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Dernière nuit à Twisted River

Dernière nuit à Twisted River

Auteur : John Irving

Éditeur : Le Seuil

Année : 2011- Janvier

Il était attendu, ce nouveau roman de John Irving. Aussi mon cœur n’a fait qu’un tour quand j’ai repéré la couverture sobre de l’ouvrage exposé sur la petite table présentoir du jardin des Lettres, ma librairie ressource ici à Saint Max…

Et pour rester honnête, cet exemplaire auto–offert n’est pas demeuré longtemps au sein de la pile branlante de livres en attente. Peut-être avais-je bien besoin de réconfort après m’être laissé un peu sécher par le point oméga de Don de Lillo. Je me languissais d’un souffle vibrant de vie, d’une écriture humaine, de côtoyer des personnages émouvants et charnels, de vivifier mon imagination à l’incarnation de créatures folles et sensibles… Bref, merci docteur Irving, vous m’avez sauvé de l’anémie cérébrale que votre distingué confrère avait instillée dans mon pauvre cerveau.

Adeptes de grand air et de saga, sautez donc en marche sur les trains de bois qui descendent le long des rapides, les fleuves des états du Nord. Première étape : le comté de Coos, dans le New Hampshire. Mais attention, sachez danser sur les grumes qui dévalent le courant, ou tenez-vous sur la rive… Car la vie des « dravers » est rude et toute maladresse est mortelle. C’est ainsi que nous sommes cueillis par un premier drame, dès les premières lignes du roman. La disparition du jeune Angel prend d’entrée de jeu le lecteur aux tripes. Mais elle n’est que l’accident qui cache mal d’autres drames, passés et à venir. Nous sommes en 1954, et suivons les événements qui rythment la vie de ce camp de bûcherons convoyeurs à travers les yeux du cuisinier du camp, Dominic Baciagalupo et de son fils Daniel douze ans, dit Danny. Père et fils vivent en osmose dans ce village rustique, où le cuistot exerce son métier comme une vocation, un sacerdoce qui lui permet d’offrir une nourriture abondante et goûteuse à ces hommes rompus aux travaux durs et dangereux. L’art de John Irving permet de dresser rapidement un tableau vif et criant de cette communauté soumise à tant de rudesse. Nous rencontrons bien vite Ketchum, bûcheron convoyeur, draver d’expérience, force de la nature et personnage haut en couleurs. Et puis Jane l’Indienne, rare figure féminine qui aide Dominic à élever Danny, d’autres silhouettes pittoresques complètent le tableau d’une société rompue aux difficultés saisonnières sur un territoire défini. Les légendes s’y forment vite et Danny grandit en se construisant une réalité qui intègre les mythes locaux aux événements du présent.

Vous en dire davantage sur la suite d’événements qui jetteront Danny et son père sur les routes en une longue suite de fuites desservirait votre plaisir de lire. Les fidèles de John Irving savent depuis longtemps (pour moi depuis le monde selon Garp) comment cet écrivain excelle à mêler le tragique et le loufoque, comment ses personnages obéissent à leur logique en toute bonne foi, emportant l’adhésion des lecteurs sidérés. John Irving ne s’embarrasse pas de style, son écriture est directe et efficace. Ce sont les enchaînements d’événements qui constituent le tourbillon qui aspire le lecteur. Il n’empêche qu’à chaque roman, il advient toujours un moment où la lectrice que je suis se sent impliquée, touchée, on se dit : »tiens, voilà quelque chose qui me parle »…

Voici par exemple quelques confidences disséminées ça et là au sujet du personnage de Danny, devenu écrivain… Daniel s’inspire largement de ses diverses expériences pour établir la trame de ses récits, John Irving n’a jamais fait mystère d’avoir nourri ses intrigues des troubles de son enfance. Là encore l’auteur distille un humour subtil pour se moquer gentiment d’un personnage qui finalement porte une grande part de lui-même, ce que nous comprenons en toute fin de roman : l’écrivain de papier s’est réfugié dans une île du Nord canadien, sur un lac gelé, où il mène une vie d’ermite au service de la rédaction de son roman… Nous venons de partager tant de péripéties avec lui au fil de presque 600 pages et nous redoutons ces quelques derniers feuillets qui glissent si vite vers la fin du roman comme vers une rupture qu’on voudrait retarder encore un peu…Quand le livre nous tombe des mains à la lecture des trois derniers paragraphes… Et l’on se prend à retourner de toute urgence au début du roman. Quelle jolie pirouette !


Publié dans source livresque | Lien permanent