La guérison du monde
Auteur : Frédéric lenoir
Éditeur : Fayard
Année : Janvier 2013
Écrivain de l’Optimisme, Frédéric Lenoir ?
Assurément, ce philosophe expert dans de la transcendance, œuvre depuis longtemps pour aider ses congénères à s’ouvrir à l’autre et accepter la part du religieux dans nos cultures.
Ses ouvrages antérieurs autant que la direction du Monde des Religions ont fondé son message de tolérance et de compréhension des aspirations de l’Homme à dépasser son quotidien.
Cette fois, Frédéric Lenoir prend un pari plus pragmatique. La proposition de son dernier titre engage un pronostique et une démarche. Est-ce dire que l’auteur entend nous livrer un protocole de médications propres à sortir nos sociétés du marasme où nous pensons patauger ?
Pour ce faire, en pédagogue avisé, Frédéric Lenoir dresse un tableau exhaustifs des différents malaises recensés par la lecture des événements qui se bousculent au fil de l’actualité. Il donne à voir combien toutes les crises qui bouleversent nos existences sont liées, et ne sont en fin de compte que les multiples aspects d’un désaccord systémique entre l’Homme et la planète.
L’analyse devient limpide en suivant la logique de l’auteur, qui rappelle comment depuis les débuts de l’humanité, l’homme s’est adapté physiquement et mentalement aux conditions de son existence et de sa survie. Ce détour par la préhistoire et ce qu’il appelle la « révolution néolithique » ne paraît pas superflue, tant à lire ces lignes, ce raisonnement légitime la perception de nos recherches identitaires. La pertinence de la démarche s’illustre par le paradigme des « frontières » : au cours de son évolution, l’homme s’est délimité différentes frontières, celles qu’il définit comme verticales, positionnements individuels d’une connexion au monde qui le dépasse, mais dans lequel il se sent intégré. Puis avec l’aisance du progrès matériel, ce sont des frontières horizontales, la conquête de nouveaux territoires, le sens de la domination sur autrui qui le guide. Aujourd’hui, nous n’avons plus guère de perspectives d’expansion territoriale, mais nos besoins de puissance ne se sont pas pour autant atténués. D’où la quête d’un Ego civilisationnel, alibi collectif justifiant la course aveugle au « toujours plus ». Si l’Occident a réussi à imposer ses valeurs consuméristes, que nombres de pays émergents se sont également appropriés, cela ne suffit nullement à résoudre les problèmes que ce mode de vie engendre, dont les crises économiques, financières, écologiques, politiques et sociétales analysées en début d’ouvrage.
Frédéric Lenoir souligne à ce propos un aspect sociétal de l’argument des religions. Lui qui ne peut être suspect d’irrespect à l’égard des courants spirituels qui transcendent toutes les traditions, émet l’idée que le prosélytisme religieux sert plus souvent une volonté de domination qu’un réel élan idéaliste. ( référence aux évangélistes télégéniques autant qu’aux islamistes radicaux, sans oubli des terreurs de L’inquisition.) La mondialisation des idées sert plus la propagande que l’élévation des débats.
Reste donc à définir ce qui pourrait réellement permettre la guérison de nos plaies et le dépassement d’une société où l’injustice sociale et le repli individualiste ont remplacé les batailles de grands idéaux des siècles passés. Avant que ne s’achève le pillage inconsidéré de notre planète, il appartient à chacun de nous, autant qu’aux états que nous légitimons, de réinvestir une conduite autonome et responsable. « Pour que le mode guérisse, il nous faut ainsi passer de la logique quantitative dominante à une logique qualitative encore marginale. » (page 303). En cessant de se considérer comme victimes impuissantes de situations avérées, Frédéric Lenoir nous enjoint de nous « transformer (nous)—même » , de revenir à un nécessaire rééquilibrage entre nos vérités intérieures et les buts fixés par la société. L’auteur s’appuie sur la dualité de nos facultés et nous enjoint d’ouvrir notre mental à nos ressentis autant qu’à nos réalisations. « Pour s’épanouir, l’être humain a autant besoin d’intériorité que d’extériorité, de méditation que d’action, de se connaître lui-même que d’aller à la rencontre des autres. » (Page 292)
Citant les exemples de contemporains à l’œuvre comme Pierre Rabhi et son expérience d’autonomisation , Frédéric Lenoir prône un essor de l’individu global, aussi attentif à son bien-être physique dans un monde débarrassé des substrats qui l’empoisonnent que sa quiétude intellectuelle et mentale par le développement et le respect de sa dimension intime. Page 231, il nous renvoie à la perception de l’Homo universalis de la Renaissance, par lequel « l’homme affirme sa liberté dans la conscience qu’il a du fait qu’il contient en lui tout l’univers. Il est microcosmos.(…) de ce point de vue, la liberté équivaut à la prise de conscience du caractère relationnel de l’identité humaine . (…) Dans le cosmos, tout est relié, les choses visibles aux réalités invisibles, des couleurs aux étoiles, des plantes aux organes du corps, des métaux aux humeurs et aux saisons. » C’est par une hiérarchisation individuelle de ses valeurs que l’homme pourra conquérir à nouveau l’harmonie première indispensable à la sortie des impasses où notre inconséquence nous conduit depuis trop longtemps.
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