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Les quatre morts de Jean de Dieu

Les quatre morts de Jean de Dieu

Auteur : Andrée Chedid

Éditeur : Flammarion

Année : 2010

Dernier ouvrage en date d’une très grande Dame de la littérature francophone," les quatre morts de Jean de Dieu "relate le destin d’un homme simple, enfant des métamorphoses de son temps, dont le parcours est magnifié par sa propre vision du monde.

À sa manière bien particulière, Andrée Chedid offre à son personnage une dimension emblématique du siècle précédent : Jean de Dieu naît dans les années vingt au sein d’une famille bourgeoise madrilène. Il reçoit une éducation très catholique comme il se doit, mais son passage au collège jésuite affine ses capacités de jugement et développe son sens du libre-arbitre.
Ainsi formé, Jean de Dieu est prêt à affronter les turbulences du Frente Popular, de l’exil, de l’adaptation à son nouveau pays…
Des amitiés décisives orientent ses prises de conscience et l’aident à fonder ses certitudes. Jean de Dieu est un homme de conviction, un homme honnête parce qu’il n’acceptera jamais de transiger avec sa conscience, un homme droit et fidèle à ses idéaux autant qu’à l’amour d’Isabelita, la femme de sa vie avec qui il fonde une famille.
« La première mort de Jean de Dieu s’était produite insidieusement, en suintant par étapes, à petits pas, comme une lente et mystérieuse hémorragie. Sa religion s’était évaporée, pudiquement, en silence, sans grande douleur. Au début, les autres n’avaient pas remarqué la disparition de sa foi catholique. Lui-même n’en ressentait pas son absence. Comme le cancéreux qui ne constate la présence de sa tumeur que des années après que les premières cellules se sont nichées et multipliées en secret dans sa chair, Jean n’avait pas ressenti la perte progressive d’une partie importante de sa substance, de son tissu ancestral.… » ( extrait page 45)

Andrée Chedid ne s’attache pas à détailler le parcours de son personnage principal. En fait, le cheminement de Jean lui fournit l’opportunité de jeter un regard distancié et même humoristique sur une période infiniment troublée :
« Les optimistes prédisaient que le communisme ne durerait qu’une centaine d’années. Les pessimistes affirmainet plusieurs siècles. Certains optimistes et les très pessimistes ( qui souffraient peut-être du foie) disaient : « c’est la fin du capitalisme. »
Mais comme très souvent l’Histoire nous joue des tours.… »
(extrait page 46)

L’écrivaine adapte son récit à l’image exacte du caractère de Jean de Dieu, et choisit plus souvent l’ellipse poétique pour transmettre la puissance des certitudes, la volonté de résistance, l’intégrité des convictions.
« En poésie comme en science, c’est l’étonnement, l’émerveillement devant le réel qui se révèle source de sens ».
À force de s’obstiner à appliquer ses théories à sa vie quotidienne, Jean de Dieu devient une figure comme on en cherche souvent pour nous guider, un phare intellectuel pour éclairer les tempêtes idéologiques, même si lui-même n’échappe pas aux tourmentes. En nous invitant à suivre le destin de son héros, Andrée Chédid nous convie à revoir l’Histoire du siècle passé à travers le filtre humain d’une famille comme il en existe tant…

Et puis en face de ce chef de famille intransigeant, craint autant qu’aimé par ses proches, nous découvrons la figure de l’amour absolu, définitif et la dernière partie du roman reçoit un tout autre éclairage. Nous accompagnons tout au long du dernier quart du récit le cheminement de sa veuve, entre chagrin et révolte. Cette femme, soumise trop souvent à son mari aux yeux de leurs enfants, défendant à sa façon des convictions opposées, entraîne sa famille dans un ultime pèlerinage endeuillé. Elle rencontre alors sa propre vérité comme un personnage de tragédie antique… La poésie toujours sous-jacente à l’écriture d’Andrée Chedid surgit ainsi pour souligner l’intensité des sentiments :
« En avançant elle tendait l’oreille pour entendre la rumeur de la mer. Elle se remémorait la vision azurée, ample, luisante, étoilée de points lumineux de leur Méditerranée.
- Un bleu incomparable, affirmait Jean.
Sa voix semblait surgir des entrailles d’Isabelita, se perdre dans sa cage thoracique, se débattre pour franchir le larynx, pour éclore sur sa bouche et naître enfin au bord de ses lèvres.
- Ce bleu d’entre les bleus, disait-il, ce bleu moucheté de lumière, ce bleu enluminé, chatoyant, moiré colorié. Cette moisson de lueurs, cette magie de reflets…
Elle se rappelait chaque mot de Jean, ils déferlaient l’un après l’autre brossant d’innombrables, d’inoubliables tableaux. « ( p 162)

Ce roman est passé quasiment inaperçu dans la presse de la rentrée littéraire. À croire que l’on n’attend plus les ouvrages de cette poétesse dont l’œuvre considérable a largement contribué au meilleur des Lettres francophones.C’est qu’Andrée Chedid n’écrit pas pour être dans l’air du temps, elle s’inscrit plutôt dans la conscience de notre époque. Je vous convie à relire sur le site qui lui est dédié ( http://mondalire.pagesperso-orange.fr/chedid.htm) ces lignes relevées au cours d’interview diverses :
Je veux garder les yeux ouverts sur les souffrances, le malheur, la cruauté du monde ; mais aussi sur la lumière, sur la beauté, sur tout ce qui nous aide à nous dépasser, à mieux vivre, à parier sur l'avenir.»

« C’est sans doute pourquoi j’ai toujours éprouvé ce besoin qu’une histoire ait un certain espace, presque comme un symbole, qu’elle soit toute simple, mais qu’elle contienne à l’intérieur quelque chose de tout un monde qui nous englobe un peu tous. »

André Chedid n’est pas seulement l’aïeule d’une tribu de musiciens populaires.
Née en 1920 au Caire dans une famille d’origine libanaise, elle s’est illustrée dès 1949 par ses recueils de poésie, offrant des textes lumineux et rigoureux. Ses romans n’ont rencontré de véritables succès publics qu’à partir des années 60, avec "Jonathan" et "Le sixième jour", puis "L’Autre "en 1969, "La Cité fertile" (un de mes préférés) "L’enfant multiple"…
Son écriture fluide, à la fois lyrique et dépouillée parfois à l'extrême, lui permet d’exceller dans l’art de la nouvelle : "L’étroite peau" (1965), "Derrière les visages "(1983), "Monde miroirs magie "(1988)… Sa bibliographie est aussi vaste que sa réelle générosité. Elle a longtemps enseigné la poésie en Suisse et est reconnue partout dans le monde une créatrice universelle. Il serait dommage qu’on l’oublie.

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