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Les Belles-Mères, les beaux-pères, leurs brus et leurs gendres

Les Belles-Mères, les beaux-pères, leurs brus et leurs gendres

Auteur : Aldo Naouri

Éditeur : Odile Jacob

Année : Septembre 2011

Qui pourrait ignorer qu’il est, sera ou a été concerné irrémédiablement par ce titre accrocheur ?
Tôt ou tard, nous savons au fond de nous-mêmes que les relations familiales d’alliance constituent fatalement un nœud dans le déroulement de nos existences. L’étude que nous en livre Aldo Naouri dans ce volume ne va certes pas contribuer à nous exonérer des complications liées à l’extension des lignages. En dépit de nos bonnes volontés, il semblerait, aux dires du médecin – témoin qu’il demeure, que nul ne peut échapper à la fatalité des conflits familiaux. Ces rivalités générationnelles donnent lieu à une guerre larvée nourrie des passions parentales, passion que les femmes, donc les mères, portent à leur paroxysme. D’où l’accroche provocatrice du titre.

Mais évidemment, l’affaire n’est pas si simple. Pour étayer et délimiter le sens de ses analyses, Aldo Naouri s’est livré à une ample comparaison linguistique des mots traduisant la notion de parentèle d’alliance dans de multiples langues, sous diverses latitudes de la planète. Cette première partie de son exposé reste la plus légère et la plus amusante. Où l’on découvre que ce sont les francophones qui, seuls en Europe et dans le monde, ont recours à l’euphémisme flatteur, reste de courtoisie médiévale pour désigner les Belles-Mères et d’une manière générale les contractants d’une parentèle. Aldo Naouri déplore l’abandon des termes anciens de bru et de gendre qui lui semblaient contenir un sens plus précis, à l’instar des mots utilisés en Anglais, Allemands, Russes et les autres langues latines. Il applique le même examen aux pratiques asiatiques, chinoises et japonaises entre autres, sociétés toutes également hiérarchisées par des usages millénaires. Mais de toutes ces investigations ressortent l’universalité et la prévalence de relations conflictuelles, qu’elles soient moquées ou dissimulées sous certains stratagèmes coutumiers.

L’auteur élargit alors le champ des investigations par un détour aux origines de nos sociétés. Ces constats l’amènent irrémédiablement à la racine du conflit intrinsèque à notre nature humaine. Dès les premiers clans formés par nos très lointains ancêtres, le partage des fonctions et des tâches entre l’Homme et la Femme fourbit les raisons d’une concurrence viscérale. Car c’est dans les viscères que s’élabore la Maternité, même si les hommes ont mis des millénaires à comprendre le mécanisme de la fécondité et son rapport aux pulsions sexuelles. Dès lors, désavantagé par le rapt au profit des femelles du lien à l’avenir qu’est l’enfant, le mâle a été conduit à inventer le patriarcat. Selon Naouri, c’est en cherchant sa place dans le trio père-mère-enfant que l’homme a été « contraint » d’établir sa domination. À ce moment de mon propos, je me dois de préciser qu’un commentaire de lecture est obligatoirement restrictif, il résume, donc il induit la schématisation du discours, et c’est tant mieux. Il vous appartient ainsi d’aller au-delà du dépôt brut d’un raisonnement qui n’est pas mien, et de décortiquer mes raccourcis en allant piocher à la source.
Aldo Naouri poursuit donc ses investigations en explorant ce qu’il connaît le mieux grâce à son expérience de pédiatre: les relations parents-enfants, et plus précisément le rapport de la mère toute à ses enfants. De longtemps, il a établi qu’une mère se comporte différemment selon qu’elle se positionne en mère de fille ou en mère de garçon. Dans les deux cas, elle exerce une « toute puissance », mais cette forme inconsciente d’abus de pouvoir se manifeste différemment. Dans le cas des filles (réglé depuis 1998 dans Les filles et leurs mères) la rivalité peut devenir destructrice. Dans le cas des garçons, ceux-ci sont épargnés par une attitude globalement protectrice dont ils jouissent tout en s’extrayant souvent par un recul qui se veut la marque de neutralité. Cette même pseudo neutralité longtemps affichée par le père, devenu beau-père, réfugié dans sa fonction patriarcale pour justifier son abandon de poste. Ce qui confère à la belle-mère la représentation exclusive de l’éternel combat des générations; forte de cette délégation, elle s’arroge le droit d’ingérence exclusif dans les couples que constituent à leur tour leurs enfants.
À partir de ces constatations, le portrait que dresse Naouri des vies de famille ne porte guère à l’optimisme. Sombres dynasties de marâtres, bataillons de virago à l’assaut des amoureux, empoisonneuses de sérénités familiales, Aldo Naouri ne nous épargne pas les représentations de femmes hystériques (au mieux) ou paranoïaques. Chacun, chacune pourra à loisirs s’y reconnaître ou dénoncer les abus du vis-à-vis. Les derniers développements de son essai concernent justement l’évolution de notre société, et en particulier la dissolution du patriarcat, supplanté par l’émergence du matriarcat. En effet, les fameuses belles-mères de gendres, qui sont des mères de filles, utilisent leur statut de grand-mères pour établir les fondements du matriarcat. En corollaire, les belles-mères de brus, qui sont mères de garçons, jouent sur les deux tableaux : d’une part, elles se posent en gardienne de la protection des valeurs du clan ; d’autre part elles combinent des alliances avec les dites brus pour enraciner le matriarcat qui se substitue au patriarcat défaillant. Le raisonnement de Naouri flirte alors avec un conservatisme qui prône un retour aux valeurs paternalistes, les seules qui garantiraient un ordre familial constructif.…

Certes mon appréhension de l’analyse répond à un réflexe de distanciation face à ce qui ressemble à du machisme. Je crois qu’Aldo Naouri est trop intelligent pour cantonner ses propos dans un parti pris sexiste, même si à l’évidence, son recours aux anecdotes professionnelles aboutit toujours à l’illustration des abus maternels. J’avais déjà émis ces réserves en découvrant le réquisitoire élaboré dans Les filles et leurs mères. Aldo Naouri pose les fondements de son analyse sur l’examen de cas extrêmes, dont fort heureusement la majorité des êtres humains que nous sommes n’en ressentent qu’une dose homéopathique. Sans nier l’authenticité des passions qui persistent à l’âge adulte entre parents et enfants, même quand les rapports de force s’inversent, je n’adhère pas totalement à la démonstration, qui condamne l’évolution des liens du cœur. Si l’universalité reconnue des difficultés nous soulage de la culpabilité des histoires individuelles, j’aime à penser que nous gardons toute latitude pour gérer individuellement nos conflits domestiques. Bref, à consommer avec circonspection.

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