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Le roi de Kahel

Le roi de Kahel

Auteur : Tierno Monénembo

Éditeur : Seuil

Année : mai 2008

Le prix Renaudot 2008 a offert à cet écrivain d’origine africaine l’audience d’un plus large public français. Ce qui est après tout conforme à la vocation des Prix littéraires.
Le thème de l’ouvrage a piqué ma curiosité, en ces temps de fausses repentances publiques. Tierno Monénembo, guinéen d’origine ayant fui son pays dès 1969, aborde en effet un épisode de la colonisation, non pas sous l’angle « colonisateurs et victimes colonisées » ; il développe au contraire la thèse d’une aventure humaine exceptionnelle, en la personne d’Aimé Olivier, vicomte de Sanderval, Roi de Kahel par persévérance et opportunisme, devenu Peuls parmi les Peuls…

Nous sommes loin des polémiques politiciennes, encore que le sujet est de feu et de sang. Mais ici, dans cette biographie romancée, l’observation du romancier n’enferme pas ses personnages dans un récit catégoriel formaliste. Tierno Monénembo s’intéresse aux rencontres humaines, aux personnalités complexes, aux événements qui découlent des stratégies, des psychologies, des querelles personnelles. Il ne s’agit pas tant de l’Histoire, que d’histoires personnelles où les hommes s’impliquent pour accomplir un rêve, sauvegarder une idée de leur destinée. Pas question pour l’auteur de culpabiliser les blancs avides, qu’il dépeint avec la même franchise que les princes Peuls, tout autant querelleurs, menteurs, cupides que leurs adversaires européens.

Ce point de vue m’enchante, en ce qu’il finit par dresser une série de portraits lucides et infiniment indulgents à force d’observation ironique. Il n’y a ni bons ni méchants, pas de jugements définitifs sous la plume de l’auteur, si ce n’est à l’égard des représentants de l’administration française. Il est évident que Tierno Monénembo a été séduit par son personnage principal, bourgeois lyonnais né au cœur du XIXème siècle, époux fortuné et héritier d’un établissement industriel naissant, entiché de l’Afrique équatoriale occidentale, du Fouta- Djalon en particulier, vaste province que l’actuelle Guinée. Bien documenté grâce aux archives que la famille Sanderval a bien voulu lui transmettre, Monénembo retrace scrupuleusement les différentes incursions d’Aimé Olivier pour s’introduire chez les Peuls, ne cachant rien des réflexes racistes et des convoitises inhérentes au projet. Peu à peu, Olivier, nommé vicomte de Sanderval par le Portugal, s’applique à reconnaître le fonctionnement des peuples qu’il visite, et parvient à établir une relation de courtoisie, à défaut de confiance pleine et entière. De retour en France, il peine davantage à convaincre les autorités gouvernementales de l’opportunité d’une colonisation commerciale sans armes ni violence. Au cours des expéditions suivantes, il finit par obtenir une sorte de concession sur le plateau de Kahel et en fait son royaume, valorisant la terre par des plantations florissantes, un système économique précurseur, il bat monnaie, construit, entretient avec les princes voisins des relations diplomatiques à la façon locale, s’entend.
Mais le gouverneur français, Ballay, demeure pétri par la rigidité de ses certitudes de colon. Pour lui, ce mode d’insertion est impossible. Sa stupidité, son incapacité à accepter un autre mode relationnel que le sien, sa morgue, conduisent à rompre l’équilibre qu’avait su établir Sanderval… La guerre, les trahisons, les promesses non tenues, l’apanage des puissances européennes ont construit le monde colonial, de sa domination à sa chute en moins d’un siècle, finalement. Le dommage est que ce gâchis perdure jusqu’à nos jours…
La lecture du « roi de Kahel » débouche sur une réflexion intéressante. Qu’aurait pu être l’apport de nos avancées technologiques dans un système de conquête commerciale, comme l’avait rêvé Olivier de Sanderval ? Aurait-ce été plus fécond, plus humaniste, par la reconnaissance mutuelle des qualités et travers de chacun ? Il n’existe évidemment pas de réponse, puisqu’un seul exemple ne peut résoudre l’ampleur des problèmes que pose l’idée même de conquête. Ce qu’on ne peut résoudre en famille ne peut guère se solutionner à l’échelle des peuples…

Publié dans Sources Vives | Lien permanent