États de lame
Auteur : Pascale Fonteneau
Éditeur : Le masque ( jean Claude Lattès)
Année : 2008
1ère édition Gallimard 1993
Exergue : L’être humain limite sa raison à ce qu’elle peut concevoir et il appelle ça la réalité.
Je compléterais volontiers l’exergue de l’auteur par ce rappel des vers lamartiniens :
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"
(Harmonies poétiques et religieuses)
Partant de ce postulat, Pascale Fonteneau bâtit son roman sur la perception « objective » qu’un objet particulier peut exprimer du monde des humains. Le point de vue original de ce petit policier tient donc d’abord à ce positionnement narratif. Si la méthode a déjà été exploitée, elle donne au ton de l’ouvrage de Pascale Fonteneau une distanciation par rapport aux faits rapportés qui n’est pas exempte d’affect. Le curieux de l’affaire est que le roman ne développe plus vraiment un suspense caractéristique du genre polar, même s’il est présent dans le déroulement de l’action. Ce ne sont en effet pas les faits, même violents, qui nous interpellent. Ce ne sont presque pas les destins des protagonistes, au demeurant réduits au rang d’acteurs de second plan, qui nous font frémir. Le discours que l’objet développe tout au long des pages où sont livrés ces états d’âme met en perspective le déterminisme de la violence et ses effets dans la société. Cette cruauté apparaît alors comme l’expression même de l’existence. Sans agression, nul sentiment de vie.
Scandée en chapitres relativement brefs, l’intrigue de ce roman nous attache aux confidences d’une arme blanche, plus raffinée et moins brutale qu’une vulgaire arme à feu. Un certain narcissisme assumé ajoute de l’humour et du détachement à ce récit. Outre l’humour de distanciation déjà évoqué, la personnification de l’objet se traduit en imagerie « humaine » : la présentation de la narratrice se pare de caractéristiques propres aux mortels de chair et d’os : « je suis depuis si longtemps coincé entre une grenade et une kalachnikov que la violence de leurs aciers est devenue la mienne. Au point de me faire perdre la noblesse de mon fil. Et mon identité. (…) Au point de m’étonner qu’une main puisse encore se tendre vers moi. Me caresser. M’empoigner fermement. »
Le lecteur perçoit ici le jeu adopté par l’auteure : elle use et s’amuse de la sensualité féminine prêtée à la lame. L’opposition entre la barbarie des faits, dont la lame narratrice se régale, et le raffinement de l’arme blanche, dépositaire d’une aristocratie d’ancienneté et de tradition, nourrit le fil du récit. Poussant plus avant encore la dualité de l’objet animé (au sens étymologique) Pascale Fonteneau s’amuse alors à pourvoir son héroïne de sentiments : la lame pèse et juge ses propriétaires successifs, évalue leur intelligence et leurs résolutions dans l’action, se délecte des émotions consécutives à ses interventions, émet son trouble quasi érotique au contact de la cuisse masculine à laquelle elle est liée.
Le récit se déroule à partir des différents détenteurs de la lame, et naturellement des méfaits commis en collaboration. Détailler les péripéties tramées ici ne serait d’aucun service pour vous inciter à lire ce roman léger et distrayant, qui comblerait parfaitement la vacance d’un voyage en train ou l’après-midi pluvieux d’un week-end automnal.
Par curiosité et parce que le thème de l’imagination créative constitue un intérêt récurent, je vous invite à consulter les sites suivants qui permettent de se renseigner sur la personnalité de Pascale Fonteneau, dont je n’avais encore rien lu.
Plusieurs sites témoignent de la production de l’écrivaine française, belge d’adoption, ce qui fait bien plaisir, tant de créateurs belges s’installant en deça, la francophonie à double sens prouve sa vivacité.
http://www.tbx.be/fr/VIB/10/app.rvb
dont je reporte ici l’accroche, tant elle définit bien le style du personnage et vous convie à explorer la suite : :
« Le premier livre de Pascale Fonteneau fut publié dans la Série Noire en 1992. Depuis, cet auteur de talent qui a adopté Bruxelles et la Belgique enfile perle noire sur perle noire… Sur un fil de dérision coupante et d’humour très foncé. »
http://www.polarnoir.fr/auteur.php?auteur=f3 qui déplore la place succinte de l’écrivaine parmi les auteurs cités sur le Web.
Ceci dit, sans avoir trouvé de fiches de lecture commentées, j’ai découvert que la notoriété de Pascale Fonteneau a suscité presque une dizaine d’entrée sur la page de recherche Google, ce qui peut être considéré comme une reconnaissance…
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