L'Arc en ciel blanc (13/07/2014)
Ce recueil remarquable comporte quatre récits écrits entre 1953 et 1964. Ce sont de longues nouvelles à l’écriture sobre et efficace, et qui ont en commun le poids de l’inexorable qui pèse sur la destinée.
L’arc-en-ciel blanc, qui donne son nom au recueil, est la plus ancienne de ces nouvelles. Il y règne une atmosphère particulière, à la limite du fantastique. Toshisuke a épousé Ayako, beaucoup plus jeune que lui. Immédiatement, il a compris que sa femme n’était pas prête à accepter les relations conjugales. « Leurs corps ne se touchaient pas beaucoup plus. Pour sa part, il n’essayait jamais d’aller vers elle.
Cette relation bizarre était liée à sa réaction lors de la première nuit…Ce soir-là, à l’instant où son mari l’avait touchée, Ayako n’avait pas caché sa violente aversion. »
Toutefois, depuis quelque temps, Toshisuke observe que le comportement d’Ayako se modifie. La nuit, elle semble vivre un rêve éveillé, prétend entendre sa mère décédée, puis elle semble malade. Toshisuke s’inquiète, et l’on pressent sa tendresse à l’égard de sa jeune femme. « Il pensa qu’il venait de goûter pour la première fois depuis leur mariage un sentiment de couple. » Peu après, la jeune femme en vient à avouer le viol dont elle a été victime peu de temps avant leur mariage. Difficile moment pour un couple que celui où cet aveu se révèle lourd de conséquences. Mais Toshisuke assume cette paternité honteuse :
« L’acte impulsif d’un homme (…)…Voici ce qui était à l’origine de tout. De plus, le corps de sa femme n’avait gardé que les conséquences de l’acte de cet homme. L’existence de Toshisuke en tant qu’époux n’avait pas de prise sur ce corps.
Le bébé s’imposait majestueusement dans le couple. Il tétait le sein d’Ayako, Toshisuke le changeait.
Toshisuke chaque soir glissait la bouillotte dans le lit du bébé. Et lui, avec ses jambes toujours glacées, avait le plus grand mal à s’endormir. » (Page 28)
Puis on apprend la mort accidentelle du Bébé. Un procès a lieu dont Ayako est acquittée. Mais le couple sortira-il de cette épreuve ?
Un été en vêtements de deuil (1958) nous entraîne à la suite de l’orphelin Kiyoshi dans le jardin de la maison où sa grand-mère l’héberge. Outre les poules et la domestique de l’aiëule, nous découvrons également sa petite compagne Tokiko et sa mère hébergées dans une resserre à l’écart de la grande maison. Un mystère plane sur les relations de tout ce petit monde, mais il est évident que tous dépendent de cette grand –mère immobile. Une nuit, Kiyoshi est réveillé par des bruits bizarres. Dominant sa peur, le garçonnet explore l ’immense couloir et découvre une trappe menant à une cache… Grand-mère est-elle si malade ? Son père est-il vraiment mort ?
Le troisième récit, étoiles et funérailles (1960) met en scène Jirô, le garçon qui aime beaucoup les enterrements. Jirô est un peu simple d’esprit, mais nous comprenons pourquoi il n’en manque aucun, et se montre tellement scrupuleux sur le déroulement du rituel. On pourrait même le croire très malin, ce Jirô qui vit seul avec sa mère mal aimante. Mais dans le voisinage de Jirô vit Tokiko, pauvre gamine totalement perdue avec son bébé sur le dos. Tokiko est plus malheureuse que Jirô, alors celui-ci n’écoute que son cœur et tente de l’aider. Comment Tokiko perçoit-elle les avances de Jirô ? Incompréhension, maltraitance, inceste et solitude sont les seules vertus promises à ces représentants du petit peuple. Cette nouvelle magnifique me semble la plus désespérée des quatre récits.
Ce sont encore des enfants aux corps maigres, Kiyota et sa sœur Hisae, qui essaient de lutter contre une fatalité. Ce n’est pas la misère qu’ils veulent contrer, par une nuit étoilée, en fuyant la société de recherche close par un Mur de brique ( 1964) où ils demeurent depuis que leur mère s’est remariée avec ingénieur. Oh, ce n’est pas qu’il n’apprécie pas le beau-père, au contraire, ils sont appris à lui être reconnaissants de veiller à leur éducation. Mais en vivant sous son toit, ils ont découvert ce qui se trame dans cette entreprise … Et malgré leur jeune âge, ils ne peuvent accepter ce qu’ils ont découvert. Seulement voilà, peut-on sauver quelqu’un malgré lui ?
J’ai beaucoup aimé la poésie de cette dernière nouvelle, moins désespérée que les récits précédents. Poignant comme l’Arc en ciel blanc, où presque cynique dans Étoiles et funérailles, l’univers de Akira Yoshimura dresse un état de la société japonaise qui étreint par la profonde misère morale autant que matérielle qu’il dépeint. Cette œuvre sombre offre cependant une poésie du dénuement, non comme une fin en soi, mais comme regard sur les êtres faibles et leur manière de se débattre, cette découverte mérite le détour.
L’Arc en ciel blanc
Akira Yoshimura
Actes Sud (2012)
ISBN :978-2-330-00617-4
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