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Retour à Teims

Retour à Teims

Auteur : Didier Eribon

Éditeur : Champs essais

Année : 2009

En 2009 à la sortie de son livre Retour à Reims, Didier Eribon confiait à Olivier Barrot que l’un des sujets principaux, ou du moins sa motivation première à l’écriture de cet essai était le sentiment de honte qui l’a longtemps habité alors qu’il oeuvrait au quotidien pour se réaliser, professionnellement, culturellement, et intimement.

Né en 1953 dans une famille ouvrière des faubourgs de Reims, Didier Eribon s’est rapidement détaché de sa famille où il ne trouvait pas les critères de partage et de soutien nécessaires à l’éclosion de sa personnalité. Il explique dès le début de son étude à quel point la rupture est devenue nécessaire et radicale, au point qu’il n’a plus revu son père pendant plus de trente ans, et n’a même pas fait le déplacement depuis Paris pour son enterrement. C’est vers sa mère cependant qu’il voue ce retour à Reims, qui devient ainsi le sujet d’une relation à son passé, non pas comme réconciliation mais comme l’objet d’une analyse méticuleuse.

Il faut une sorte de lucidité cruelle pour parvenir à énoncer ainsi le malaise qui repose sur le décalage entre l’adolescent dont l’intelligence et les sens s’éveillent à l’ouverture au monde et à la finesse de la pensée d’une part, opposée à la rigidité brutale d’un groupe d’individus formatés pour reproduire un discours convenu. La misère qu’évoque Didier Eribon à propos de son enfance fait une part égale aux conditions matérielles pénibles — inconfort du logement, niveau de vie précaire, violences familiales, alcoolisme paternel— et aux tensions que sa scolarité prolongée provoque, malgré l’ambivalence des réactions maternelles: fierté et envie, revanche et revendication…
Assez tôt, le jeune Didier note sa gêne devant les plaisanteries lourdes et répétées, les jugements hâtifs sans fondement autre que la loi du milieu. Bien évidemment, la révélation à l’adolescence de sa différence sexuelle accentue son malaise et le pousse à tous les subterfuges pour fuir ce cocon étouffant.

Or, si l’auteur ne fait pas mystère des malentendus et des incompatibilités qui ont mené à cette distanciation autant géographique qu’affective, il resserre rapidement son propos sur l’analyse de l’évolution de la classe ouvrière qu’il incarne ainsi dans ce noyau familial. Son père devient le représentant des ouvriers de la seconde moitié du XXe siècle, marquée par l’effondrement des certitudes communistes et le délitement des structures mentales qui servaient de morale. Cette évolution négative qui conduit d’un communisme impulsant une fierté de classe, une certitude de bon droit, et que les mouvements politiques issus de 1968 saperont indéfectiblement, jusqu’à ce sacrilège suprême représenté par les votes frontistes des dernières décennies…

Le constat est amer, la rupture familiale irrévocable. Didier Eribon note qu’il n’envisage même pas de retrouver un jour ses frères, dont il apprend pourtant qu’ils se sont sentis abandonnés par sa fuite en avant. Malgré le sujet autobiographique annoncé de cet ouvrage, il devient vite évident que l’auteur se refuse à entrer dans le jeu des affects. Le parti pris qu’il adopte est d’intellectualiser son propos en usant du prisme socio-historique et cette démarche confère à son essai un défaitisme négatif que sa propre carrière dément. Car si le milieu de naissance détermine à ce point l’impossibilité d’évoluer, la carrière de cet universitaire s’inscrit en faux dans cette projection. À moins que le tabou que Didier Eribon n’énonce pas ne soit tout simplement sa propre difficulté à reconnaître et accepter le bonheur.

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