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Les mystères de Marseille

Les mystères de Marseille

Auteur : Émile Zola

Éditeur : Jeanne Laffitte

Année : 2010 ( septembre)

Édité pour la première fois en 1867 à Marseille par l’imprimerie nouvelle A. Arnaud, ce roman de jeunesse de Zola est atypique de son œuvre. De l’aveu même de l’auteur, l’idée lui en a été suggérée par le directeur du Messager de Provence, sous forme de feuilleton. Le journaliste comptait fidéliser ses lecteurs par le récit romanesque fragmenté des archives juridiques de la région (l’esprit Tabloïd ne date pas d’hier !) et le jeune Zola trouvait là une rémunération opportune lui permettant de poursuivre la rédaction de "Thérèse Raquin".

C’est dire qu’aux yeux de l’écrivain, Ces "Mystères de Marseille" ne figurent pas dans les œuvres dont il se sent le plus fier. Pourtant Jeanne Laffitte, éditrice marseillaise qui se consacre principalement à la réhabilitation d’œuvres provençales menacées d’oubli, a eu la bonne idée d’exhumer ce curieux ouvrage, et le pur hasard a porté mes yeux sur ce titre, alors que je quittais ma librairie locale, le « Jardin des Lettres », à mille lieues de penser me replonger dans les délices de ce genre littéraire.

Ma dernière lecture d’un « Zola » doit remonter à mes années lycées, c’est dire ! Et pourtant, je n’en ai que d’excellents souvenirs. Les Rougon Macquart ont accompagné mes 15 ans en soulevant en ma jeune conscience de véritables émois et ils ont contribué ô combien à forger le goût des mots, des envolées stylistiques, des images pittoresques et des récits jubilatoires de destins emblématiques. Entrer dans l’Univers de Zola, c’est comprendre combien la Littérature nous relie aux Hommes. Et cette certitude ne peut s’oublier, même quand on ne lit plus de Zola, elle reste dans la conscience de chaque lecteur récipiendaire de cette formation et participe donc à notre jugement de valeur, que nous en soyons conscient ou pas.

Le premier contact avec ce roman feuilletonesque fut étrange. Aux premiers chapitres, j’ai mesuré la désuétude du style, les notations moralisatrices, la menée de l’intrigue par annonce anticipative, tout ce qui paraîtrait de nos jours complètement maladroit et vain dans la construction d’un roman. À commencer par les titres des chapitres :
I) Comme quoi Blanche de Cazalis s’enfuit avec Philippe Cayol
II) Où l’on fait connaissance du héros, Marius Cayol

Ces deux exemples suffiront à vous arracher un sourire, j’en suis bien certaine. Cependant, de caractère tenace, je n’ai pas refermé l’ouvrage et j’en suis fort aise. L’intrigue est forgée à partir d’archives judiciaires différentes, que l’auteur s’est fait adresser à Paris et dont il a habilement combiné les « affaires » pour servir et enrichir son intrigue principale. Très rapidement, le lecteur jugera que le jeune romancier possède cet art particulier de ne pas s’attarder sur les faits-divers pour leur part de voyeurisme banal, mais qu’il se sert de ces éléments pour tisser une toile où les rapports sociaux occupent déjà la première place.

Alors me direz-vous, de quoi s’agit-il ?
Un jeune homme ambitieux, Philippe Cayol, bourgeois d’origine assez modeste mais audacieux et séducteur, enlève une jeune héritière bien née, au nez et à la barbe de son terrible tuteur, le comte de Cazalis. Or celui-ci ne pourra pas accepter la mésalliance, d’autant que l’on apprend qu’il gère la fortune de sa jeune nièce. En outre Cazalis est député de l’opposition et membre influent de sa caste sociale. Dès le quatrième de ces brefs chapitres, le décor social et politique du roman est dressé. Nous sommes à la veille de la révolution de 1848, la France hésite encore entre Régence, République et Monarchie, un brin nostalgique des heures de Gloire Passée, déchirée entre conservatisme légitimiste et progrès Républicain. Quel bouillonnement, quand on pense qu’alors toutes les utopies étaient envisageables !
Nos fuyards se retrouvent rapidement débordés par leur fuite inconsidérée. L’amour est rarement suffisant face aux réalités sordides de la Vraie Vie. Blanche de Cazalis est rendue à son terrible tuteur, Philippe est rapidement emprisonné, il revient au héros principal, Marius Cayol, la lourde tâche de sauver son frère et d’arranger le pénible sort de la pauvre Blanche, séduite, abandonnée…Et enceinte ! Ce noir tableau est heureusement embelli par l’arrivée dans l’intrigue de Fine, la bouquetière du Cours Saint Louis. ( Notez au passage le joli mot que nous n’employons plus pour désigner ce charmant métier !).

Bien sûr, tous les éléments de l’intrigue sont terriblement connotés. Je vous disais mon premier mouvement de recul pour ces portraits excessivement stéréotypés. Zola traitant son récit avec les accents de Ponson du Terrail ! Soit. Nous voilà confrontés à deux camps parfaitement définis : d’un côté, les Bons, entendez les modestes et les vertueux : Marius, frère de Philippe, Fine, et leurs soutiens l’abbé Chastanier, le bon bourgeois Martelli, et encore la figure originale du Comte de Girousse. Dans le camp opposé, les Méchants : de Cazalis, arrogant et cupide, son âme damnée Mathéus, le perfide représentant du clergé vaticanesque l’abbé Donadéi. Autour d’eux circulent quelques personnages haut en couleur, au gré des nécessités du feuilleton. Sur cette trame, je n’en dévoilerais pas davantage. Mais comme vous l’imaginez sans peine, un récit aussi résolument manichéen aboutit forcément à une issue…De bon aloi. Ce n’est donc pas pour l’intrigue que l’on se jettera sur ces pages au goût de confitures grand maternelles : derrière le caractère désuet des mots, il me semble qu’une petite musique emprunte de fraîcheur ne demande qu’à poindre et que ça nous ferait du bien de lui donner la place et l’ampleur de chasser le cynisme ambiant.

À titre thérapeutique, je vous livre cet extrait (page 159) de la révélation amoureuse entre Fine et Marius :
« La bouquetière arriva et s’assit sur le rocher à côté du jeune homme qui lui prit la main sans parler. Devant eux s’étendaient la mer et le ciel, d’un bleu doux et pâle. Le crépuscule tombait. Une sérénité profonde alanguissait les derniers bruits et les dernières clartés. Au couchant, de minces lueurs roses jetaient des reflets tendres sur les rochers de la côte. Il y avait des souffles de tendresse dans l’air, une grande voix frissonnante qui allait en s’éteignant.
Marius, profondément ému, gardait dans la sienne la main de son amie. Il continuait son rêve. Les yeux à l’horizon, sur cette brume vague où la mer et le ciel se confondent, il souriait tristement. Et, à voix basse, sans en avoir conscience, ses lèvres dirent tout haut ce que pensait son cœur.
-- Non, non, murmura-t-il, je suis trop laid…
Fine, depuis l’instant où Marius lui avait pris la main, souriait de son air tendre et sournois. Enfin son ami allait se décider à parler ; elle devinait cela aux regards plus profonds de ses yeux, à la pression lus étroite de sa main. Quand elle entendit le jeune homme dire qu’il était trop laid, elle parut étonnée et fâchée.
-- trop laid ! cria-t-elle , mais vous êtes beau Marius !
Fine avait mis tant d’âme dans le cri qui venait de lui échapper, que Marius tourna la tête et joignit les mains en la regardant avec anxiété. Elle, comprenant qu’elle avait brusquement livré le secret de son cœur, baissa son front qui se couvrait de rougeur. Elle resta ainsi, muette et embarrassée, pendant quelques secondes. Mais elle n’était pas fille à reculer devant l’aveu complet de son amour ; il y avait en elle trop de franchise et de vivacité pour qu’elle consentît à jouer la comédie hypocrite que jouent les amoureuses en pareille occasion. »

Au-delà des touches surannées, notamment le vocabulaire décalé (vous avez noté l’utilisation du mot sournois dans une acception légèrement différente de celle que nous entendons aujourd’hui) cette scène d’aveu amoureux me fait penser à Éric Rommer, le cinéaste du « genou de Claire » ou de « ma nuit chez Maud », et je me dis que le temps n’abolit pas tout…

libraire éditeur Jeanne Laffitte

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