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Les Déferlantes

Les Déferlantes

Auteur : Claudie Gallay

Éditeur : Le Rouergue

Année : 2008

Les phrases claquent comme les vagues furieuses sur ce bout de terre qui n’ appartient à personne, si ce n’est à la nature sauvage. Les mots écument et portent jusqu’à nous la tempête des sentiments qui meuvent cette communauté d’hommes et de femmes écartelés par leurs pulsions, leur volonté, leur orgueil, leurs amours déchirées.

Ne cherchez plus à échapper au roman de Claudie Gallay : dès lors que vous avez franchi la barre des premiers paragraphes, vous êtes devenu un marin des mots, embarqué sur la masse mouvante de la marée montante : vous allez caboter avec la narratrice au fil des 600 pages de Déferlantes, des lames de larmes et de colère à peine contenue, un déferlement de passions crochetées sur une terre offerte aux quatre vents …

J’avais lu beaucoup de bien de ce roman paru en 2008. Que ne l’ai-je lu plus tôt ! Il appartient à cette littérature bouleversante, sans concession, dure parfois mais collée au plus profond de l’âme humaine … Les phrases résonnent comme autant de coups de poing pour exprimer les détresses et les combats inévitables. Pourtant, n’attendez pas une œuvre désespérée, des pages interminables engluées dans la mélancolie. Claudie Gallay insuffle à ses personnages la hargne et le courage de forcer le destin, la volonté de rebondir, jusqu’à la folie peut-être mais sans qu’aucun d’entre eux n’envisage l’abandon. Le lecteur fasciné en sort plus déterminé et plus fort, comme s’il avait reçu au passage des gouttes de cette écume de rage et de pugnacité.
Un roman qui fait du bien…

« La première fois que j’ai vu Lambert, c’était le jour de la grande tempête. Le ciel était noir, très bas, ça cognait déjà fort au large.
il était arrivé un peu après moi et il s’était assis en terrasse, une table en plein vent. Avec le soleil en face, il grimaçait, on aurait dit qu’il pleurait.
Je l’ai regardé, pas parce qu’il avait choisi la plus mauvaise table, ni pour cette grimace sur le visage. Je l’ai regardé parce qu’il fumait comme toi, les yeux dans le vague, en frottant son pouce sur ses lèvres. Des lèvres sèches, peut-être plus sèches que les tiennes. »
Ces quelques phrases courtes, précises, sans détour suffisent à l’auteur pour poser les deux personnages majeurs de son roman. La narratrice, dont on a déjà compris sa lutte contre un drame personnel et intime, et ce mystérieux Lambert dont l’irruption dans ce paysage tourmenté doit bouleverser le fragile équilibre d’une société recluse sur elle-même, cachant dans son sein les tragédies vomies par la mer.
Confiant le fil du récit à sa conteuse, Claudie Gallay construit le cercle des protagonistes, tous vacillant en équilibre entre la complexité du passé et le pragmatisme du présent, où il leur faut bien se côtoyer, puisqu’ils sont des survivants. Comme les oiseaux de mer que la narratrice observe sur les falaises et dont elle enregistre soigneusement le décompte pour mesurer le péril des espèces. Comme La Griffue, cette maison quasi en ruine qu’elle habite avec Morgane et Raphaël, sculpteur mystique des désespérances humaines.
« Ça a duré des heures, un déluge effroyable. À ne plus savoir où était la terre et où était l’eau. La Griffue tanguait. Je ne savais plus si c’était la pluie qui venait cingler les vitres ou si c’étaient les vagues qui montaient jusque-là. Ça me donnait la nausée. (…)
Sous la violence, les vagues noires s’emmêlaient comme des corps. C’étaient des murs d’eau qui étaient charriés, poussés en avant, je les voyais arriver, la peur au ventre, des murs qui s’écrasaient contre les rochers et venaient s’effondrer sous mes fenêtres.
Ces vagues, les déferlantes.
Je les ai aimées.
Elles m’ont fait peur. »

Le retour de Lambert au pays va provoquer un cataclysme similaire. Peu à peu, le malaise que provoque sa présence auprès des autochtones apparaît de plus en plus étouffant et dangereux, malgré le déni général. D’autant que la narratrice, arrivée là par accident, ne possède pas les clés pour comprendre les tensions brutales. D’une photographie ancienne soudain arrachée du mur où elle était exposée, aux confidences inachevées des anciens, elle navigue entre son chagrin personnel et une attirance insidieuse pour cet homme aux attaches incertaines. Que vient-il faire dans ce hameau perdu où il n’est pas vraiment le bienvenu ? Pourquoi cette quête de cadavres vieux de quarante ans, que la mer s’obstine à garder dans ses abîmes. Pourquoi la vieille Nan, à demi-folle le reconnaît-elle en un Michel disparu lui aussi.
Ce roman n’a rien pourtant d’un thriller ni d’un policier.
La progression du récit s’appuie sur les comportements de ces êtres passionnés et la vérité émerge lentement du reflux des haines, parce que la vie est toujours liée à la volonté des flots, à cette mer changeante qui donne et qui prend.
Ce n’est pas l ‘élucidation des mystères qui nous tient en haleine et fait regretter de quitter ces personnages magnifiques créés par Claudie Gallay. Ils sont tous très forts, campés sur leurs ressentiments, jalousie ou revanche, haine ressassée ou amour tronqué. Attachez- vous au passage à Lili dans son bar, et surtout à l’inénarrable Max et la poésie de son langage, et puis entrez dans la tourmente des êtres dépassés par la violence de leurs sentiments et la portée de leur silence…
Comme eux, le lecteur se sent grandir en affrontant le tumulte des vérités enfouies.

http://www.lerouergue.com/

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