Ni d'Ève ni d'Adam
Auteur : Amélie Nothomb
Éditeur : Albin Michel
Année : 2007
Je ne suis pas Nothombophile.
Du moins c’est ce que je croyais jusqu’à cette soirée où les hasards de la programmation télévisuelle m’a conduit à regarder, pour Sylvie Testud, l’excellent film d’Alain Corneau Stupeur et Tremblements. Impossible d’ignorer dès lors que le scénario est l’adaptation du roman éponyme d’Amélie Nothomb. C’est alors qu’il me revient avoir entrepris il y a fort longtemps la lecture d’un de ses ouvrages, et l’avoir abandonné, geste excessivement rare chez moi qui suis plutôt du genre obstiné… J’ai quand même lu jusqu’au bout les fameuses Bienveillantes, moi, Monsieur, j’en connais qui n’ont pas dépassé les 50 premières pages… Alors abandonner un roman au point de ne même plus savoir précisément quel en était le titre ni même le thème …Hum, hum, ça ne me ressemble guère… D’où la conclusion définitive qui s’impose : » je n’aime pas Amélie Nothomb ! » Même si les critiques se confondent en remarques sur ce petit génie des Lettres francophones, même si d’année en année, chaque rentrée apporte son Nothomb, du haut de mon droit au libre-arbitre, j’ai ignoré splendidement les productions pléthoriques de l’écrivaine. Chacun de nous a droit à l’erreur, je bats donc ici ma coulpe…
Pendant mon récent séjour chez Audrey, celle-ci n’a eu de cesse de remplir ma valise, pourtant déjà bien grassouillette : « ….Et ces quelques produits cosmétiques par là, ces bottes qui sont si jolies et en plus elles te vont bien ! et ce livre, au fait je te rends les tiens, (boum, quatre de plus dans la soute,).…À propos, cet été, tu m’as bien dit que tu lirais bien un Nothomb, depuis que tu as apprécié le film ? tiens voilà celui qu’elle a écrit sur un thème tout proche, tu vas voir, c’est très drôle et en plus ça se lit très vite… »
Voilà, ma Douce a chargé la barque.
En effet, Ni d’Ève ni d’Adam est un roman caustique et plein d’humour. Le détachement de la narratrice pour évoquer son histoire sentimentale génère un ton léger et dérisoire, qui convainc le lecteur que cette page de vie n’est qu’un épisode exotique et futile. Et pourtant, au fur et à mesure que se construit la relation entre la narratrice et son amoureux Rinri, cette apparente désaffection sert à mettre en lumière la sincérité du jeune homme opposée à la duplicité avouée de la narratrice. À travers ces portraits réalisés en creux, il apparaît que l’exilée n’est pas une proie fragile, mais plutôt une manipulatrice, consciente de son pouvoir, jusqu’au moment où elle perçoit que sa souveraine liberté est menacée. Amélie Nothomb ne se dresse pas un autoportrait flatteur, elle ne se représente pas comme une victime, mais elle joue à merveille des contrastes. Comme elle se donne la parole, elle a beau jeu de souligner les incongruités nées du contraste des deux civilisations, et elle en tire un vrai parti humoristique. Ce bonheur du lecteur ne dissimule pas tout à fait l’injustice de toute relation amoureuse, quand les deux partis ne sont pas motivés par la même sincérité… Sans aborder délibérément le sujet, l’auteure parsème sa mise en garde, donnant à entendre que nul n’est désintéressé quand il s’ouvre à l’univers d’autrui.
De fait, ce sont surtout les aspects humoristiques de la cohabitation entre Amélie et Rinri qui constituent l’attrait principal de ce roman. Les us et coutumes nippons, traduits dans leur inadéquation au monde occidental par la malice de la narratrice, donnent lieu à des épisodes hilarants qui perdraient leur jus à être dévoilés hors contexte. S’il vous vient un petit coup de blues en cette période de matraquage ambiant sur La Crise qui nous menace et nous submerge, immergez-vous quelques heures dans ce livre charmant, par ailleurs fort bien écrit.
Même si vous n’êtes pas appelés à devenir adepte des bains brûlants sous la neige, je vous offre par exemple ce petit paragraphe cueilli page 195, alors que les deux amoureux s’offrent un séjour de fin d’année sur l’île quasi déserte de Sado :
« Ravie d’avoir le champ libre, je fis la planche, afin que mon corps entier vive le moment miraculeux de la rencontre avec l’élément gelé : il était exquis d’être lapidé au sorbet, à plus forte raison quand le côté pile marinait dans l’eau fumante. «
Vous qui m’avez suivi jusqu’ici, vous méritez à n’en pas douter une petite tentation humoristique. Je vous offre sans barguigner celle-ci, offerte dès la page 13 de l’édition Albin Michel, alors que la narratrice vient juste de faire connaissance avec le postulant à ses cours de français :
(.…). Quels aliments mangeait-il ? Péremptoirement, il répondit :
- Ourrrrhhhh.
Je croyais connaître la cuisine japonaise, mais cela, je n’avais jamais entendu. Je lui demandai de m’expliquer. Sobrement, il répéta :
- Ourrrrhhhh.
Oui, certes, mais qu’était-ce ?
Stupéfait, il me prit le carnet des mains et traça le contour d’un œuf. Je mis plusieurs secondes à recoller les morceaux dans ma tête et m’exclamai :
- Œuf !
Il ouvrit les yeux comme pour dire : Voilà !
- On prononce œuf, enchaînai-je, œuf.
- Ourrrrhhhh.
-Non, regardez ma bouche. Il faut l’ouvrir davantage : œuf.
Il ouvrit grand la bouche :
-Orrrrhhhh.
Je m’interrogeai : était-ce un progrès ? Oui, car cela constituait un changement. Il évoluait, sinon dans le bon sens, du moins vers autre chose.
- C’est mieux, dis-je, pleine d’optimisme. (…)
Pour le reste, à vous de juger mais je gage que vous vous amuserez tout au long de ce délicieux roman. Nothombophile, moi ? Ma foi, il faudrait que je creuse encore un peu le sujet.
Si Amélie a d’autres perles (japonaises) à me montrer…
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