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Malavita encore

Malavita encore

Auteur : Tonino Benacquista

Éditeur : Gallimard ( NRF)

Année : 2008

Malavita encore, pour le plaisir de tous ceux qui ont apprécié et ri de bon cœur aux aventures de la famille Manzoni, alias Blake, alias Wayne, alias…

À l’intention des lecteurs ignorant les péripéties antérieures, je ne saurais trop conseiller de dénicher dans les tréfonds des rayonnages un exemplaire de Malavita, paru en 2004. Il doit aujourd’hui être paru en format de poche, donc accessible à toutes les bourses, ou presque.

Pour mémoire, nous y faisions connaissance avec la famille Manzoni, d’origine italo-américaine, fougueusement déjantée, installée en campagne normande par les soins du programme « Witsec », sécurité des témoins. En réalité, le témoin à protéger n’est rien moins qu’un des Capo de LCN (comprendre La Cosa Nostra), chef de gang qui a commis l’irréparable en acceptant de trahir les siens, contre l’impunité et l’anonymat de l’exil.
La famille se compose du père, Fred dans cette vie-là, de la mère, Maggie et leurs deux enfants, Belle et Wayne. À l’époque du premier roman, ces derniers n’étaient que des gamins découvrant avec l’exil des horizons différents, s’adaptant de gré ou de force à leur nouvel environnement, sous la férule de Tom Quintiliani, dit Quint, et des cerbères du FBI.
S’ensuivaient pas mal de quiproquos et malentendus explosifs, sous l’œil débonnaire de Malavita, la chienne de la maisonnée.

Dans le second opus concerné ici, nous retrouvons nos exilés en pleine cambrousse méridionale, toujours un petit village isolé où Quint espère que la famille se fondra dans le paysage. Las, les enfants ont grandi et sur le seuil de leur vie d’adultes, ils fuient de leur mieux cette maison perdue et la protection autant que la surveillance du fidèle Bowles, l’agent détaché par le FBI. Comble de malheur pour notre repenti, Maggie, la femme fidèle et effacée qui convient à tout chef mafieux se libère à son tour de sa retenue discrète pour se lancer dans les affaires… Très honnêtes en revanche, les affaires de Maggie, qui ne se reconnaît qu’une compétence : la recette des aubergines à la Parmiggiana, comme on se la transmet de mère en fille dans les familles… Maggie- Livia monte à Paris ouvrir son entreprise de plat unique à emporter, laissant son gangster de mari entièrement seul face à la solitude de la page blanche. Car Fred s’est reconverti en écrivain… Aux débuts de sa nouvelle vocation, il n’a rencontré aucune difficulté pour poser sur le papier ses souvenirs de campagne. Mais au troisième tome, il a épuisé les réminiscences d’attaques à main armée, coups tordus, extorsion de fonds et chantages divers. S’il ne veut pas anticiper les révélations qu’il doit livrer chaque année au compte-gouttes pour proroger son statut, il est à sec…
Livré à lui-même, sans la pondération de sa femme, ce n’est pas difficile pour Fred de détourner la vigilance de Bowles et… À vous de découvrir les avatars et péripéties que le malheureux Gianni-Fred et sa progéniture vont affronter au fil des pages de ce délicieux petit bijou, joyeux, improbable, gouleyant sous la plume de Tonino Benacquista comme un petit verre de beaujolais nouveau, fruité et piquant tout à la fois. On s’amuse autant que l’auteur, sans se prendre la tête ni chercher à rationaliser. Nous entrons dans un monde aussi invraisemblable que dans un des romans pseudos policiers de Charles Exbrayat, qui ont réjoui mes vacances d’adolescente.

En amuse-bouche, je vous réserve cet extrait du passage (pages 78 à 81) où Fred, en panne d’inspiration, s’essaie à la lecture de ses aînés, sachant que son éducation scolaire a totalement préservé sa virginité littéraire, il se plonge dans une encyclopédie pour déterminer l’ordre et la hiérarchie des ouvrages à découvrir :

« …Après cinquante et un ans de réflexion, Fred se sentait enfin capable d’ouvrir un livre et de le lire jusqu’à la dernière page…
(…) Le choix et l’attente de l’ouvrage furent de vrais bons moments. Pour se mettre à jour d’une vie de lecteur qu’il n’avait jamais eue, il avait voulu viser haut. La priorité était d’aller vers un de ces bouquins qu’on ouvre comme on entre dans une église, un roman assez puissant pour séparer le monde en deux : ceux qui l’avaient lu, et les autres. Les premiers noms qui lui vinrent à l’esprit furent Hemingway et Steinbeck. L’image du premier plaisait à Fred, le gars viril, la boxe, la tauromachie, le baroud, la guerre, tout ça avait dû donner de bons romans. Mais Hemingway, c’était un monument national, une institution, tellement connu qu’on n’avait pas besoin de le lire, c’était comme ça les grands écrivains. À sa manière, Steinbeck était aussi un monument, mais moins ostensible, plus raffiné, il avait dû écrire des trucs bien plus délicats, comme Des souris et des hommes. À moins que ça ne soit Faulkner ? Ou un autre ? Fred dut ouvrir un dictionnaire pour en avoir le cœur net.

(…) Ne trouvant pas son bonheur chez ces trois auteurs-là, Fred se tourna alors vers Dos Passos, juste pour la sonorité : Dos Passos. Il aurait aimé avoir lu Dos Passos avant même de s’y coller, histoire de placer des John Dos Passos à tout va dans ses conversations. Dans une bibliographie, il s’arrêta sur 42ème parallèle, jusqu’à ce qu’il comprenne que la trilogie complète totalisait un bon millier de pages. Puis son attention se porta sur Manhattan transfer, « une fresque sur la création de New York ». Une fresque sur la création de New York ? Il en venait, de New York, et savoir comment New York était devenu New York ne lui paraissait pas urgent. Du reste, si New York était devenu New York, c’était, dans une très modeste part, un peu grâce à lui.… »

Je vous laisse découvrir l’ouvrage qui emportera finalement Fred dans les délices incomparables de la grande littérature… Mais le choix sera assez judicieux pour aider notre repenti à parachever l’autre grande œuvre que lui réserve le destin, la découverte de l’amitié et des devoirs de la charge…

En cette période de crise socio-économique pimentée au défaitisme médiatique, n’hésitez surtout pas à consommer du Tonino Benacquista en dosage intensif, c’est un excellent anti-dépressif !

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