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Immortelle randonnée

Immortelle randonnée

Auteur : Jean Christophe rufin

Éditeur : Éditions Guérin

Année : 2013

Journal de voyage, essai à l’usage non exclusif des randonneurs et des pèlerins modernes, le succès de cet ouvrage atypique démontre combien nous sommes en recherche du sens de nos vies. Par les mots de Jean Christophe Rufin, conteur naturel sans effets artificiels, le récit du périple pédestre ne manque pas d’intérêts, que l’on soit ou non tenté par l’aventure. La marche est un excellent moyen d’engager une conversation avec soi-même, de se confronter à ses propres limites, à toutes ses limites, pas seulement celles de l’état de ses pieds. Avec humour et philosophie, l’académicien rapporte en courts chapitres les effets du camping sauvage, de la solitude volontaire, des compagnonnages hasardeux, du manque de confort et d’hygiène dans une galère qu’il ne doit qu’à lui-même. Paradoxe du Jacquet contemporain, dont la piste connaît un renouveau en ce début du XXIe siècle, les marcheurs sont de plus en plus nombreux à emprunter les pistes redécouvertes qui convergent vers la Galice et le sanctuaire de Saint Jacques. Autrefois vécu comme une démarche spirituelle, il n’est pas certain que le pèlerinage soit motivé uniquement chez tous les randonneurs par une recherche religieuse. Pourtant le défi sous-jacent à l’exploit accompli participe bien d’une quête personnelle. Rufin atteste que le pèlerin de retour ne peut être la même personne que celle qui est partie. Le cheminement, par sa durée, induit une distanciation du marcheur par rapport à ses objectifs personnels, ses ambitions, ses acquis. Une semaine de marche n’est encore qu’une promenade. Longue, pénible, inhabituelle, certes, mais huit jours correspondent à une période de vacances. Au-delà, on entre dans un espace tout à fait nouveau. » ( Page 81.)
Mais cette expérience personnelle dont témoigne Jean Christophe Rufin n’est pas la seule qualité de l’ouvrage. Avec une verve non dénuée d’autodérision et d’une pincée de lucidité caustique, le diplomate dépeint aussi en maintes anecdotes le vécu des randonneurs quand l’adversité révèle les faces de nos personnalités habituellement assouplies par le polissage social. Rufin nous convie à sourire des travers ainsi mis au jour, et c’est une petite part de la comédie humaine. Toutefois j’ai préféré les passages où le point de vue du marcheur permet de juxtaposer deux époques, comme dans l’exemple cité page 89/90 :
« Une des dernières visions que j’eus de l’Euskadi fut une de ces scènes hors du temps comme seul le Chemin sait en produire. À un moment, les flèches me conduisirent près d’une autoroute. La voie rapide empruntait un viaduc entre deux collines et son tablier était soutenu par d’immenses piles de béton, hautes de plusieurs dizaines de mètres. Le sentier, lui, descendait la colline et passait sous l’autoroute. À l’abri de ses voies, il ne pleuvait plus. Sur le sentier, à cet endroit protégé, deux hommes discutaient autour d’un cheval. L’un d’eux était un paysan, l’autre était vêtu en cavalier, avec un large pantalon de cuir et un chapeau rond. Il avait mis pied à terre et tenait son cheval par la bride. Je ne pouvais entendre leur conversation, mais le tableau qu’ils formaient, sur le fond vert des collines ruisselantes de pluie, était tout droit sorti de la palette de Murillo. On était n’importe où, mais il y a longtemps, dans ces siècles où le cheval était la machine de l’homme, où la terre était cultivée par le paysan et protégée par le cavalier. En d’autres termes, pour le pèlerin, qui reconstruit pas à pas son Moyen-Âge, ces hommes étaient des contemporains.(…) Rien ne matérialisait mieux l’empilement du temps, les strates de la conscience moderne dans lesquelles la couche la plus récente ne fait que surplomber celles qui l’ont précédée et qui laisse intact, quoiqu’enfoui, le passé avec lequel elle prétend rompre. »
Voilà au moins une dimension d’Immortalité qu’atteint le marcheur.


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