Les Sirènes de Bagdad
Auteur : Yasmina Khadra
Éditeur : pocket
Année : 2006
Les Sirènes de Bagdad
Dernier acte de la trilogie de Yasmina Khadra, après les hirondelles de Kaboul et L’attentat, les Sirènes de Bagdad nous emmène dans les arcanes de la naissance du Terrorisme. Le personnage central de ce roman en est le narrateur, et il m’apparaît que nous ne connaîtrons pas son prénom. Il est simplement le représentant de ces hommes, jeunes et innocents des événements qui transforment leur vie en cauchemar et leur avenir en fantasme inaccessible.
Par le truchement d’un flash back, nous glissons de Beyrouth au village perdu de Kafr Karam, en Irak. Retour en arrière sur la vie d’une communauté repliée sur elle-même par la force de l’invasion américaine, subissant passivement les événements qui ont rompu le cours normal de leurs vies. Le narrateur a dû renoncer à ses études, comme la plupart des jeunes hommes qui l’entourent, tous liés par des liens de parenté , inhérents au repli ancestral des villageois . Le bourg de Kafr Karam devient ainsi le vase clos où l’inactivité forcée et l’absence de perspectives créent une vacuité propice à toutes les exacerbations. Sauf que le narrateur se présente comme un être doux et paisible, se distanciant volontairement des têtes brûlées qui, en d’interminables réunions au café, faute de mieux, se cherche un courage difficile à mettre en œuvre dans l’action.
Et puis un jour cette paix attentiste se fissure et Kafr Karam entre malgré lui dans cette violence haïe et refoulée. De l’injuste bavure au massacre aveugle, le narrateur exprime cette sourde révolte qui l’envahit progressivement, jusqu’à l’incident de trop, l’insulte suprême que commet l’ ennemi brutal, inconscient des tabous qu’il bouscule et transgresse.
La seconde partie du roman nous permet de suivre la formation du futur terroriste, servie par les hasards et la nécessité. Le désabusement est total, les racines affectives se coupent, il ne s’agit pas là d’idéologie religieuse, même si, par ellipse , Yasmina Khadra n’évite pas d’en démontrer le pouvoir vectoriel, mais plutôt de la montée progressive et irréversible d’un sentiment d’écoeurement insurmontable. Le narrateur ne se voit plus d’autre perspective que ce sacrifice ultime, et il en gravit patiemment les étapes, jusqu’au rebondissement final…
La langue romanesque de Yasmina Khadra se veut ici moins lyrique que dans les Hirondelles de Kaboul. À l’instar du dessèchement des vies sacrifiées, le pays est sec et vide, ruiné de ses activités comme le sont les habitants de leurs espérances. Le ton est dur, âpre parfois, mais jamais indifférent. Nous ne pouvons rester distanciés de cette profonde tragédie et pressentons que l’Irak subira longtemps encore les traumatismes de cette fausse guerre de Libération, dérision suprême dont personne ne peut se proclamer innocent.
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