Le lièvre de Patagonie
Auteur : Claude Lanzmann
Éditeur : Gallimard ( nrf)
Année : 2009
Les Mémoires de Claude Lanzmann ont l’avantage d’utiliser et d’illustrer à satiété les ressources de l’auteur. Étrange et périlleux exercice de présenter un ouvrage en soulignant d’entrée que ce véritable pavé semble parfois fort long. Pourtant, les faits relatés sous ce titre incongru ( la Patagonie ne semble avoir été à priori qu’un lieu visité parmi tant d’autres) , sont souvent remarquables et présentent un tableau exhaustif d’un parcours à la fois atypique et représentatif d’un courant intellectuel qui a marqué la seconde partie du XXème siècle. Ce n’est pas si loin et la plupart des lecteurs de cet ouvrage y reconnaîtront au passage des événements qui les ont touchés, émus, angoissés, éclairés.
Je reste encore un peu sur les impressions négatives pour lever définitivement toutes restrictions. Si vous acceptez ces travers, vous pouvez entrer dans l’univers égocentré de l’auteur. La limite et l’honnêteté de ses Mémoires est de présenter les événements par la lorgnette exclusive de son vécu, démarche logique et crédible, mais qu’un irrépressible besoin de reconnaissance sature. J’explicite ma réserve : je me suis senti agacée par exemple par ce besoin de connoter ses relations amicales et affectives avec les « phares intellectuels que représentent l’alliance Sartre –de Beauvoir » avec un luxe de détails et la lourdeur de l’utilisation du surnom de Simone de Beauvoir. « Le Castor » est utilisé jusqu’à la lassitude pour souligner la nature de leur relation. Mais bon, besoin de reconnaissance, qui y échappe ?
Ces défauts tolérés et pardonnés, entrons dans le vif du sujet.
C’est par les années d’Occupation que Claude Lanzmann commence son récit. Communiste et convaincu qu’il faut agir, il fonde un réseau au sein du lycéen provincial où son père l’a inscrit pour le soustraire aux menaces antisémites du nazisme. Les retrouvailles avec sa mère permettent de décrire les conditions de vie du couple dans le Paris sous occupation, la solidarité des amis, l’inconscience et l’audace de sa mère dont l’auteur ne cache pas la part d’admiration que suscitent ses extravagances. Au fil des chapitres, l’écrivain décrit minutieusement ses différentes activités, journalisme, essai philosophique, militantisme toujours. Les pages consacrées aux « événements » en Algérie m’ont paru intéressantes, car Claude Lanzmann rapporte des témoignages issus de l’autre côté, intellectuels sympathisant du mouvement d’indépendance, eux-mêmes victimes ensuite des factions en quête du pouvoir. En déroulant le fil de sa mémoire, Claude Lanzmann donne à voir comment on construit la mémoire collective d’un pays, d’une société. Car le point d’orgue de son récit est atteint quand il aborde enfin la très longue saga de son œuvre maîtresse, le film Shoa pour lequel des années ont été nécessaires afin de réunir témoignages et moyens techniques, sans parler des financements hésitants et sporadiques, dans un environnement quasi clandestin. Ces pages atteignent leur but, je suis prête à parier que tout lecteur qui a tenu jusque-là nourrit forcément l’envie de voir ou revoir ce morceau d’anthologie malgré l’affrontement particulier au malaise mémoriel.
Ce livre témoignage ne sera pas un bon compagnon de plage, certes non, mais il appartient à la catégorie des ouvrages que l’on est content d’avoir lu, pour cet étai qu’ils apportent à nos consciences d’être debout et présent à notre histoire.
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