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09/11/2008

Fanchette au Bain…

Bien qu’elle ait franchi les multiples étapes de sa maturité, Fanchette a conservé quelques émois de fraîcheur naïve. Du moins c’est ainsi qu’elle préfère considérer les quelques inhibitions, résidu de timidité viscérale, que le cours des vicissitudes usuelles n’a pas réussi à gommer.

Voici donc notre quinquagénaire de passage à Paris, où elle a un rendez-vous. Fanchette a résolu de s’occuper d’elle-même en s’offrant Un Soin. Vous allez vous moquer, je vous imagine bien, caustiques comme vous savez l’être, devant votre écran, vous les actives trentenaires nourries de diversité citadine, les quadra vaccinées aux opportunités commerciales. Mais Fanchette, qui pourrait être votre mère, a dû houspiller ses habitudes pour quitter sa province lointaine et venir gaspiller quelques jours dans les remous de la grande cité, loin de ses collines verdoyantes et ensoleillées.

Elle a pourtant essayé de faire une valise légère, mais le sac à roulettes qui tire sur ses bras rend la descente des escalators un brin hasardeuse. Aussi elle se sent vite en nage, moite et rouge comme elle se déteste, mais elle se refuse à l’agacement et observe les visages renfrognés des voyageurs qui l’accompagnent sous terre. Elle se figure d’ailleurs un peu l’OVNI du wagon, sur cette rame nouvelle qui file entre la gare de Lyon et le cœur de la capitale. Il lui faut un moment pour reconnaître l’enchevêtrement des couloirs et des plans qui mènent aux différentes lignes. Quand enfin elle émerge sur la place Malesherbes, les nuages bas accrochés aux ramures des marronniers la surprennent. Comme si l’écran de ses lunettes était passé en 16/9ème, élargissant la perspective au détriment du ciel. À son insu, sa silhouette prend la mesure du couvercle et se tasse vers le trottoir. La marchande du kiosque à journaux n’est guère amène pour cette provinciale entravée qui n’achète rien et elle économise ses renseignements, se contentant d’un mouvement de tête pour orienter la quémandeuse dans la bonne direction.
- Sympa ce quartier soupire in petto notre voyageuse.

La porte de l’Hôtel Hilton se présente comme un majestueux carrousel qui se meut automatiquement dès qu’elle s’insinue sur le quart de cercle délimité par les vitres. Il lui semble qu’elle glisse jusqu’au centre du hall immense, poussée par une douce main invisible. Son regard embrasse la scène, ou plutôt les différents espaces, elle reconnaît le comptoir des concierges, un bureau discret en recoin, deux salons différents aux fauteuils confortables et chatoyants, rouges et mauves. Quelques panneaux indiquent différents services, rien ne l’aide pourtant à identifier le Spa qu’elle recherche. Toujours gênée par sa monstrueuse valise, elle finit par s’enquérir auprès d’un jeune homme tout de noir vêtu, qui s’éclipse derechef à la poursuite du renseignement. Quelques secondes plus tard, il est de retour et l’accompagne jusqu’aux ascenseurs, la libérant d’un aimable message de bonne journée.

Fanchette recouvre un peu d’assurance. Finalement, jusque-là, tout se présente bien : elle a même de l’avance, ce qui est confortable pour soulager un peu l’énervement de se sentir si mal à l’aise, ruisselante de nage dans son joli petit tailleur Morgan acheté presque tout exprès pour l’occasion. Poussant la porte battante d’une main, tirant la valise de l’autre, elle se présente en silhouette égyptienne aux employées qui l’attendent dans l‘entrée. Les deux jeunes femmes affichent un sourire identique, dans leur blouse jaune pâle. Aussi jolie et charmante l’une que l’autre, la blonde au type scandinave, la brune au physique asiatique, elles s’expriment toutes deux avec un fort accent, cochent sur un registre la ligne du rendez-vous. La brune, étiquetée Dorha, se lève et contourne le bureau pour s’emparer arbitrairement de la valise et guider la cliente intimidée vers un long couloir carrelé, ponctué de portes à hublots. Dans un français haché, elle explique à Fanchette que la porte du fond permet d’accéder au Jacuzzi et aux cabines sauna, s’inquiétant du port d’un maillot de bain que celle-ci est soulagée d’avoir glissé au dernier moment dans le vaste sac à main qui complète sa panoplie de voyageuse. Puis Dorha opère un savant demi-tour pour remonter jusqu’à une des portes latérales, marquée vestiaire 2, ouvrant sur une pièce divisée en trois secteurs : en face, un plan à double vasque séparées par un monticule de serviettes mousseuses, des flacons géants de produits, quelques étagères contenant du linge.
À droite, une entrée mène aux toilettes,aussi vastes qu’une salle de bain.
À gauche, le vestiaire porte bien son nom, évoquant les installations de n’importe quelle salle de gymnastique : un banc de bois latté séparant d’un côté deux douches fermées par des portes de verre, de l’autre des placards de consigne, emboîtés les uns aux autres, munis de leur serrure individuelle. Fanchette reçoit la clef de celui qui lui est dévolu, navrée de constater que sa valise n’y entrera pas. Tout juste pourra-t-elle y pousser son cabas-sac-à-main, en tassant un peu. Mais dans un tel endroit, qui viendrait voler quoi que ce soit ?

Restée seule, Fanchette entreprend de répondre aux consignes de Dorha, du moins à ce qu’elle en a compris, tant la prononciation de la jeune femme laisse place à une large interprétation. Elle n’a besoin que de quelques minutes pour enlever et ranger ses effets, arpenter trois fois l’espace, regarder les étiquettes des produits, s’inquiéter de prendre une douche, ce qui signifie quand même se glisser nue derrière ces portes transparentes. Le calme souverain de l’endroit, l’impression d’y avoir été oubliée l’emportent sur ses hésitations et Fanchette se décide d’un coup, appréciant le soulagement de se délester de ses sueurs inopportunes.

Dorha passe enfin la tête par la porte et manifeste son étonnement de ne pas avoir trouvé sa cliente dans les délices du Jacuzzi. Fanchette comprend qu’elle n’a pas suivi le protocole et s’en navre, mais Dorha la rassure, elle pourra profiter plus tard de ces services, et la voilà qui introduit Fanchette dans une nouvelle pièce très sombre. Au fond, derrière une rangée de bougies allumées, elle distingue une vasque sur un plan chargé également de flacons. À droite de la vasque, un meuble roulant porte également de nombreux pots et bouteilles de toutes tailles. Au centre de la chambre étroite s’étend une table rectangulaire, tendue de serviettes moelleuses. Un espace à été aménagé dans le plan de la table pour permettre le passage du nez comme le mime Dorha, que Fanchette commence à mieux comprendre… Tandis qu'elle s'habitue autant à la demi-obscurité qu'à la prononciation de la jeune femme, elle perçoit le paquet que lui tend la jolie masseuse : un string jetable, à enfiler avant de s’allonger sur la table centrale. À cet instant, Fanchette se sent très à l’aise, elle a complètement oublié toutes ses timidités et inhibitions qui l’ont si longtemps freinée. Elle se laisse tout simplement guider, décontractée, décidée à profiter au mieux du moment. Dorha opère en silence, après lui avoir proposé un produit odorant que Fanchette accepte bien volontiers. Quelque part dans le noir, des hauts parleurs diffusent de manière assourdie une musique exotique « japonisante », rythmée de sons aigus évoquant le choc de bambous, de mélopée lointaine à capella, de flûte de pan trahissant le souffle humain… Une torpeur maligne s’installe dans ses reins, et Fanchette se dit qu’elle doit réagir sous peine de sombrer dans une sieste incongrue, entre les mains de cette inconnue.
C’est ainsi que Fanchette apprend que Dorha est Balinaise, qu’elle vit en France depuis cinq ans mais que « c’est dur de s’habituer » malgré l’amour de son mari, parce que ce monde-ci est si différent : « pas beau toujours le ciel…, pas manger comme aime…, pas gentil se parler dans la rue, avec trop escaliers pour métro… «
Eh bien, Douce France, que fais-tu pour aider tes invitées à s’adapter ?
Dorha poursuit sa tâche, lentement, elle explore chaque parcelle du corps de Fanchette, roulant au fur et à mesure la vaste serviette qu’elle a disposée pour recouvrir le corps de sa patiente, ne parlant que pour répondre aux questions posées, à mi-voix, sans hésitation mais sans chercher à prolonger la conversation. Du cou aux fesses chaque centimètre de peau est enduit d’essence grasse et parfumée, palpé, roulé, caressé, recouvert… Puis la masseuse s’intéresse aux pieds, sépare les orteils, massant chacun d’eux, la plante des pieds, elle remonte ensuite le long des jambes, des cuisses, c’est délicieux, humm…, enfin, elle demande à Fanchette de se retourner afin d’entreprendre la face B… Les paupières lourdes, Fanchette accomplit la rotation demandée avec un effort, tant elle se sent éthérée, elle doit mobiliser sa volonté pour obéir à la demande courtoise de sa tortionnaire … À nouveau, les mains expertes entreprennent de parcourir l’étendue charnelle de ses mouvements relaxants, insistant sur les muscles autour du cou, frôlant habilement les seins d’un palper rapide et superficiel, chorégraphiant un ballet vaporeux sur son abdomen, reprenant comme une vieille antienne la friction du derme des cuisses… Cette fois, Fanchette se laisse manipuler sans vergogne, acceptant voluptueusement l’abandon qui la gagne…


Revenant à elle-même sur l’invitation de la sybaritique soigneuse, Fanchette saisit l’invitation pressante de Dorha à user du Sauna et des services annexes… Définitivement débarrassée de ses complexes, elle revêt alors le maillot de bain extirpé du bagage à main, grimaçant à la désagréable sensation provoquée par le collage du tissu sur sa peau encore huilée. Elle a bien eu un mouvement vers la douche cachée dans la salle de massage, mais Dorha l’a dissuadée en hochant sa gracieuse figure :
- Non, Sauna plus efficace sur peau avec essence…
- Ah bon.… Mais Fanchette se sent à nouveau poisseuse et le contact du peignoir que l’onguent plaque sur sa peau annule le bien-être antérieur.
La porte de la première cabine laisse filtrer plusieurs bruits de voix féminines. Fanchette, version glue, ne se sent plus l’humeur sociable et décide de se retrancher dans la seconde cabine au silence prometteur. Juste devant la porte d’accès, un cadre de bois délimite un plateau sur lequel de gros galets rougeoient. Latéralement, une banquette de lattes nues invite à s’asseoir tout près du foyer, tandis que le troisième mur de la petite cabine est occupé de deux autres couches en gradin. Pour le moment, Fanchette est ravie de sa solitude, d’autant que la chaleur intense qui émane des cailloux incandescents libère une abondante vague de sudation.
- Beurk, soupire notre exploratrice, c’était bien la peine, je suis en train de tartiner mon maillot avec cette mayonnaise !
Considérant l’épais silence qui colmate l’atmosphère du réduit, Fanchette se dit qu’elle quitterait bien ce voile de fibres acétates pour limiter la sensation de cuisson à l’huile. Ni une ni deux, je suis seule, ça peut gêner qui ? Hop !, elle fait glisser le maillot une pièce à ses pieds et se réinstalle sur la serviette- éponge dont elle a recouvert la banquette. Elle finit par s’allonger totalement, maugréant un peu contre la rudesse du support et l’absence de coussin pour caler sa tête.
C’est alors que son esprit la visualise dans sa position, telle qu’elle est couchée, nue, pubis à l’air et ventre offert, une alarme retentit dans sa tête :
- Il n’y a pas de loquet sur la porte, n’importe qui peut…
En un quart de tour, la voilà enveloppée dans l’éponge de sa couche, le maillot rejeté à côté. Il était temps ! À peine venait-elle de glisser le petit coin supérieur d’étoffe contre la peau de son sein droit que la porte s’ouvre brusquement et qu’entre un homme ruisselant de la tête aux pieds, à la nudité normalement protégée par un caleçon de bain…
Impossible pour Fanchette de rougir plus qu’elle ne l’est… Elle bafouille après un bonjour tremblotant :
- Euh, je ne savais pas, enfin, est-ce que cette cabine est réservée aux hommes ?
- Sorry, I don’t understand, répond courtoisement l’intrus.
- Oh yes, I mean, I did’ nt know that this cabin was reserved for men …
L’inconnu entreprend d’expliquer qu’à sa connaissance, il n’y a pas de distinction de sexes dans l’usage des saunas, avant de se lancer dans une suite de compliments sur la chance d’être française, « car votre civilisation repose sur une véritable histoire, alors que nous à Dubaï, nous ne sommes rien, que des bergers et des nomades sans passé ni architecture… »
Fanchette est tellement soulagée par la tournure de l’aventure qu’elle lutte désespérément contre le fou rire qui remonte de son ventre vers sa glotte et elle saisit à pleins rameaux la perche tendue pour s’extasier poliment et décemment à son tour sur les exploits des bâtisseurs modernes qui offrent à Dubaï une renommée internationale…
S’appliquer à choisir ses mots en anglais sauve la face de notre héroïne. De temps à autre, le fragile nœud de la serviette se relâche, et il lui faut une véritable maîtrise d’elle-même pour glisser les doigts dans l’épaisseur de l’éponge et resserrer le tissu félon sans perdre son interlocuteur des yeux et poursuivre cet échange diplomatique sur les valeurs respectives des deux civilisations. Le temps passe, Fanchette est enfermée dans l’antichambre de l’enfer depuis un bon moment, et ne voit plus très bien comment rompre là l’échange roboratif de courtoisies, afin d’effectuer une sortie digne sans dévoiler qu’elle ne porte rien sous sa serviette. Heureusement, le sort est indulgent pour elle en ce vendredi, et la porte s’ouvre à nouveau pour laisser entrer un second client du prestigieux hôtel. Le nouveau venu se glisse illico dans la conversation, lui vient de Dublin et la vieille Europe il connaît bien, il connaît également le monde arabe, fréquentant Riad et les Saoudiens…
- Ouf ! songe rapidement notre évadée campagnarde, voilà l’instant propice !
Ramassant promptement le petit chiffon de nylon noir qui gît au fond de la banquette, elle formule un petit discours d’évasion :
- Whew! It’s enough for me, I am very pleased to have met you. I hope you will enjoy your staying in Paris .…
Les mots ont à peine le temps de franchir ses lèvres qu’elle pousse déjà la porte fatale et rejoint l’atmosphère humide de la salle au jacuzzi. Les spasmes de rire nerveux qu’elle est parvenue à contenir retrouve le chemin de la sortie quand, hilare, elle se glisse dans la cabine de douche attenante.

Fanchette au bain… Fanchette se dévergonde… Fanchette l’exhibitionniste de l’hôtel Hilton a encore frappé… Fanchette à la conquête des mœurs de la Capitale, quelle expérience !!!




06/03/2008

Le Mieux est l'ennemi du Bien

Surprise du jour, c’est pas raté !!!

Par cet hiver si doux, voilà un bon moment que les arbres fruitiers sont en fleurs dans notre belle vallée… Nous avons même dégusté les premières asperges produites par notre maraîcher local la semaine dernière. Le retour d’un froid relatif nous vaut bien l’inconvénient de ressortir les pulls, pas encore rangés au fond de l'armoire. Rien d’affolant en ce début Mars, néanmoins, certains producteurs de fruits ont manifestement redouté le regain des gelées matinales sur leur verger.

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Peut-être savez-vous qu’il existe un dispositif assez simple pour protéger les arbres en pleine floraison quand s’annonce un épisode glacial. Il consiste en une pulvérisation d’eau au moment du petit jour, l’écoulement continu du jet évitant la prise instantanée du gel sur les pétales, ou pire, sur les fruits en formation.

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Au réveil ce matin, la température sur la fenêtre de la cuisine avoisinait les 4°, ce qui représente un petit zéro au milieu du jardin. Nous sommes descendus un peu plus tard en ville, et la température extérieure affichée par l’ordinateur de bord s’élevait déjà à 6 °. Encore frisquet en milieu de matinée, mais le soleil voilé promettait de doubler la mise d’ici deux heures. Nous abordons donc la départementale qui mène au centre ville, quand mon regard se fige sur l’aspect spectral du verger que longe notre route. Le temps que j’interpelle mon chauffeur pour signaler cette étrangeté, nous étions passés. GéO, vous le savez, n’est jamais en retard pour s’informer et nous rebroussons chemin au premier rond-point, pour constater que je ne me suis pas trompée : une gangue de glace a saisi les branches des arbres au milieu du verger, formant des stalactites impressionnantes et destructrices…

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Vous pouvez le constater, les dégâts sont considérables, les branches cassées nombreuses, et comme je n’ai pris les photos qu’après notre retour, vers midi, entre-temps la température ambiante avait atteint alors les 10 ° et la fonte des glaçons était avancée. L’effet général est donc atténué, mais sans doute serez-vous comme nous atterrés pour ce malheureux arboriculteur, qui n’imaginait pas à quel point son dispositif déclencherait la catastrophe. Inutile de préciser que partout ailleurs, les arbres ont bonne mine et ont résisté sans difficulté au friselis du gel matinal.

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Eh oui, le progrès est parfois bien …redoutable, le Mieux est l’ennemi du Bien, merci à ma grand-mère de m’avoir enseigné ce début de sagesse…

09/11/2007

Lumière du matin sur Porquerolles

Le clapot léger troue doucement la voie royale de mon sommeil, sans rompre immédiatement mon rêve.
À ma gauche, je perçois sa place vide et fraîche. Il est déjà levé. Un mouvement, déplacement imperceptible de son poids sur le pont au- dessus de ma tête impulse une brusque envie de le rejoindre, d’autant que le soleil darde brusquement un jet de lumière sur mes paupières, à travers la vitre embuée du hublot. Il n’est pas encore six heures, mais en ce samedi de mai, l’astre du jour a déjà surmonté la colline qui garde la petite cité insulaire.
M’emparant du mug de café qu’il a préparé, je traverse à pas de plume le carré, évitant tout bruit susceptible de réveiller nos invitées, et je grimpe à mon tour sur le cockpit. Comme je l’avais pressenti, il se tient à l’avant du bateau, le Fuji dans la main droite… De l’autre main libre, il m’accueille d’un geste ample pour m’amener à embrasser la tranquillité de la baie. Pas besoin de mots, en effet, devant ce royal lever …
Les navigateurs alentour sont enfin rendus au silence de leur tardif endormissement et ne goûteront pas la lumière dorée qui nous enveloppe et irradie notre bonheur. Ni nos demoiselles qui dorment encore d’un juste sommeil, nous l’espérons, après ces harassants mois d’hiver dans les brumes urbaines. Elles nous sont arrivées exténuées, agacées, vampirisées par toutes les exigences de leurs vies professionnelles, leurs espoirs toujours repoussés, l’exacerbation d’un avenir qui tarde à éclater… Leur bonheur fuit le quotidien, à force de formatage et d’urgences.
Ma joie de ce matin, c’est de les savoir là, dans l’étroite cabine, abandonnées à la vacance du week-end, isolées des tracas, leurs consciences flottant peut-être sur les effluves mêlées d’eucalyptus et du champagne de la veille. Ma joie de ce matin, c’est de me réveiller avide de partager ce petit moment où nous sommes seuls debout sur ce pont suintant encore l’humidité nocturne, café matinal SUR la mer. Tandis que la baie s’illumine doucement sous la lumière translucide et crue, l’eau se ride à peine au passage d’un pointu glissant vers le large. Pendant cette demi-heure cadeau, nous sommes seuls éveillés sur ces pannes, jusqu’à l’envol d’une mouette qui ébroue le paysage. Suivant des yeux son parcours, nous découvrons la silhouette d’un promeneur solitaire quittant la jetée. Fin du Moment Magique.
Dans un instant sans doute, nos filles vont se lever, la parole nous reviendra, les gestes habituels s’enchaîneront et la journée sera belle. Un léger tangage indique que quelqu’un a bougé en bas, dans le carré.
- Tiens, dit-il, il est presque sept heures, je vais voir si je nous trouve des croissants chauds …

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