Outre les soucis financiers avec une grosse amende à payer, une peine de quelques mois de prison, la perte de la crédibilité du journaliste met en péril le magazine. En plein accord avec Erika, la cofondatrice du magazine, il décide de se mettre en retrait.
C’est alors qu’il est contacté par Dirch Frode, avocat représentant les intérêts d’un ancien magnat de l’industrie, Henrik Vanger, retiré à Hedestad, bourgade du nord de la Suède. L’ancien industriel lui met alors en main un étrange marché : sous le prétexte d’écrire la biographie du patriarche du groupe Vanger, le journaliste en rupture de travail devra reprendre les investigations interrompues depuis trente ans sur la mystérieuse disparition de la nièce du magnat de l’industrie, Harriet Vanger.
Plutôt à contrecœur, mais parce qu’il se sent acculé par les éléments disparates de ses ennuis actuels, Mikaël finit par accepter l’étrange contrat. Il ne croit cependant à aucun moment parvenir à retrouver les éléments d’une enquête classée depuis si longtemps, quand certains protagonistes sont décédés ou partis à la retraite. Mais outre l’important dédommagement financier qui lui permet de faire face aux conséquences de l’affaire Wennerström, le contrat prévoit son installation dans l’île de Hedeby où réside la famille Vanger au grand complet, puisque l’important consortium est toujours dirigé par un descendant Vanger, en l’occurrence le neveu Martin, Henrik n’ayant pas eu d’enfant.

Voilà donc Mikaël installé à Hedeby ; dans la petite maison d’invités au confort rustique, malgré le froid vif de cette partie septentrionale du pays, la neige épaisse, la glace qui givre les fenêtres, la solitude physique et morale. Bref, Mikaël a le moral dans les talons, et nous compatissons.
Le décor est dressé.
C’est alors qu’il nous faut faire attention à un autre personnage original, dont nous pressentons que le rôle ne sera pas anodin. Dès le début du roman, nous faisons connaissance avec Lisbeth Salander, enquêtrice spéciale de l’entreprise de sécurité Milton, dirigée par Dragan Armanskij. Si les deux protagonistes évoluent en parallèle dans ce premier temps de l’histoire, nous savons très vite que Lisbeth a enquêté sur Mikaël à propos du procès, ce qui constitue un premier fil pour réunir les intérêts des deux enquêteurs. Par ailleurs, Lisbeth est dépeinte comme un petit animal non-domesticable, une jeune femme qui a du mal à quitter son adolescence turbulente, une personnalité limite de l’autisme, fragile et déterminée, sauvage, socialement inadaptée, que Dragan Armanskij sauve en lui accordant une confiance professionnelle empreinte de vigilance paternelle.

Nous en venons enfin au point de l’intrigue où, à la suite de Mikaël, il nous faut pénétrer les arcanes de la famille Vanger, et démêler les nœuds d’une tribu complexe. Pour aider ses lecteurs, Stieg Larsson a eu la sagesse de dresser un tableau généalogique concernant la fratrie à partir de Henrik, ses frères et sœurs et leurs descendants directs. De même, héritier d’une civilisation où l’image règne en maître en lieu et place des mots qu’auraient utilisés Victor Hugo, Balzac ou Zola, il donne au lecteur à voir les plans des lieux, l’île, le hameau où les faits relatifs à la disparition de Harriet se sont déroulés. Plus tard dans le déroulement de l’intrigue, ces plans permettront aussi de visualiser les éléments du danger qui guettent bien évidemment les enquêteurs… Gardons-nous bien d’en révéler davantage. Le roman est séquencé chronologiquement par périodes de trois à dix jours, ce qui implique de recouper les actions des différents protagonistes sur la durée annoncée. Si la notion de temps est omniprésente, ce contrat d’une année précise pour mener l’enquête, les lieux et le climat du nord de la suède participent autant à l’atmosphère et à la résolution des énigmes. Comme tout bon polar qui se respecte, les retournements de situations abondent et s’enchaînent avec une rigueur indécelable en première lecture. Mais le lecteur est ravi d’être mené par le bout de ses lunettes.

La force et l’impact de l’univers de Stieg Larsson sur le style « polar » de ce début de XXIème siècle, réside bien dans le sens de l’image, la connaissance immédiate et concrète des éléments de l’intrigue. Stieg Larsson utilise une écriture efficace, brute, dénuée de fioritures, mais suffisamment intimiste et familière toutefois pour laisser s’installer une véritable ambiance : les humeurs, la nostalgie secrète, la rage, le sentiment d’urgence, toutes ces notations implicites sans lesquelles les personnages resteraient des mots, incapables d’incarner une part plus ou moins intime du lecteur qui partage mentalement les ressentis des protagonistes.
Il me paraît toutefois inapproprié de parler d’anti-héros : malgré les faiblesses psychologiques et les difficultés que rencontrent les personnages, Mikaël et Lisbeth font preuve de constance, de détermination, de courage qui vont bien au-delà de ce que nous endossons dans nos vies quotidiennes. Le récit développe tout simplement une reconnaissance de ce que nous aimerions être en pareille situation, il dévoile ce petit coin de nos consciences accessible aux fantasmes des redresseurs de torts, des justiciers ordinaires. Le lecteur, engoncé à l’abri de son fauteuil ou de son lit, adhère au divertissement qui extrapole et l’emmène en toute sécurité dans la neige et le froid, sous la pluie, au fin fond d’un inconfort qui ne le guette pas. Voilà sûrement un des secrets de son succès.

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