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29/03/2014

Le port intérieur

Habituellement,   je fuis les quatrièmes de couverture, ces exergues publicitaires qui servent à hameçonner nos envies, parfois malhonnêtement voire grossièrement. Cette fois, heureusement que  l’édition Mdouble (version poche de chez Minuit) donne un large aperçu de l’intrigue pour permettre au lecteur de s’y retrouver, et lui éviter une noyade prévisible dans le dédale marécageux de l’écriture Volodienne! Pourtant, honnêtement, ce roman ne manque pas d’intriguer.  Si l’on éprouve de temps à autre le besoin de faire le point, (merci  donc à la 4e de couv), l’intérêt du récit l’emporte, et l’on s’accroche, on poursuit le récit malgré soi, en quête du sort final réservé à Gloria et Breughel.

Reprenons donc depuis le début : trois personnages (Machado, Breughel et Gloria Vancouver) ont fui une nébuleuse organisation toute-puissante nommée tantôt le Parti,   ou le Paradis. Cette fuite, à valeur de trahison, se double du larcin d’une grosse somme, ce qui implique pour les fuyards la certitude d’être recherchés et exécutés sans pitié. Fuyant l’Occident (territoire indéterminé), les amants Breughel et Gloria sous la protection de Machado, mercenaire, homme de main du Parti, lui aussi en rupture de ban, trouvent refuge en Asie, à l’abri d’une fausse identité. Ils échouent à Macau,   alors indépendante de la République Populaire de Chine, où le mode de vie mêle étroitement les vestiges de l’occupation portugaise et les traditions chinoises. D’emblée, nous savons que Machado a trouvé la mort, que Gloria  a perdu la raison et que Breughel n’a plus qu’un but : protéger cette femme qu’il aime malgré sa folie et faire en sorte que les exterminateurs à leurs trousses ne puissent la découvrir.

À ce jeu, Volodine se révèle très habile. Efficace, la construction du récit devient un dédale entre les rêves, les cauchemars, les récits dans le récit qui noient la réalité dans les brumes étouffantes du port. La qualité première du récit repose sur le rendu de la touffeur malsaine du territoire, la chaleur humide, les cafards colonisant la masure où vit  Breughel, la sueur exsudant des corps en permanence, la tension extrême des situations jusqu’à la levée de la tempête des derniers chapitres : «  Le vent projetait avec force des morceaux de nuit contre la porte. «  ( Page 151)

D’un chapitre à l’autre, la voix du narrateur alterne les personnages, les lieux, les moments du récit. Entre les rappels des événements, les traductions des cauchemars que les personnages subissent, la volonté de Breughel de construire une fausse vérité pour tromper l’ennemi qui les chasse sans relâche… Volodine nous prévient d’entrée :

«  La bouche tremble. On voudrait ne plus parler. On aimerait rejoindre l’ombre et ne pas avoir à décrire l’ombre. Le mieux serait de s’allonger dans l’amnésie, à la frange du réel, les yeux mi-clos, et d’être ainsi jusqu’au dernier souffle, momifié sous une pellicule trouble de conscience trouble et de silence.

(…)

Un homme est là, très près, attentif à ce qui émerge. Il menace, il écoute. Il menace de nouveau, il écoute. On essaie d’éviter son regard. Toutefois, si les lèvres tremblent, ce n’est pas dans la crainte de la douleur et de la mort. C’est plutôt le vieil instinct du bavardage qui les agite. On a trop longtemps cru que parler tissait quelque chose d’utile sur la réalité, dans quoi on  pouvait s’envelopper et se cacher, quelque chose de protecteur. Parler ou écrire. Mais non, S’exprimer n’aide pas à vivre. On s’est trompé. Les mots, comme le reste, détruisent. » (Page 9)

Dans cette réalité mouvante où la vérité ne se démêle pas de l’imaginaire, nous nous attachons à comprendre les liens liant si passionnément et définitivement  Breughel, le personnage principal, à Gloria.  Le seul personnage féminin du roman paraît infiniment mystérieux, insaisissable autant que son absence :

« Gloria est là. Tu erres parmi les arbres et elle est là. Ses longs cheveux noirs touchent ton épaule, elle existe à côté de toi, tu lui saisis la main, le poignet, elle se dégage, elle te parle. Elle a une voix épuisée par l’absence. « ( Page 140).

Malgré l’éloquence de cette langue poétique, il faut bien avouer que les effets de     (dé) construction multipliés et répétés à l’envi finissent par lasser mes capacités de  concentration. Certaines trouvailles deviennent des tics de langage, et alors leur portée s’amoindrit, puis le procédé finit par déranger. Ainsi cette élision des fins de phrases, qui éblouit d’abord  comme une évidence, tellement on peut y reconnaître l’expression d’une lassitude :

«  Quel Paradis interrogea  Kotter.

Vous, dit Breughel. Ceux qui vous envoient.

Ah, dit Kotter, c’est comme ça que. » ( Page 11)

À force de rupture du flux que produisent ces phrases tronquées, le mécanisme du récit se grippe, expose  ses rouages, et le lecteur se sent joué, floué. La poésie s’évapore, reste tout de même une écriture forte malgré ses maladresses, ou grâce à elle, allez savoir. Pour ma part, je regrette le parti pris  démonstratif systématique. Malgré mes réserves, Ce port Intérieur possède une empreinte  particulière  dans le paysage romanesque.

 

antoine volodine, le port intérieur, roman post exotisme, littérature contemporaine

 Le port intérieur

 

Antoine Volodine

Mdouble ( Minuit poche) Septembre 2010

 Sorti initialement chez Minuit en 1995

ISBN : 978-2-7073-2121-3