La liste de mes envies
Auteur : Grégoire Delacourt
Éditeur : Jean Claude Lattès
Année : 2012
Aux premières pages, ce roman à la lecture facile semble anodin. Il entre d’emblée dans la catégorie dont on se dit : sitôt fermé, sitôt oublié. Mais attention, sans en avoir l’air, la seconde partie de l’ouvrage pose quelques petits cailloux qui donnent davantage de profondeur au propos, et du coup, le lecteur peut réviser son jugement.
La parole est donnée à Jocelyne Guerbette, femme d’un certain Jocelyn Guerbette, et mère de deux grands enfants sortis de son giron depuis lurette , mercière de sa fonction. Avec ses mots à elle, simples et concrets, Jocelyne dresse un bilan de sa vie qu’elle ne cherche pas à enjoliver, même si rapidement, le lecteur(-trice …) qui se croit autoriser à juger, ce lecteur donc, aurait tendance à se prendre d’une furieuse envie de secouer un tantinet son côté naïve- de-service.
« On se ment toujours.
Je sais bien, par exemple, que je ne suis pas jolie. Je n’ai pas des yeux bleus dans lesquels les hommes se contemplent ;(…) Je n’ai pas la taille mannequin ; je suis du genre pulpeuse, enrobée même. (…) Je n’ai pas la grâce de celles à qui l’on murmure de longues phrases, avec des soupirs en guise de ponctuation ; non. J’appelle plutôt la phrase courte. La formule brutale. L’os du désir, sans la couenne ; sans le gras confortable.
Je sais tout ça. » (Pages 11-12, incipit du roman)
Alors, me direz-vous, elle n’est pas si candide, cette héroïne presque quinqua !
C’est qu’au fond, Jocelyne a un naturel gentil, elle déteste évidemment les conflits et surtout, surtout, elle a bâti sa vie sur la fidélité. Elle est aimante, Jocelyne, aimante à en dégouliner des « j’te pardonne et j’oublie… « Et pourtant, au fil des phrases, d’une page à l’autre, on comprend qu’elle a avalé quelques couleuvres, de celles que toute vie vous offre au détours du chemin. En plus des deux enfants élevés et partis sans retours promis, le couple a perdu une petite Nadège, et c’est le biais par lequel un coin du voile se lève : Jocelyn, le mari rêvé sosie de Venantino Venantini n’a pas toujours été un homme facile à vivre. Il a eu sa période boisson, et sa période méchante, agressive, il a eu les mots qui blessent, qui cherchent la douleur et l’avivent à plaisir, avec lucidité et ténacité :
« Saoul, il était juste un gros légume. Un truc mou : tout ce qu’une femme déteste chez un homme, vulgarité, égoïsme, inconscience. Mais il restait calme. Un légume. Une sauce figée.
Non, Jo, c’est la sobriété qui l’a rendu cruel. (… )
Mais au fond des bouteilles et de lui, il n’y eut que cette méchanceté. Ces mots faisandés dans sa bouche : c’est ton gros corps qui a étouffé Nadège. À chaque fois que tu t’asseyais, tu l’étranglais. Mon bébé est mort parce que t ‘as pas pris soin de toi. Ton corps c’est une poubelle dégueulasse. Une truie. T’es une truie. Une putain de truie.
(…)
J’ai pensé (…) que sa douleur finirait par s’alléger, s’envoler ; par nous quitter. Il y a des malheurs si lourds qu’on est obligé de les laisser partir. On ne peut pas tout garder, tout retenir.
(Pages 106-108)
Jocelyne dispose d’une grâce particulière : elle sait rendre la vie plus jolie, parce que sa lumière interne donne à la réalité des couleurs de bonté. Alors, comme une bonne semeuse de concorde, elle reçoit l’amitié, l’affection, …et même l’Amour qui la guette là-bas, où elle se soigne. Et puis surtout, un événement énorme vient bouleverser la donne. C’est la part du hasard qui révèle les êtres à eux-mêmes.
De son heureux hasard, Jocelyne n’a pas besoin de « Daisy Duck » pour savoir qu’il est un cadeau empoisonné. Elle cache le billet, puis le chèque, elle suppute des listes d’envies, qu’elle contourne en liste de besoins… Las, c’est sans compter sur le retour du boomerang.
La tournure du récit prend une ampleur différente, elle corrige la vision de notre ingénue volontaire. Grégoire Delacourt opère finement le revirement de l’intrigue, sortant même de la narration directe de son personnage pour s’octroyer un chapitre consacré au versant du mari. Certes, ce récit aurait pu être davantage développé pour contrebalancer la longue logorrhée charitable de Jocelyne. Mais si le lecteur est tenu au courant, deus ex machina qui détient linéairement les informations, il peut ainsi mieux apprécier le réveil de la nouvelle femme qui se délivre de ses illusions :
« Il y a près d’un an et demi, j’étais assise ici, seule, au même endroit, la même saison. J’avais froid et je l’attendais.
Je venais de quitter vivante, apaisée, les infirmières du centre. En quelques semaines, j’y avais tué quelque chose de moi.
Quelque chose de terrible qu’on nomme la bonté.
Je l’avais laissé me quitter, comme une sanie, un enfant mort ; un cadeau que l’on vous fait et reprend aussitôt.
Une atrocité.
Il y a près de dix-huit mois, je m’étais laissé mourir pour accoucher d’une autre. Plus froide, plus anguleuse. La douleur vous refaçonne toujours d’une curieuse manière.
(Pages 168-169)
La morale que cette histoire nous délivre ne dénonce pas le port de lunettes roses. Le discours de Grégoire Delacourt est plus subtil, il montre que le Bonheur ne s’obtient pas dans une quiétude aveugle, mais que la recette pour s’en approcher ne peut se dispenser d’une bienveillance aussi lucide que généreuse.
Au final, la liste de mes envies offre un moment de lecture bien rafraîchissante.
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