Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Supplément à la vie de Barbara Loden

Supplément à la vie de Barbara Loden

Auteur : Nathalie Léger

Éditeur : P.O.L

Année : 2012

Mise en abîme à trois niveaux, cette curieuse biographie casse les codes du genre. L’écrivaine Nathalie Léger s’intéresse à l’actrice américaine Barbara Loden, à travers l’œuvre de celle-ci concernant une dénommée Wanda, elle- même projection d’un personnage de fait divers passé dans l’oubli. Le lien qui s’établit entre les trois femmes ici sert de toute évidence à tisser la recherche du sens profond de ces personnalités, l’émergence de leur similitude et de leur quête d’existence.

L’auteure de l’ouvrage nous conduit elle^même sur cette piste par les quelques pages où elle se positionne dans sa quête de documents, visionnant le seul film produit par Barbara Loden. Le fait qu’elle mentionne la présence et les réactions de sa propre mère construit un cadre qui illustre cette question existentielle : ma mère me regarde, je justifie pour elle mes recherches, donc j’existe vraiment, indépendamment de ce témoin primitif de mon souffle. Or très vite, nous comprenons aussi que ce qui fascine Nathalie Léger dans la vie de Barbara Loden, seconde ou troisième femme du cinéaste Kazan, c’est sa lutte pour laisser une empreinte de son passage sur terre. Certainement très belle jeune femme, Barbara Loden a fini par intégrer le système hollywoodien en passant par la toute petite porte qu’empruntent tant de starlettes qui y passent comme des comètes. Mais la jeune femme qui s’est battue pour sa survie jusque-là a besoin de se trouver, de se reconnaître comme autre chose qu’une image glacée prête à s’effacer des miroirs aux alouettes des écrans. Le jour où elle lit un article relatant un fait divers banal, Barbara Loden tient le sujet qui lui permet de poser les jalons : à quoi tient le sentiment d’exister, aux regards d’autrui, avec le poids de la concupiscence, ou à la façon dont on se perçoit soi-même ? Par l’image ou par les faits ? Par la construction méthodique , systématique du témoignage ou par la soumission aux événements, aux brutalités des êtres et des incidents ?
L’ouvrage est court, à peine 150 pages dans cette édition P.O.L, mais il demande une concentration, une disponibilité de lecture, non en raison d’un style difficile, mais parce qu’il nous renvoie sans cesse à ces fondements du sens de nos vies. Peu d’entre nous verront jamais le film de Barbara Loden, peu d’entre-nous ont mémoire du visage de cette femme, mais tout au long du livre il me semble difficile de ne pas établir un parallèle entêtant avec une autre starlette au destin plus fameux mais guère plus heureux, celui de Norma Jeane Baker, que la postérité célèbre toujours sous le nom de Marilyn Monroe. Le pari de Nathalie Léger est tenu, elle a réussi à sortir des limbes de l’oubli une femme condamnée à l’ombre des géants.

Extrait , page 79:
« Je revois le visage de Wanda dans la chambre d’hôtel, je revois son visage lorsqu’elle est devant le patron de l’atelier, quand il lui doit qu’elle est trop lente et qu’il ne veut pas d’elle, je revois son visage quand elle est laissée sur le bord de la route, ou quand Mr Dennis se redresse soudain en hurlant, je revois ses yeux qui s’éteignent, son visage qui devient blême, les traits qui se figent autour de sa bouche. Je ne sais pas comment une actrice peut avoir le visage si authentiquement blafard et défait dès qu’une caméra tourne. Il a bien fallu refaire certaines scènes, comment fait-on ? Humiliation ? Action ! Comment fait-on pour se croire humiliée—mais non, ce n’est pas une croyance —, comment fait-on pour paraître humiliée ou, plus fou, pour l’être sans motif d’humiliation ? »



Publié dans source livresque | Lien permanent