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Odette Toulemonde

Odette Toulemonde

Auteur : Éric Emmanuel Schmitt

Éditeur : Le livre de poche

Année : janvier 2009 ( édition originale Albin Michel 2006)

Il s’agit à nouveau d’un recueil de nouvelles, genre où Éric Emmanuel Schmitt excelle.
Il est vrai, je suis une inconditionnelle de l’auteur. Mais qui mieux que E E Schmitt en France peut dresser les portraits à la fois intimistes, convaincants, optimistes et originaux de ses contemporains ?

La postface de l’ouvrage, apporte une précision intéressante en ce qui concerne la rédaction de l’ouvrage.
E E Schmitt y rappelle que l’origine de la nouvelle générique, celle qui donne son nom à l’ensemble, est la réécriture d’un scénario de commande. Les contraintes liées à ce contrat se sont avérées tellement lourdes que l’auteur a écrit les autres textes par dérivatif, pour échapper à ce nouveau lien à l’écriture qui n’est pas le sien. Il explique d’autre part que la nouvelle littéraire est sensiblement différente de l’original filmé, pour préserver sa liberté créatrice. Voilà qui permet d’éviter d’emblée la comparaison entre les deux œuvres.

La première histoire du recueil s’appelle Wanda Winnipeg. C’est le nom du personnage central, présenté comme une odieuse millionnaire, capricieuse emplie de morgue pour son entourage qu’elle exploite sans vergogne, du malheureux amant aux employés des palaces qu’elle fréquente. Mais Wanda est aussi une femme terriblement seule, enfermée dans un rôle qu’elle s’est construit pour échapper au destin redoutée pour lequel elle était née…Un hasard, une rencontre de vacances la met en présence d’un personnage qui a beaucoup compté dans ses jeunes années…Et le miracle s’accomplit. La femme blasée et cruelle s’évanouit devant la renaissance de la jeune fille d’autrefois… Elle saura trouver un geste salvateur pour le bien aimé oublié.

C’est un beau jour de pluie est la phrase type que le mari d’Hélène proclame rien que pour la contrarier, croit-elle. Mais en même temps, elle n’est pas dupe de son jeu : « ce jour-là, elle acquit deux certitudes définitives : il l’agaçait profondément et, si elle le pouvait, elle ne le quitterait jamais. »
Hélène est une perfectionniste que rien ni personne ne peut satisfaire pleinement. Elle a consenti à épouser Antoine par raison, comme on acquiert un objet qui correspond à un nombre défini de critères. Si elle se hérisse devant les qualités inépuisables de ce mari parfait, qui pousse l’outrecuidance dans un optimisme béat…Elle change néanmoins de comportement, dans un effort surhumain pour apprivoiser le bonheur comme il se présente. La mort brutale d’Antoine la bouleverse. Elle s’enferme dans un face à face douloureux entre les deux facettes de sa personnalité : celle, toute douce, qui se conformait aux vues de son époux, celle de la rebelle qui n’accepte pas les imperfections de ce monde. Croyant endosser le mode vie conjugal, elle entreprend de voyager et parcourt la planète pour y retrouver le regard bienveillant et constructif de son mari. Une escale au Cap la met en présence d’un inconnu qu’elle ne peut s’empêcher de remarquer avec un sentiment confus. Alors se produit l’inattendu : du fond de son inconscience, elle corrige le désagrément exprimé par l’inconnu devant l’éclatement de l’orage et … L’histoire est un perpétuel renouvellement.



Avec » L’Intruse, » la troisième nouvelle nous emmène vers l’intime, un espace étrange et bouleversant où nous attend la grande peur…Le récit commence comme un thriller, annonce un suspense quand l’héroïne, Odile, perçoit la présence d’une femme inconnue chez elle. La police est impuissante à déceler et traquer l’intruse, cette silhouette muette qui semble narguer la propriétaire des lieux. Pourtant, insidieusement, quelques incohérences perturbent le tableau idyllique qu’Odile dresse de son mariage, de sa vie. Où est donc passé Charles, ce mari adoré qu’elle attend de retour d’une mission ? Le mystère se double quand il arrive enfin et que nous percevons qu’elle confond son mari et son fils, adulte et marié…
Nous comprenons alors que l’intruse qui bouleverse Odile n’est autre qu’elle-même, le reflet de sa réalité qui s’impose par intermittence à son propre esprit embrumé au cours d’un été de solitude. Un drame ordinaire de la vieillesse en somme… Je vous le disais, la Grande Peur, qui nous guette, nous tous qui vieillissons …



« Le faux » traduit l’ambiguïté des valeurs de la comédie humaine : Qu’est ce qui est faux, le faux ne cache-t-il pas le vrai, ou à l’inverse, l’authenticité n’est-elle qu’un leurre ?
Georges, l’amant tant aimé d’Aimée, lui a laissé en gage de l’amour impossible qu’il prétendait lui vouer, un tableau d’une valeur inestimable. Un Picasso, un vrai, une œuvre authentique du Maître, dont il ne lui a pas révélé l’origine. Aimée a conservé longtemps ce témoignage d’une vie sacrifiée à l’amour d’un homme marié, qui l’abandonne pour « finir ses jours avec sa femme ! ». Alors Aimée se révèle à elle-même. Elle cesse de croire à l’amour et à la bonté de l’humanité. Pour survivre, elle loue une chambre à une jeune étudiante japonaise qui lui témoigne beaucoup d’empathie. Par ruse, pour capter l’héritage du Picasso ? Aimée, devenue cynique et manipulatrice, finit par léguer à sa locataire si dévouée ce fameux tableau qu’entre-temps elle a compris n’être qu’un faux, trahison supplémentaire du fourbe Georges.
« Soulagée, enfin seule, Aimée sourit au plafond.
Pauvre niaise, songea-t-elle, va rêver que tu es riche : tu seras plus déçue après ma mort.…
(…)
Quarante ans plus tard, Kumiko Kruk, la plus grande fortune du Japon, la reine mondiale de l’industrie cosmétique, désormais ambassadrice de l’Unicef, une vieille dame adorée des médias pour sa réussite, son charisme et sa générosité, justifiait ainsi devant la presse ses actions humanitaires :
- Si j’investis ainsi une partie de mes bénéfices dans la lutte contre la faim et la distribution de soins médicaux aux plus pauvres, c’est en souvenir d’une grande amie française de ma jeunesse, Aimée Favart, qui m’offrit sur son lit de mort, un tableau de Picasso dont la vente me permit de fonder ma compagnie »(…)
D’une perfidie déguisée en bienfait, il ressort toujours ce qu’on veut bien y voir…


« Tout pour être heureuse » commence comme une comédie bourgeoise banale, où l’épouse gâtée d’un homme riche, Samuel, rencontre celle qui va faire basculer son cadre de vie si bien assuré. Car l’apparence n’est rien, et le sacrifice d’amour ne réside pas forcément où on l’attend.
Par caprice et ennui, la narratrice se confie aux soins d’un coiffeur visagiste réputé, ce qui occasionne sa rencontre avec la manucure Nathalie. Le trouble de celle-ci ne passe pas inaperçu et pique la curiosité de notre grande bourgeoise, qui la suit jusqu’à son domicile. C’est alors que le hasard lui joue un drôle de tour :
« J’allais rebrousser chemin lorsque je vis quelque chose qui m’obligea à m’appuyer contre le mur pour ne pas tomber. Était-ce possible? Ne devenais-je pas folle ?
Je fermai les yeux et les rouvris, comme pour effacer sur l’ardoise de mon cerveau l’illusion que mon imagination avait voulu y inscrire. Je me penchai. Je regardai une deuxième fois la silhouette qui dévalait la rue.
Oui, c’était bien lui. Je venais de voir Samuel.
Samuel, mon mari, avec vingt ans de moins.… »

Sous le choc, elle ne peut s’empêcher de le héler, et entreprend de démêler l’écheveau… Elle qui n’a pas eu d’enfant apprend que son mari Samuel entretient parallèlement à leur vie rangée, » une famille complète » et qu’il ne quitte pas sa femme officielle par pitié, « parce qu’elle est folle ! »
Le doute et la jalousie sont de bien morbides compagnons, et malgré les témoignages d’amour rassurants à l’égard de sa femme, Samuel et Isabelle vont de mal en pis. Isabelle apprend la réalité des liens sincères que lui voue Samuel alors même que celui-ci est victime d’une crise cardiaque…Trop tard pour qu’elle lui rende la confiance perdue.

« La princesse aux pieds nus » évoque irrésistiblement le film avec Ava Gardner.
Fabio rejoint un authentique village sicilien, avec l’idée nostalgique de retrouver bien des années plus tard, la princesse sublime qui a enchanté un séjour lointain. Il avait rencontré l’espace d’une nuit une princesse fabuleuse, originale aux pieds nus, qui l’avait éveillé à la magie d’un univers inaccessible…

À la suite de sa quête, il apprend qu’hélas, cette créature merveilleuse n’était que Rosa Lombardi, fille du plongeur du restaurant, atteinte d’une maladie incurable, à qui le personnel de l’établissement a offert cette soirée de rêve, avant le grand saut définitif…

À la suite de ces histoires où le faux-semblant le dispute au réel, nous entrons dans l’univers d’ »Odette Toulemonde. » Odette si sensible, mal à l’aise, perturbée par un profond manque de confiance en elle-même, mais sauvée par sa foi en l’humanité, sa générosité et son admiration infinie pour l’œuvre de Balthazar Balsan.

Lequel Balthazar, tout écrivain réputé qu’il estvit mal le vide superficiel et snob qui compose son monde. Sa relation conjugale s’est perdue dans le labyrinthe des mondanités, son souffle créateur s’épuise à la course au succès et ses contraintes.
Rencontre improbable de la carpe et du lapin, deux êtres que tout oppose, mais la fraîcheur d’Odette servira de tremplin à Balthazar pour faire le point sur ses véritables valeurs.

Leur liaison ne dure que le temps d’une thérapie, mais elle permet à chacun d’eux d’éprouver ses forces et rebondir…


La compilation du livre de poche s’achève sur « Le plus beau livre du monde ».
Dans un goulag sibérien, un groupe de prisonnières souhaite trouver de quoi écrire, envoyer des nouvelles à leurs familles, transcrire les terribles épreuves traversées, formuler l’indicible de leur situation d’exclues du monde… Elle pense avoir la chance de cacher l’indispensable crayon dans l’abondante chevelure d’Olga et…Leur rêve s’exhausse… Mais voilà, les idéaux fantasmés sont difficiles à réaliser. Et le plus livre du monde n’est-il pas celui qu’on n’écrit pas, mais plutôt celui qu’on pourrait créer si et quand…


Voilà donc un ensemble de nouvelles d’une densité et d’une cohérence parfaites, comme E E Schmitt nous les concocte si souvent. Il n’est pas certain que la meilleure histoire soit d’ailleurs Odette Toulemonde, chaque lecteur décide après tout de son attirance particulière. La langue de l’auteur m’enchante toujours, légère, liante, apaisante.

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