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Dans la nuit brune

Dans la nuit brune

Auteur : Agnès Desarthe

Éditeur : Éditions de l'Olivier

Année : novembre 2010

« Une boule de feu qui valdingue d’un côté à l’autre de la nationale et puis, à un moment, après le virage, vlan ! dans l’arbre. La boule de feu s’écrase contre le tronc et brûle tout, les feuilles, les branches, même les racines. J’ai cru que c’était un phénomène paranormal. Mais non, c’était le gamin… »

Agnès Desarthe cueille son lecteur au débotté par ce choc initial. Nous entrons dans la vie de Jérôme, le personnage central de son roman, par ce témoignage abrupt. Et ce n’est qu’après le temps nécessaire à l’absorption du traumatisme que nous comprenons qu’il ne s’agit pas d’un récit de feu et de bruit, mais tout au contraire d’une lente aventure intérieure, adossée au rythme et aux sinuosités du mental de ce Jérôme. Là réside au moins un des paradoxes de cet étrange roman, porté par une écriture soutenue et souvent rapide, cadencée en phrases brèves, et le processus d’évolution des situations et des réactions des protagonistes.

À cause de ce drame, la mort en apparence accidentelle du petit ami de la fille de Jérôme, celui-ci est déstabilisé, au-delà du malaise dû à ce deuil brutal. L’impuissance devant la détresse de sa fille, l’abîme qui s’installe entre eux parce qu’il ne trouve pas les mots qui répareraient ce chagrin le renvoie à une autre absence qu’il pensait digérée et rangée dans la case oubli définitif…
Commence alors pour Jérôme une période trouble où ressurgissent des souvenirs mal cernés, ceux d’une surprenante première vie dans les bois, jusqu’à la rencontre avec ses parents adoptifs. Le flou même des circonstances de cette adoption, sa fascination étrange pour le monde sylvestre où il éprouve toujours le besoin primitif et viscéral de se réfugier, une permanente impression de décalage par rapport au monde réel, ce sont autant d’éléments troublants que le personnage subit sans parvenir à s’en affranchir, comme s’il se sentait à l’abri dans ce cocon d’imprécision.
« - À l’époque, disait Annette, on faisait pas tant d’histoires comme aujourd’hui. Bien sûr, on a fini par t’adopter, pour les papiers, pour l’héritage.…
Chaque fois qu’elle prononçait ce mot, elle faisait de gros yeux blancs et battait des cils avant d’éclater de rire.
- Tu parles d’un héritage ! Mais pour nous, c’est ça que tu es, notre enfant trouvé, notre petit chéri des bois.
Elle lui caressait la tête avec sa grosse main charnue qui dégageait un persistant parfum d’ail. « Notre petit chéri des bois », répétait-elle avant de pousser un profond soupir, un soupir incompréhensible, car un soupçon de tristesse s’y mêlait toujours.
Jérôme connaît l’histoire, Gabriel et Annette la lui ont racontée chaque fois qu’il le demandait, et même quand il ne le demandait pas, comme si c’était une leçon à réviser, un rôle à apprendre, comme si c’était un mensonge. » ( Page 21)

Alors qu’il peine à surmonter les affres du deuil de sa fille, survient Alex Cousinet, dont les questionnements ravivent son malaise. Cet ancien policier sait lever des doutes là où la situation paraît évidente. Le bel Armand cachait peut-être un secret, sa mort accidentelle l’est-elle vraiment ? Y aurait-il un lien avec la disparition soudaine d’une jeune fille au cours de l’été précédent ?
Survient alors sa rencontre avec l’improbable Vilno, l’écossaise exubérante qui sollicite ses services pour acheter une maison. Par son impudeur et ses provocations, cette femme l’exaspère autant qu’elle l’attire…Et puis un jour, Marina, sa fille endeuillée, lui révèle sa grossesse. Dans ce tourbillon de nouvelles, de doutes, de soupçons, de découvertes macabres et de suspicions sordides, Jérôme est renvoyé toujours plus loin dans sa nuit brune, sa conscience flouée de la certitude de ses origines.
« Jérôme étrangle un sanglot. Il pleure sur le petit garçon solitaire, l’enfant perdu, l’enfant des bois. Tout son être se crispe autour de ce souvenir qui n’en est pas un. Il voudrait serrer dans ses bras le corps vigoureux et confiant du bambin. Le chagrin déferle sur lui d’un coup, comme après une interminable poursuite. “ Je t’ai trouvé, hurle le chagrin triomphant. Tu es revenu dans la forêt et tu es à ma merci. “ Mais presque aussitôt, à la manière d’une vague qui se brise et se retire, le chagrin recule, s’éloigne, s’estompe, laissant Jérôme plus seul que jamais. » ( Page 74)

Jérôme finira par sortir de sa nuit brune, peu à peu, avec l’aide d’Alex et de Vilno, il parvient à élucider les différents mystères du présent et du passé. Il s’aperçoit que la lucidité et la maturité obligent à faire des choix, à trancher dans le vif, à choisir ce qu’on veut taire et ce qu’il vaut mieux révéler. Dans la nuit brune est à la fois un roman identitaire et un parcours de maturité, un apprentissage du respect des douleurs enfouies.

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