Une éducation libertine
Auteur : Jean-Baptiste Del Amo
Éditeur : Gallimard (NRF)
Année : 2008
Voilà un livre qui m’a vraiment déçu.
Pourtant repéré depuis les annonces de la rentrée littéraire, cet été, j’ai même dû commander mon exemplaire auprès de la libraire de Saint Max, nous étonnant toutes deux du succès annoncé de ce phénomène littéraire.
Premier roman, il était alors reconnu par l’ensemble de la critique comme possible lauréat de l’une ou l’autre des récompenses de Novembre, tant la richesse des images, la virtuosité du style, l’originalité du thème conviaient à la découverte.
Encore plus alléchée après avoir suivi l’interview du café littéraire, l’émission de Daniel Picouly, où le jeune écrivain s’exprimait avec aisance sur son œuvre, je me promettais donc de bons moments et gardais sur l’ouvrage un œil gourmand. Il m’a même semblé judicieux de l’offrir à John pour son anniversaire et le voilà sans doute bien puni de mon amitié!
Mais que lui reproché-je donc à ce livre ?
Son excès, qui a fait son attrait et son succès. Encore que… Le livre a été vanté par ceux qui bénéficient des œuvres avant commercialisation… Les lecteurs ordinaires, vous et moi, qui achètent les livres au compte-gouttes, en respectant leur budget, donc en sélectionnant les livres plus ou moins parcimonieusement, nous gagnons le droit de râler quand les critiques nous induisent à l’erreur, non ?
Une éducation libertine narre l’histoire de Gaspard, jeune homme fuyant sa Bretagne natale pour tenter sa chance à Paris. Construit en quatre parties, le roman commence par l’arrivée du personnage dans les rues encombrées et puantes du Paris du XVIIIème siècle. Il est vrai qu’à ce moment du récit, le style est bluffant, l’art de Jean-Baptiste Del Amo pour dresser l’atmosphère et le décor du récit est éblouissant, baroque, richissime d’évocation sensorielles.
« Paris, nombril crasseux et puant de France. Le soleil, suspendu au ciel comme un œil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sécheresse suffocante. »
Quelle magnifique image, une jolie trouvaille cet œil de cyclope…
J’étais enchantée, prête à m’immerger dans cet univers poétique, impressionnant par la force de ses images. Oui mais…
Ce roman foisonnant est bâti de bout en bout sur ces images sensitives absolument et entièrement négatives. Sur quatre cent trente-sept pages, il n’y a pas un seul mot pour transcrire un beau moment, une odeur agréable, un personnage charmant . Et si d’aventure quelqu’un de gentil s’introduit dans l’histoire ( Lucas, Emma), il est plaqué, abandonné et meurt dans des souffrances atroces, une pestilence épouvantable, son corps éructant des litres de pus sur des draps raidis par leur crasse…
Il y a deux ans, j’ai lu les Bienveillantes, jusqu’au bout, en prenant mon temps, m’étonnant moi-même de ne pas cauchemarder… Ces fameuses mille pages d’horreur, que Simone m’avait soumises avant de s’y coller, rien que pour jauger l’affaire, je n’en dirais pas que du bien. Mais c’était un défi acceptable car, à la rigueur, Max Aue,l’odieux personnage principal ne laissait pas d’intriguer et même, sans susciter de véritable sympathie, arrivait-on à admettre qu’il avait subi un traumatisme. Parce que Jonathan Littel le présentait dans certaines situations où un reste d’humanité l’habitait, le motivait, l’opposait à ses pairs.
Dans l’ ouvrage présent, une éducation libertine, le lecteur n’a pas droit à ces oasis rafraîchissantes. De nausées en « géhenne », mot couramment utilisé par l’auteur, tout y est présenté en état de saleté, de décrépitude, de « chair molle », de putréfaction, d’horreur continue. La chaleur est insoutenable, le froid mortel, la jeunesse stupide, les vieillards pervers… Ceux du milieu ? Niais, sots, ivrognes, vicieux…
Vous l’aurez compris, je sors de ce livre saturée de laideur .
Ce qui explique le silence déjà retombé sur l’événement littéraire annoncé.
En réalité, il ne faudrait pas être aussi sévère.
Les qualités vantées sont réelles, mais outrées. Construire sur quatre cents pages des images fortes, élaborer un schéma narratif cohérent pour raconter le périple d’une vie, ce ne sont pas tâches si faciles et je pense que le talent de ce jeune auteur n’est pas usurpé. Dommage que le sujet l’ait porté à ne transmettre que de la misère absolue, pour mieux coller à l’indigence morale de son héros. Heureusement, la dernière partie de l’oeuvre m’a paru plus vivante, moins ensevelie dans ces fleuves de boue et de turpitude, car j’étais prête à lâcher l’affaire. Oui, je le reconnais, j’ai eu la tentation d’abandonner ma lecture plus d’un soir, écoeurée par cet univers trop noir. Mais vous commencez à me connaître, opiniâtre. J’en suis contente, car il m’a semblé que le récit de la fin, la mort du héros,était plus vivant que les interminables épisodes qui constituent cette fameuse éducation. Jean Baptiste Del Amo aurait donc pu s’économiser quelques longueurs.…
Reste sur le plan technique un récit construit, un champ lexical() très travaillé, sujet d’étude garanti pour les lycéens à venir, une intrigue linéaire dépourvue de surprises, les observations psychologiques limitées à des personnages mono-facettes : considérant le fameux mentor de Gaspard, le Comte de V, on songe à la personnalité de Valmont, le libertin des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclot et franchement Etienne de V ne tient pas la comparaison…
() ah ah! les Colombines, revoilà mon champ lexical !…
Fil narratif
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La première partie du roman, intitulée le Fleuve, nous raconte l’arrivée de Gaspard à Paris, seul et sans le sou. Grâce à la rencontre inopinée de Lucas, il parvient à gagner misérablement sa vie, dans des conditions manifestes d’insalubrité. De plus la promiscuité de vie dans l’immeuble où ils sont hébergés lui pèse et occasionne des crises d’angoisse. Il s’arrache brutalement au malaise insupportable de cette existence vouée à l’indigence, abandonnant l’amitié de son guide, Lucas, qui aura ainsi été son premier initiateur en mode de survie .…
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Le hasard et la nécessité sont encore à l’œuvre pour procurer à Gaspard une seconde rencontre opportune. Il entre comme apprenti perruquier chez maître Billod, sinistre personnage qui cumule les vices, aussi avaricieux que lubrique. Nous commençons à cerner un des problèmes identitaires chez le jeune homme. Cette seconde partie du roman, Rive gauche, s’attache à suivre Gaspard dans ses efforts pour apprendre un métier et entreprendre de se créer une promotion sociale. La rencontre du comte de V l’éblouit et modèle son ambition sociale. Son attirance pour Étienne de V se nourrit autant de l’attrait charnel que des promesses d’ascension sociale… Mais le comte se sert de lui et leur histoire tourne court. Cette fois, c’est Gaspard qui est abandonné aux tourments de l’amour et de la désillusion…À nouveau, sa solution immédiate réside dans la fuite …
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Rive droite, cette fois, il échoue momentanément dans le lit d’Emma, prostituée au grand cœur. Cette rencontre de dernière extrémité n’est qu’un tremplin vers son nouveau statut de Giton. De mal en pis, Gaspard, toujours hors de lui, ne parvient pas à se remettre de son amour perdu et s’enfonce dans la prostitution comme en un lent suicide. Jusqu’au moment où le noyé donne le coup de pied salvateur, dans son cas, c’est la brusque décision de reprendre contact avec la famille d’Annovres, chez lesquels Etienne l’avait introduit au temps de leur idylle. Enchaînement fortuit de faits qui permettent de mettre sur pied son plan. Chez les d’Annovres, Gaspard s’essaie au rôle de séducteur et réussit pleinement l’accomplissement de son plan : la sotte Madame d’Annovres, la jeune Adeline, et surtout le vieux mari qui s’éprend de son giton, jusqu’à tout accepter, même ses infidélités.
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Car Gaspard a vite compris que les d’Annovres seuls représentaient une impasse identique à l’expérience précédente. Il séduit donc un second protecteur, plus riche et sans famille, et poursuit sa course pour intégrer «Le Monde ». Le voilà au cœur d’une société confite en bonnes manières et bien-pensance, où il achève de parfaire son Éducation Libertine. Mais son destin le rattrape justement quand il croit atteindre au but. Tout au long du récit, nous suivons l’émergence progressive du Gaspard originel, qui revient régulièrement en flashes- back oniriques sur le passé du personnage. Quimper et ses couleurs, noire, grise, rouge, au fil des épisodes, nous entrevoyons un drame familial, la mésentente et l’incompréhension, l’ autoritarisme paternel, la misère maternelle, dont les réminiscences accompagnent les malaise du jeune homme. La prégnance de ses angoisses tend le jeune homme vers l’autodestruction…
La vie de Gaspard se dissout irrémédiablement dans ce retour au Fleuve. Gaspard ne peut surmonter ses démons, malgré sa recherche éperdue d’une ascension sociale. Il vit d’ailleurs son homosexualité, outil de son ambition comme une condamnation à la fuite, dans la douleur et l’abandon…
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