Le piano à écrire ( Éclats de mémoire)
Auteur : Claire Frédéric
Éditeur : Parole éditions
Année : 2010
Il a l’apparence discrète, ce tout petit livre exposé sur la petite table derrière la vitrine du "Jardin des Lettres". La modestie même de sa présentation, son format 10x16, sa légèreté (une centaine de pages), son graphisme épuré, et puis surtout ces mots "éclats de mémoire", "collection main de femme", je me suis laissée séduire…
Et de fait, en partie à cause de ces caractères doux et intimes, j’attendais beaucoup de ce petit bouquin.
S’il se lit vite, ce n’est pas cependant parce qu’il fascine dès lors qu’on pénètre son univers. Il a été conçu par Claire Frédéric comme un recueil de tout petits chapitres, alternance aléatoire de récit à la troisième personne et journal intime, où affleure les pensées de son personnage. Manifestement le but de l’auteur vise à toucher son lectorat dans l’intimité des souvenirs profonds, entre enfance et adolescence, quand chacun (e) d’entre nous s’éveille à la conscience de ce qu’il ressent et désire de manière autonome. Le récit débute par la rencontre de Mélanie avec la musique. Mélanie est une fillette solitaire qui s’ennuie dans le village où sa famille a trouvé refuge pendant la seconde guerre mondiale. L’auteur justifie ainsi son intrusion dans une propriété inconnue par sa fascination pour les notes de musique qui s’échappent des fenêtres de la vieille maison :
“Ensorcelée par les flots d’harmonie qu’elle avait entendu se déverser sur les berceaux de roses enlaçant la terrasse, elle était revenue souvent écouter la pianiste. Quelque chose de magique, le sentiment confus d’un ordre différent des choses, l’attirait en ces lieux. Dans la maison fraîche et calme régnait un luxe délicieux et, dans le jardin à moitié sauvage, elle n’aurait pas été étonnée de voir La Belle plonger la main pour donner à boire à La Bête.“ ( page8)
Sur cette jolie introduction, nous allons suivre de mai 1944 à décembre 1951 l’évolution de cette petite personne qui quitte sur cette découverte la magie de son enfance pour entrer dans les troublants désirs de son devenir. Elle se sent musicienne, pressent que la musique est son domaine de réalisation. Hélas, sa famille ne peut lui offrir les leçons et le piano nécessaires. Mélanie livre sa déception, ses espoirs, les combines qu’elle élabore pour contourner les obstacles… Rien n’y fait. Pas même son état de santé fragile et ses efforts studieux pour rester la bonne élève qui nourrit la fierté parentale, cette adolescente apparemment sans histoire narre la sienne construite autour de l’apprentissage des désillusions. Jusqu’au jour où elle s’aperçoit qu’elle aime également confier à un vieux cahier les replis de ses pensées. Le goût des mots secrets lui permet d’accepter ses chagrins comme autant de levier pour nourrir d’autres passions. Il est aisé de reconnaître dans les mots que Claire Frédéric prête à sa Mélanie une part de nos rêves d’adolescent : “Je voudrais être plus libre que le plus libre des vagabonds, voyager, écrire de beaux livres, me dévouer à une cause : impossible. Pas raisonnable, et je me refuse même à en parler.(…)
Mais que deviendrai-je seule ? Je rêve à tout instant d’une femme sûre d’elle, intelligente, idéal que j’ai sans doute placé trop haut et que je n’atteindrai probablement jamais. Pourtant quelqu’un a dit cela qui me réconforte :
« Une grande vie est une pensée de jeunesse réalisée dans l’âge mûr. » ( Pages 94-95)
Une histoire toute simple, à l’image de la couverture. Cet agréable moment cependant m’a laissé un petit goût d’inachevé, d’incomplétude.
- Normal, allez-vous rétorquer, puisque le thème développé porte sur la période transitoire de la construction des êtres.
À bien y réfléchir j’ai laissé passer quelques jours avant d’en rédiger ce commentaire. Finalement, je me demande si Claire Frédéric n’a pas péché par excès de pudeur. Ce piano à écrire évoque irrésistiblement la source commune de l’écriture et la musique: un flux de sensibilité qui coule de coeur à coeur par la grâce d'un instrument. Or, par souci de vraisemblance, je suppose, Claire Frédéric freine le discours de son héroïne, elle aplatit l’envolée du fantasme, elle rogne les ailes de sa poésie. Cet "éclat de mémoire" en sort un brin terni alors que j’attendais l’étincelle d’une flamme intérieure.
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