Les femelles
Auteur : Joyce carol Oates
Éditeur : Points
Année : 2010
La couverture de l’édition Points expose le buste en noir et blanc d’une femme nue au profil épuré malgré la tension de son attitude. Ce visage aux traits fermes et nets pourrait rappeler irrésistiblement les apparitions éthérées et nues d'une déesse botticellienne, si sa coiffure exubérante ne venait anéantir prestement ce rêve de douceur innocente en associant cette image glacée au mythe de la Gorgone ou de la Méduse, incarnation de la fascination létale.
"Les femelles" sont en effet les créatures de Joyce Carol Oates les plus perverses, les plus ambivalentes, les plus abouties du Mal; Certaines semblent réellement innocentes, comme la petite file de "Banshee" qui ne mesure pas tout de suite le danger terrible auquel elle s'expose en emmenant le bébé, son petit frère, sur les toits de la vaste demeure, tandis que sa mère et son beau-père reçoivent leurs invités en négligeant totalement la fillette, livrée à son sentiment d’abandon.
La kristine de "Faim" appartient en grande partie également à la catégorie des prédatrices qui s’ignorent et rien ne la prédispose vraiment à céder au chantage de son amant. D’ailleurs, si son mari avait accepté de l’accompagner en vacances, ne serait-elle pas restée cette tendre épouse fidèle et admirative ?
Longuement décrite elle aussi comme totalement victime jusqu’à la chute terrifiante de la nouvelle, la petite fille d’"Obsession" entend les lapins hurler la nuit en réclamant leur liberté. Las, les clapiers de la cave sont vides et les animaux prisonniers ne rôdent pas que dans le soubassement abandonné de la maison…
Ce recueil de nouvelles flirte avidement, on le voit , avec le sordide, l’immoralité, l’amoralité, la distorsion des rapports humains. Là où la tendresse serait de mise, il n’y a qu’une vieille culpabilité d’égoïsme et de lâcheté dans la confession d’une mère vieillissante à sa fille. Thème de "Dis moi que tu me pardonnes", le lecteur entrevoit enfin qu’il n’y a d’innocence que dans l’oubli des faits. L’Ange de Colère et l’Ange de miséricorde ouvrent les perspectives de la mystique du Mal, mystique rédemptrice ou vengeresse, l’Ange détient le pouvoir de mort…
Il m’a semblé toutefois que de toutes ces femelles criminelles, la plus obscène, la plus révulsante est illustrée par le personnage de "Poupée". Cette gamine à peine pubère , exposée à la prostitution par son (beau-)père incarne la dépravation la plus totale, celle où la folie cohabite avec une amoralité sans barrières. Pour cette poupée, pas le moindre espoir d’une sortie de cette descente dans l’horreur.
L’univers de Joyce Carol Oates est ici si noir, si définitivement gâté de l’intérieur comme un fruit pourri qu’avant de refermer le volume, il me vient l’envie de revenir à la première de ces histoires, "Avec l’aide de Dieu", où l’héroïne Lucretia ne fait que se défendre face à la perversité de son mari. Une véritable innocente, celle-là ?
Publié dans source livresque | Lien permanent