La passion selon Juette
Auteur : Clara Dupont-Monot
Éditeur : Grasset
Année : 2007
Voici venir un livre curieux, que l’on pourrait surnommer dialogues du cœur, où les deux narrateurs s’expriment tour à tour, chacun se livrant à une réflexion intime sur le sens de la vie de l’héroïne.
L’intrigue a pour cadre une petite ville belge, commerçante et animée, au XVII ème siècle. La belle période policée du Moyen-Âge, comme nous aimons l’envisager maintenant. Toutefois le personnage du titre, Juette, n’accepterait guère l’idée qu’elle vit une période libre et ouverte. Elle nous apparaît au fil de ses confidences comme une vraie rebelle malgré toutes les contraintes et les retenues qu’elle subit ou qu’elle s’impose. Dès le début, elle peste de jolie façon contre les longues séances de couture devant la cheminée que lui impose sa mère, et nous entrevoyons la modernité du thème : Juette revendique le droit à jouir de la lumière du jour, de l’aire du jardin, de l’ombre chatoyante de l’arbre dans la cour, plutôt que de s’abîmer les yeux et les doigts sur son ouvrage sans cesse recommencé. Juette enfant refuse son avenir de femme, telle qu’elle la pressent à travers l’éducation de sa mère. Elle ne veut pas devenir une sorte de super servante, cantonnée aux travaux domestiques, même si la situation de commerçant aisé de son père lui assure l’assistance d’une domesticité pour exercer les travaux les plus lourds. Nous entrons ainsi dans le sujet, Juette ne veut ni ne peut se plier à la vie formatée qui lui est dévolue et elle n’aura de cesse de s’échapper, si ce n’est physiquement, elle s’enfuira du monde par le développement acharné de sa vie intérieure. Par l’imagination et les contes, par la philosophie qu’elle se forge seule, par l’enracinement d’une foi singulière dans sa lecture personnelle de sa vie.
La deuxième voie du récit, qui vient étayer et confirmer le cheminement mental de la jeune femme est celle de son ami Hugues, moine appartenant à un ordre en marge de l’Église, et qui représente l’ouverture intellectuelle et spirituelle à laquelle elle aspire. Hugues guide les découvertes de la fillette, encadre ses premiers débats d’adolescente, et suit son parcours à distance dès lors que celle-ci se retrouve mariée par la volonté de ses parents. Il s’émerveille de son intelligence et de ses facultés d’indépendance morale, à une époque où nous imaginons mal que le libre-arbitre ait cours. Il s’inquiète ensuite des premiers signes d’étrangeté et de décalage manifestés par Juette, mère étrangère à la maternité, femme rejetant la sexualité de son époux et trouvant un refuge inavoué pour subir sans le vivre ce qu’elle ressent comme une salissure incontournable.
Poursuivre la narration serait vous priver de la fraîcheur de votre lecture, si le thème vous accroche. Me viennent cependant quelques réserves à propos de l’ouvrage : ou il s’agit de comprendre le destin psychologique de l’héroïne, et le cheminement de Juette devrait être plus explicite. Ou on s’intéresse à un destin historique et la détermination de femmes qui ont pu créer des œuvres sociales et spirituelles à cette période, les fameuses Béguines. Mais trop d’imprécisions et d’invraisemblances gênent l’adhésion totale du lecteur : par exemple, pourquoi et comment un moine consacrant son temps aux enluminures peut-il sortir de sa clôture pour aller seul instruire et guider une fille de commerçant, qui ne s’étonne pas de cette amitié insolite ? Comment ce moine, par ailleurs fort occupé de divers troubles théologiques peut-il développer une telle pré science des divagations de sa protégée, alors qu’ils ne se voient plus qu’en de très rares occasions ?
La langue du récit est fort belle cependant, souvent poétique, on y puise un réel plaisir. Mais je n’ai pas quitté l’ouvrage avec ce regret qui caractérise les bons livres, les incontournables, ceux que l’on réserve chaleureusement pour partager.
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