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20/11/2008

Marseille

Nous étions ce dimanche en virée tourisme à Marseille…
Point de départ de notre balade, la visite, en compagnie de Simone, de l’exposition consacrée à Van Gogh et Monticelli.
C’est apparemment le thème à la mode cette année, la mise en parallèle d’œuvres picturales… Pourquoi pas, le concept est intéressant, souligner les influences que les artistes se choisissent, j’y trouve matière à réflexion et honnêteté intellectuelle, car à tout prendre, les fameux critères d’originalité et de création ex-nihilo sont absurdes. Personne n’est vierge d’éducation, tout apprentissage passe par l’imprégnation. Cessons d’enfoncer les portes ouvertes…
Donc à Marseille, au sein de la Vieille Charité, monument illustre et admirable, comme vous allez en juger sur les photos ci-jointes, nous pouvons profiter jusqu’au 11 janvier 2009 de la confrontation entre certaines œuvres de Van Gogh et les toiles d’un Maître marseillais quasi inconnu, Adolphe Monticelli. Van Gogh, tout le monde connaît ou croit connaître, le peintre maudit, ses tournesols et l’autoportrait de l’homme à l’oreille coupée… C’est un peu court, chacun le reconnaîtra, mais parfois, il faut faire bref.
Adolphe Monticelli était son aîné, en âge comme en peinture. Pourquoi n’est-il pas davantage apprécié ? Peut-être parce qu’il a eu l’heur et le malheur de ne pas entrer dans la catégorie des artistes maudits, condamnés à l’alcool, la misère, les scandales et les affaires de mœurs… Allez savoir. Toujours est-il que l’œuvre mérite d’être redécouverte et appréciée et je vous invite, heureux méridionaux ou touristes de passage à porter vos pas dans le Panier, ce quartier de l'illustre cité qui domine le vieux Port.
C'est par la correspondance échangée entre Théo et Vincent Van Gogh que le lien avec les oeuvres de Monticelli est établi. Vincent a maintes fois souligné son intérêt et son admiration pour la matière généreuse et la lumière qui émane des sujets traités par le peintre marseillais, élevé sur le plateau de Ganagobie où il s'est imprégné des couleurs éclatantes et contrastées des paysages de Haute Provence. Il semblerait que cette fascination ait poussé Vincent à s'établir dans le sud, afin de puiser à cette source lumineuse.
Monticelli( 1824-1886), de son côté, s'était préalablement enrichi au contact de confrères inspirés par la nature et avait fréquenté les tenants de l'école de Barbizon adeptes des chevalets plantés en pleine nature… Arrivé à Paris en 1849, il a été élève de Delaroche, avant de rencontrer Ricard, Corot, Troyon, Daubigny, Manet, Courbet ou encore Guigou. Ce qui permet d'imaginer le foisonnement créatif de cette période, la recherche de l'expression non pas seulement figurative mais émotive de la nature et la naissance d'une vision picturale plus imprégnée de matière au service du relief et de couleurs contrastées au service de la luminosité. En 1870, Adolphe rencontre également Cézanne, et le traitement de leurs palettes ne manque pas d'intérêt.
Théo est le premier des frères Van Gogh à s'intéresser aux toiles de Monticelli. Il en achète très vite six d'entre elles, dont la remarquable femme au puits qui figure à l'exposition actuelle. Sans en dévoiler le charme, je soulignerais simplement que le traitement des contours est exemplaire dans ce tableau…Comme s'il était myope, Monticelli néglige le trait pour privilégier une touche déjà impressionniste. Tout autre est l'impression qui se dégage de ses nombreux bouquets chatoyants, aux contrastes rutilants. Les marines témoignent de son exploitation des touches fortes, au relief accentué. Pour ce travail admirable, je ne saurais trop vous engager à vous rendre sur place, ou à découvrir ce qui peut l'être sur les sites accessibles:
http://www.associationmonticelli.com/artiste/artiste.html

Il existe également un article wikipédia consacré à Adolphe Monticelli:wikipedia.org/wiki/Adolphe_Joseph_Thomas_Monticelli

et naturellement le site de la mairie et son service culturel:www.marseille-tourisme.com/fr/a-marseille/que-faire/van-gogh-monticelli/


Comme il ne saurait être question de photos des tableaux, vous en comprendrez la raison, je ne suis pas chienne et vous offre en contrepartie quelques vues du dôme de la vieille Charité, ancien hôpital, hospice disait-on à l’époque où il fallait être religieuses pour prendre en charge les misères de la condition humaine…

Au coeur d'une cour rectangulaire bordée d'arcades sur trois étages se niche une curieuse coupole de forme oblongue, dont je vous livre ce soir quelques clichés.

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Vous voilà alléchés, je n'en doute pas, par cette merveille architecturale due à l'architecte Pierre Puget, réalisée à partir de 1671 et achevé en 1749. C'est plus long qu'une vie d'homme et je ne sais si Puget a pu contempler l'ensemble de la réalisation, dont la destination était de "renfermer dans un lieu propre et choisi les pauvres natifs de Marseille". L'énoncé du projet date de…1640, le croiriez-vous? Ce XVIIème siècle nous épatera toujours, on y trouve aujourd'hui ce germe de logement social, comme on dirait aujourd'hui. Enfin, il y est question d'enfermement, la gestion d'antan est pudique, on cache .
"Faut voir quand même la gueule du HLM" , aurait dit le regretté Coluche…


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Plus de renseignement sur la Vieille Charité et le quartier du Panier sur :
www.marseille-tourisme.com/fr/a-marseille/que-faire/marseille-ville-d-art/la- vieille-charite/

13/11/2008

Bolets à toutes les sauces…

Revenons à nos bolets, dont GéO souligne la sortie tardive. Mais la douceur persistante et l’humidité ambiante, relative ici comme toujours, suffisent sans doute à expliquer cette récolte inattendue.
L' espèce de champignons la plus commune ici , et la plus recherchée, n'a rien à voir avec l'objet de nos explorations. Ce sont les lactaires délicieux, surnommés sanguins, mais nous n' en sommes pas très friands, bien que les provençaux clament leur qualité gustative. Ils sont souvent préparés en conserve, avec du vinaigre et des herbes, ce qui leur confère une consistance caoutchouteuse et une saveur saponite, nous préférons les laisser pour les véritables amateurs .

Nous nous concentrons donc sur les bolets. Faute de trouver les trop fameux « cèpes de Bordeaux », dont nous avons recueilli un seul exemplaire il y a trois ou quatre ans, nous nous rabattons sur d’autres sous-espèces de bolets qui restent assez goûteux quand ils sont préparés convenablement :

Bolet blafard 1 JPG.jpg bolet blafard

<strong>Bolet blafard</strong> 3.jpg
: en coupe, on distingue bien le bleuissement instantané de la chair, dès qu’il y a blessure ou coupure. C’est assez impressionnant.


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les bolets subtomenteux : ce sont ceux que nous trouvons le plus fréquemment ici, dans le jardin en particulier. À noter le pied ventru et veiné de rouge, assez facile à identifier.

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: le bolet de satan, assez reconnaissable par sa couleur . Ceux –ci viennent de la région, mais ils semblent bien plus rares.

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Ceux-ci ont été répertoriés par GéO comme Bolet Quelet. Leur pied est moins renflé et plus lisse que celui du subtomenteux.

Reste encore le bolet du Loup que nous avions également repérés sur le plateau de Fox Amphoux:
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Pour clore ce petit aperçu de nos cueillettes locales, petit panorama de notre provende:

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12/11/2008

Champignons…

L’automne ici s’installe posément, il s’octroie des étapes, dresse son décor à touches furtives. Les jaunes timides des plants de vignes ont achevé de virer au roux alors même que les ceps se dénudaient. Le mûrier platane sur la pelouse pleure encore son feuillage, à larmes comptées, sans ardeur. Les brouillards matinaux ne sont porteurs d’aucune gelée, et si GéO a rentré nos monstrueuses plantes d’intérieur avant son départ pour la Seine et Marne, aucune urgence ne gâte la floraison du Datura au bout de la piscine. Mais sous un bouquet de chêne vert, j’ai trouvé hier un bolet tout rond, chamois au pied veiné et ventru, qui me faisait de l’œil. Du coup, nous sommes partis en chasse dans la colline.

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Mais il est difficile de partir en promenade sans nos deux pensionnaires.
Nous voici donc sortis du sentier pour visiter un peu le maquis qui s’étend derrière les maisons, sans pousser notre exploration trop loin car les chasseurs locaux observent une curieuse coutume : ils font entendre leurs armes dans le couvert le matin de très bonne heure, respectent la trêve de la sieste, puis ils reviennent à l’heure des vêpres, quand les enfants quittent l’école et que le jour commence à décliner. Il y a là une logique qui m’échappe, mais le fait est récurrent et nous surveillons nos chiens du coin de l’œil tout en fouillant du regard, entre les pieds des cistes, le sol tapissé de feuilles mortes et de bouquets de thym.

Alors que quelques spécimens de bolets ballottent déjà dans mon pochon, nous sommes avertis d’une rencontre imminente par le tintinnabulement de clochettes qui semble monter vers nous. Copain et Zuco tournent autour des maîtres depuis le début de la balade, plus préoccupés de nous garder groupés et de humer profondément les touffes de plantes sauvages qui leur racontent sans aucun doute bien des nouvelles du maquis. Le temps de réaliser que les grelots appartiennent sans doute à d’autres chiens baladeurs, voilà deux superbes lévriers afghans qui franchissent le sommet du sentier et descendent élégamment dans notre direction. Immédiatement, nous poussons chacun notre cri de ralliement :
- Zuco, aux pieds! crie GéO
- Copain ici ! crie ma voix…
Que croyez- vous qu’il arrive alors?
Zuco, docile, entreprend tout de suite un demi-tour sur sa trajectoire… Et Copain, victime brutale d’un accès de surdité, se laisse emporter par sa curiosité, apparemment bien indifférent à mon autorité naturelle. Le sifflement impératif du maître ne produit pas davantage d’effet sur son désir de sociabilité…
- Allons saluer ces nouveaux amis, se dit-il, peu soucieux de répondre à nos appels.
Dans l’autre camp, les réflexions ont certainement la même nature, car les deux échalas aux pelisses immaculées exécutent un démarrage immédiat parfaitement synchronisé. Copain est impressionné, il infléchit instantanément sa course et prend momentanément la tête du train, objectif FUIR. En un éclair, les trois canidés ont disparu de notre champ de vision, nous laissant pantois devant le maître joggeur un peu lent pour ses chiens turbos.

Le joggeur s’excuse, il n’imaginait pas…Nos appels restent vains évidemment, il faut donc suivre le convoi, malgré notre retard avéré. GéO reste en arrière-garde, accompagné du fidèle Zuco … Toujours armée de mon pochon à champignons, j’embraie sur les traces du coureur de maquis et nous remontons le sentier en suivant la direction approximative du premier convoi. Le Joggeur se montre plus véloce, il accélère et me laisse rapidement en arrière. Au débouché de la fourche, il m’attend toutefois pour me signifier qu’il a entrevu une ombre noire sur le chemin de gauche et qu’il pense que c’est mon ratier. Ses champions ont poursuivi vers la plaine qui rejoint le versant de Seillon, droit devant. Ouf, Copain le malin a réussi sa diversion et bifurquant vers les maisons et le parcours habituel qu’il connaît bien.
D’ailleurs, je remonte cette allée depuis quelques secondes à peine quand j’entrevois au loin la petite boule noire qui galope ventre à terre dans ma direction… Il a eu si peur qu’il me saute dans les bras, et passe le reste de la promenade à sauter sur mon ventre, implorant du regard la protection de l’embrassade maternelle. Je ne sais qui a eu le plus peur de nous deux, mais je crois bien que notre Copain a reçu hier une petite vaccination anti-fuite…

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10/11/2008

À quel prix ?!

Dans moins d’une heure, enfin, On saura…
On saura qui a mérité cette année Le Prix Littéraire tant convoité.
On a beau savoir que l’enjeu véritable de la déclaration rituelle réside dans la guerre économique entre Grands Éditeurs, que tout est arrangé au cours de tractations où les œuvres des postulants n’ont pas le premier rôle, On imagine quand même, On voudrait croire que… Si, un peu quand même, Le Goncourt doit récompenser un écrivain débutant, un écrivain qui percevra la modeste rétribution et l’immense gloire qui lui est attachée pour pouvoir s’investir à fond dans sa vocation sans être obligé de partager son précieux temps dans l’exercice d’une profession nourricière.

Alors, cette année, je vois un véritable écrivain complètement débutant, qui mériterait bien l’obtention de ce fameux prix. Il existe, ce cas rarissime de postulant Goncourt, édité chez un des Grands ( Gallimard), il a beaucoup d’atouts en main ce Jean-Baptiste Del Amo, avec son éducation libertine. Dès le mois d’août dernier, les magazines littéraires l’ont remarqué et quasi sacré… J’ai dû attendre quinze jours pour que ma libraire locale se procure la seconde édition de l’ouvrage, et j’ai entendu nombre de critiques vanter la richesse de cette prose toute neuve. Oui mais voilà, entendu ce matin ce commentaire sur France-Inter :
- Parmi les quatre candidats retenus par le jury du Goncourt, Jean Baptiste Del Amo n’a que vingt-six ans, pour son premier roman, il est vraiment trop jeune…

Alors là, je reste pantoise… Décidément, on progresse ! Pourquoi faudrait-il que la valeur attende le poids des ans ?

09/11/2008

Fanchette au Bain…

Bien qu’elle ait franchi les multiples étapes de sa maturité, Fanchette a conservé quelques émois de fraîcheur naïve. Du moins c’est ainsi qu’elle préfère considérer les quelques inhibitions, résidu de timidité viscérale, que le cours des vicissitudes usuelles n’a pas réussi à gommer.

Voici donc notre quinquagénaire de passage à Paris, où elle a un rendez-vous. Fanchette a résolu de s’occuper d’elle-même en s’offrant Un Soin. Vous allez vous moquer, je vous imagine bien, caustiques comme vous savez l’être, devant votre écran, vous les actives trentenaires nourries de diversité citadine, les quadra vaccinées aux opportunités commerciales. Mais Fanchette, qui pourrait être votre mère, a dû houspiller ses habitudes pour quitter sa province lointaine et venir gaspiller quelques jours dans les remous de la grande cité, loin de ses collines verdoyantes et ensoleillées.

Elle a pourtant essayé de faire une valise légère, mais le sac à roulettes qui tire sur ses bras rend la descente des escalators un brin hasardeuse. Aussi elle se sent vite en nage, moite et rouge comme elle se déteste, mais elle se refuse à l’agacement et observe les visages renfrognés des voyageurs qui l’accompagnent sous terre. Elle se figure d’ailleurs un peu l’OVNI du wagon, sur cette rame nouvelle qui file entre la gare de Lyon et le cœur de la capitale. Il lui faut un moment pour reconnaître l’enchevêtrement des couloirs et des plans qui mènent aux différentes lignes. Quand enfin elle émerge sur la place Malesherbes, les nuages bas accrochés aux ramures des marronniers la surprennent. Comme si l’écran de ses lunettes était passé en 16/9ème, élargissant la perspective au détriment du ciel. À son insu, sa silhouette prend la mesure du couvercle et se tasse vers le trottoir. La marchande du kiosque à journaux n’est guère amène pour cette provinciale entravée qui n’achète rien et elle économise ses renseignements, se contentant d’un mouvement de tête pour orienter la quémandeuse dans la bonne direction.
- Sympa ce quartier soupire in petto notre voyageuse.

La porte de l’Hôtel Hilton se présente comme un majestueux carrousel qui se meut automatiquement dès qu’elle s’insinue sur le quart de cercle délimité par les vitres. Il lui semble qu’elle glisse jusqu’au centre du hall immense, poussée par une douce main invisible. Son regard embrasse la scène, ou plutôt les différents espaces, elle reconnaît le comptoir des concierges, un bureau discret en recoin, deux salons différents aux fauteuils confortables et chatoyants, rouges et mauves. Quelques panneaux indiquent différents services, rien ne l’aide pourtant à identifier le Spa qu’elle recherche. Toujours gênée par sa monstrueuse valise, elle finit par s’enquérir auprès d’un jeune homme tout de noir vêtu, qui s’éclipse derechef à la poursuite du renseignement. Quelques secondes plus tard, il est de retour et l’accompagne jusqu’aux ascenseurs, la libérant d’un aimable message de bonne journée.

Fanchette recouvre un peu d’assurance. Finalement, jusque-là, tout se présente bien : elle a même de l’avance, ce qui est confortable pour soulager un peu l’énervement de se sentir si mal à l’aise, ruisselante de nage dans son joli petit tailleur Morgan acheté presque tout exprès pour l’occasion. Poussant la porte battante d’une main, tirant la valise de l’autre, elle se présente en silhouette égyptienne aux employées qui l’attendent dans l‘entrée. Les deux jeunes femmes affichent un sourire identique, dans leur blouse jaune pâle. Aussi jolie et charmante l’une que l’autre, la blonde au type scandinave, la brune au physique asiatique, elles s’expriment toutes deux avec un fort accent, cochent sur un registre la ligne du rendez-vous. La brune, étiquetée Dorha, se lève et contourne le bureau pour s’emparer arbitrairement de la valise et guider la cliente intimidée vers un long couloir carrelé, ponctué de portes à hublots. Dans un français haché, elle explique à Fanchette que la porte du fond permet d’accéder au Jacuzzi et aux cabines sauna, s’inquiétant du port d’un maillot de bain que celle-ci est soulagée d’avoir glissé au dernier moment dans le vaste sac à main qui complète sa panoplie de voyageuse. Puis Dorha opère un savant demi-tour pour remonter jusqu’à une des portes latérales, marquée vestiaire 2, ouvrant sur une pièce divisée en trois secteurs : en face, un plan à double vasque séparées par un monticule de serviettes mousseuses, des flacons géants de produits, quelques étagères contenant du linge.
À droite, une entrée mène aux toilettes,aussi vastes qu’une salle de bain.
À gauche, le vestiaire porte bien son nom, évoquant les installations de n’importe quelle salle de gymnastique : un banc de bois latté séparant d’un côté deux douches fermées par des portes de verre, de l’autre des placards de consigne, emboîtés les uns aux autres, munis de leur serrure individuelle. Fanchette reçoit la clef de celui qui lui est dévolu, navrée de constater que sa valise n’y entrera pas. Tout juste pourra-t-elle y pousser son cabas-sac-à-main, en tassant un peu. Mais dans un tel endroit, qui viendrait voler quoi que ce soit ?

Restée seule, Fanchette entreprend de répondre aux consignes de Dorha, du moins à ce qu’elle en a compris, tant la prononciation de la jeune femme laisse place à une large interprétation. Elle n’a besoin que de quelques minutes pour enlever et ranger ses effets, arpenter trois fois l’espace, regarder les étiquettes des produits, s’inquiéter de prendre une douche, ce qui signifie quand même se glisser nue derrière ces portes transparentes. Le calme souverain de l’endroit, l’impression d’y avoir été oubliée l’emportent sur ses hésitations et Fanchette se décide d’un coup, appréciant le soulagement de se délester de ses sueurs inopportunes.

Dorha passe enfin la tête par la porte et manifeste son étonnement de ne pas avoir trouvé sa cliente dans les délices du Jacuzzi. Fanchette comprend qu’elle n’a pas suivi le protocole et s’en navre, mais Dorha la rassure, elle pourra profiter plus tard de ces services, et la voilà qui introduit Fanchette dans une nouvelle pièce très sombre. Au fond, derrière une rangée de bougies allumées, elle distingue une vasque sur un plan chargé également de flacons. À droite de la vasque, un meuble roulant porte également de nombreux pots et bouteilles de toutes tailles. Au centre de la chambre étroite s’étend une table rectangulaire, tendue de serviettes moelleuses. Un espace à été aménagé dans le plan de la table pour permettre le passage du nez comme le mime Dorha, que Fanchette commence à mieux comprendre… Tandis qu'elle s'habitue autant à la demi-obscurité qu'à la prononciation de la jeune femme, elle perçoit le paquet que lui tend la jolie masseuse : un string jetable, à enfiler avant de s’allonger sur la table centrale. À cet instant, Fanchette se sent très à l’aise, elle a complètement oublié toutes ses timidités et inhibitions qui l’ont si longtemps freinée. Elle se laisse tout simplement guider, décontractée, décidée à profiter au mieux du moment. Dorha opère en silence, après lui avoir proposé un produit odorant que Fanchette accepte bien volontiers. Quelque part dans le noir, des hauts parleurs diffusent de manière assourdie une musique exotique « japonisante », rythmée de sons aigus évoquant le choc de bambous, de mélopée lointaine à capella, de flûte de pan trahissant le souffle humain… Une torpeur maligne s’installe dans ses reins, et Fanchette se dit qu’elle doit réagir sous peine de sombrer dans une sieste incongrue, entre les mains de cette inconnue.
C’est ainsi que Fanchette apprend que Dorha est Balinaise, qu’elle vit en France depuis cinq ans mais que « c’est dur de s’habituer » malgré l’amour de son mari, parce que ce monde-ci est si différent : « pas beau toujours le ciel…, pas manger comme aime…, pas gentil se parler dans la rue, avec trop escaliers pour métro… «
Eh bien, Douce France, que fais-tu pour aider tes invitées à s’adapter ?
Dorha poursuit sa tâche, lentement, elle explore chaque parcelle du corps de Fanchette, roulant au fur et à mesure la vaste serviette qu’elle a disposée pour recouvrir le corps de sa patiente, ne parlant que pour répondre aux questions posées, à mi-voix, sans hésitation mais sans chercher à prolonger la conversation. Du cou aux fesses chaque centimètre de peau est enduit d’essence grasse et parfumée, palpé, roulé, caressé, recouvert… Puis la masseuse s’intéresse aux pieds, sépare les orteils, massant chacun d’eux, la plante des pieds, elle remonte ensuite le long des jambes, des cuisses, c’est délicieux, humm…, enfin, elle demande à Fanchette de se retourner afin d’entreprendre la face B… Les paupières lourdes, Fanchette accomplit la rotation demandée avec un effort, tant elle se sent éthérée, elle doit mobiliser sa volonté pour obéir à la demande courtoise de sa tortionnaire … À nouveau, les mains expertes entreprennent de parcourir l’étendue charnelle de ses mouvements relaxants, insistant sur les muscles autour du cou, frôlant habilement les seins d’un palper rapide et superficiel, chorégraphiant un ballet vaporeux sur son abdomen, reprenant comme une vieille antienne la friction du derme des cuisses… Cette fois, Fanchette se laisse manipuler sans vergogne, acceptant voluptueusement l’abandon qui la gagne…


Revenant à elle-même sur l’invitation de la sybaritique soigneuse, Fanchette saisit l’invitation pressante de Dorha à user du Sauna et des services annexes… Définitivement débarrassée de ses complexes, elle revêt alors le maillot de bain extirpé du bagage à main, grimaçant à la désagréable sensation provoquée par le collage du tissu sur sa peau encore huilée. Elle a bien eu un mouvement vers la douche cachée dans la salle de massage, mais Dorha l’a dissuadée en hochant sa gracieuse figure :
- Non, Sauna plus efficace sur peau avec essence…
- Ah bon.… Mais Fanchette se sent à nouveau poisseuse et le contact du peignoir que l’onguent plaque sur sa peau annule le bien-être antérieur.
La porte de la première cabine laisse filtrer plusieurs bruits de voix féminines. Fanchette, version glue, ne se sent plus l’humeur sociable et décide de se retrancher dans la seconde cabine au silence prometteur. Juste devant la porte d’accès, un cadre de bois délimite un plateau sur lequel de gros galets rougeoient. Latéralement, une banquette de lattes nues invite à s’asseoir tout près du foyer, tandis que le troisième mur de la petite cabine est occupé de deux autres couches en gradin. Pour le moment, Fanchette est ravie de sa solitude, d’autant que la chaleur intense qui émane des cailloux incandescents libère une abondante vague de sudation.
- Beurk, soupire notre exploratrice, c’était bien la peine, je suis en train de tartiner mon maillot avec cette mayonnaise !
Considérant l’épais silence qui colmate l’atmosphère du réduit, Fanchette se dit qu’elle quitterait bien ce voile de fibres acétates pour limiter la sensation de cuisson à l’huile. Ni une ni deux, je suis seule, ça peut gêner qui ? Hop !, elle fait glisser le maillot une pièce à ses pieds et se réinstalle sur la serviette- éponge dont elle a recouvert la banquette. Elle finit par s’allonger totalement, maugréant un peu contre la rudesse du support et l’absence de coussin pour caler sa tête.
C’est alors que son esprit la visualise dans sa position, telle qu’elle est couchée, nue, pubis à l’air et ventre offert, une alarme retentit dans sa tête :
- Il n’y a pas de loquet sur la porte, n’importe qui peut…
En un quart de tour, la voilà enveloppée dans l’éponge de sa couche, le maillot rejeté à côté. Il était temps ! À peine venait-elle de glisser le petit coin supérieur d’étoffe contre la peau de son sein droit que la porte s’ouvre brusquement et qu’entre un homme ruisselant de la tête aux pieds, à la nudité normalement protégée par un caleçon de bain…
Impossible pour Fanchette de rougir plus qu’elle ne l’est… Elle bafouille après un bonjour tremblotant :
- Euh, je ne savais pas, enfin, est-ce que cette cabine est réservée aux hommes ?
- Sorry, I don’t understand, répond courtoisement l’intrus.
- Oh yes, I mean, I did’ nt know that this cabin was reserved for men …
L’inconnu entreprend d’expliquer qu’à sa connaissance, il n’y a pas de distinction de sexes dans l’usage des saunas, avant de se lancer dans une suite de compliments sur la chance d’être française, « car votre civilisation repose sur une véritable histoire, alors que nous à Dubaï, nous ne sommes rien, que des bergers et des nomades sans passé ni architecture… »
Fanchette est tellement soulagée par la tournure de l’aventure qu’elle lutte désespérément contre le fou rire qui remonte de son ventre vers sa glotte et elle saisit à pleins rameaux la perche tendue pour s’extasier poliment et décemment à son tour sur les exploits des bâtisseurs modernes qui offrent à Dubaï une renommée internationale…
S’appliquer à choisir ses mots en anglais sauve la face de notre héroïne. De temps à autre, le fragile nœud de la serviette se relâche, et il lui faut une véritable maîtrise d’elle-même pour glisser les doigts dans l’épaisseur de l’éponge et resserrer le tissu félon sans perdre son interlocuteur des yeux et poursuivre cet échange diplomatique sur les valeurs respectives des deux civilisations. Le temps passe, Fanchette est enfermée dans l’antichambre de l’enfer depuis un bon moment, et ne voit plus très bien comment rompre là l’échange roboratif de courtoisies, afin d’effectuer une sortie digne sans dévoiler qu’elle ne porte rien sous sa serviette. Heureusement, le sort est indulgent pour elle en ce vendredi, et la porte s’ouvre à nouveau pour laisser entrer un second client du prestigieux hôtel. Le nouveau venu se glisse illico dans la conversation, lui vient de Dublin et la vieille Europe il connaît bien, il connaît également le monde arabe, fréquentant Riad et les Saoudiens…
- Ouf ! songe rapidement notre évadée campagnarde, voilà l’instant propice !
Ramassant promptement le petit chiffon de nylon noir qui gît au fond de la banquette, elle formule un petit discours d’évasion :
- Whew! It’s enough for me, I am very pleased to have met you. I hope you will enjoy your staying in Paris .…
Les mots ont à peine le temps de franchir ses lèvres qu’elle pousse déjà la porte fatale et rejoint l’atmosphère humide de la salle au jacuzzi. Les spasmes de rire nerveux qu’elle est parvenue à contenir retrouve le chemin de la sortie quand, hilare, elle se glisse dans la cabine de douche attenante.

Fanchette au bain… Fanchette se dévergonde… Fanchette l’exhibitionniste de l’hôtel Hilton a encore frappé… Fanchette à la conquête des mœurs de la Capitale, quelle expérience !!!




04/11/2008

Trois petits tours et s'en reviennent…

Cette semaine parisienne est passée si vite, si riche de bons moments et de tendresse…

J’ai devancé GéO de quelques jours pour cocooner un peu, retrouver ma nichée en célibataire. Ce voyage s’est révélé instructif à plus d’un égard, je vous prépare une décoction à ma façon.
Entre ma Douce et mon Aurel, nous nous sommes offert quelques doux moments, régalades de fous rires à garder en mémoire. L’avantage de voir grandir ses enfants, c’est qu’à un certain niveau de relation, ils vous considèrent facilement comme la tête de turc, et vous devenez la cible favorite de leurs taquineries. Ce qui, à tout prendre, montre qu’on existe bel et bien et qu’on tient une place singulière dans leur environnement. L’inconvénient d’habiter loin d’eux entraîne une certaine nostalgie qui se compense par la densité des échanges quand nous nous retrouvons. J’aime ces confidences croisées au matin, autour de la séance de manucure, ou l’hilarité d’Aurélien tentant vainement de m’apprendre à piloter, à l’aide d’un stick, un bolide bondissant dans les rues virtuelles d’un circuit. Heureusement qu’à l’écran, la voiture est incassable, il y avait de quoi mobiliser tous les services d’urgence des hôpitaux londoniens !

Autre Grand Moment, la journée passée en compagnie de John et Jean-Claude.
Nous avions programmé le grand palais et L’exposition Picasso et ses maîtres. Naturellement, quinze jours à l’avance, il n’y avait plus moyen d’obtenir les billets coupe fil et nous nous sommes retrouvés le long du serpentin de queue. Mazette ! La chance veut que nous ayons toujours quelques sujets de conversation pour occulter les trois heures d’attente nécessaires pour accéder enfin au guichet d’entrée. Dans la file, les esprits s’échauffaient tout de même et des applaudissements « bon enfant » marquant la fin des deux heures consenties au départ, le ton est monté nettement au cours du dernier tiers, soit une heure pour parcourir dix mètres environ. Eh oui, quand vous êtes si près du but, la marche d’accès au perron du bâtiment si proche semble narguer ceux qui patientent… de moins en moins. Une brave dame dernière nous s’est mis à crier de plus en plus fort, réclamant « plus de démocratie dans l’accès à la culture », s’offusquant sans doute que quelques privilégiés entrés avant nous demeurent si longtemps en extase devant les toiles des Maîtres, bloquant l’accès aux visiteurs suivants…
L’exposition enfin offerte à nos yeux, nous nous sommes égaillés dans les salles combles. Le concept consiste à mettre en parallèle les toiles qui ont stimulé et inspiré le travail de Picasso, de son enfance à son grand âge, et l’on conçoit bien ce travail incessamment mis et remis en place, alors même que l’artiste cherche une voie d’expression différente, la technique et l’inspiration réalisent un aller-retour permanent. Picasso ne renie jamais ses prédécesseurs, il cherche une autre forme. Le fond constitué est richissime, de Zurbaran au Greco (son saint Martin) , Goya évidemment, mais aussi, à ma surprise, deux petits Cranach, Manet, Nicolas Poussin, Ingres, Cézanne, vous pourriez me reprocher de ne pas tous les citer, Delacroix et son célébrissime autoportrait, où l’on mesure le cheminement de Picasso sur deux de ses autoportraits 1901 et 1906, l’approche est intéressante. Bref, égoïstement, nous avons consacré deux larges heures du précieux temps de ceux qui faisaient la queue à contempler toutes les œuvres présentées, à en déguster avec délectation la substantifique moelle, à en boire l’intrinsèque essence jusqu’à plus soif… Mais nous avions tout de même faim… Mes amis m’ont alors invitée à satisfaire cette faim charnelle grâce aux bienfaits de l’omelette aux cèpes, concoctée amicalement par le patron du Sancerre en plein après-midi… Il n’y a décidément qu’à Paris que de telles omelettes se préparent : nos assiettes étaient recouvertes d’un dôme de cèpes de Bordeaux, à l’arôme et la saveur inégalée, à croire qu’il les avait cueillis à l’instant, dans le sous-bois du champ de Mars !

Bref, vous pouvez en juger, de Superbes Grands Moments.

Mais il m’a bien fallu interrompre ce douillet séjour chez ma Douce, et retrouver mon GéO, si généreux de m’avoir prêtée ainsi à mes enfants. J’avais oublié ce que l’expression temps-de-Toussaint veut dire… Rude rappel aux considérations d’un temps révolu… Ce mercredi-là, la température du ciel seine et marnais a refusé de monter plus haut que 3°. Malgré les indispensables allées et venues dans les locaux de Chanteloup, nous étions frigorifiés et bien heureux du feu de bois préparé par André et Éliane à Santeny. Une chaude et chaleureuse soirée, comme toujours, où nous avons fait la connaissance de leurs deux charmantes pensionnaires. Paloma est une adorable petite fille de deux ans, qui a bien vite surmonté sa timidité. Quant à DEAL, que nous avons plus ou moins secrètement promis à Copain, la mignonne est encore un peu agitée, il faudra remettre le moment de convoler, attendre que sa fièvre adolescente passe et offre quelques répits pour apprécier les caresses.

Vous dire que notre petit peuple nous attendait avec impatience est un euphémisme. Inutile de les cantonner derrière la grille à notre retour. On se serait cru à l’Olympia un soir de concert à la belle époque de Johnny ! Après les grandes démonstrations de joie est venue l’heure du bilan… GéO n’étant parti que quatre jours, comment Copain a-t-il pu saccager autant de lampes solaires, de toile verte, de tuyaux d’arrosage, de… J’arrête l’inventaire, on va encore se fâcher tout rouge, piquer une colère noire, lui faire une peur bleue… Arc-en-Ciel de sentiments, que sa langue toute rose a tôt fait de tempérer.

14/10/2008

Au cirque

Petit reportage consacré cette fois au quotidien du pensionnaire équilibriste.

En effet, notre Copain progresse hardiment dans la découverte de ses multiples dons.
La semaine dernière l'animal a jugé utile de s'introduire dans l'espace piscine, pourtant toujours fermé, malgré la bâche d'hivernage que j'imaginais suffisamment protectrice. Que nenni! Profitant de mon absence, GéO lisait tranquillement sur la terrasse, d'où l'on a un petit angle de vue sur la piscine, derrière l'arche des cyprès. Allez savoir pourquoi, son regard est tout à coup attiré par une impression de remous et de vagues sur la matière bleue, habituellement rigide. Intrigué, notre GéO lache son magazine et s'avance vers le phénomène, redoutant un brusque Tsunami au fond de l'onde enfermée. Au détour des cyprès, son regard capte l'étendue du bassin.
Qui trônait au milieu de la belle bâche? Indifférent aux mouvements qu'il provoquait sur ce trampoling improvisé, notre Copain y avait emmené la fameuse baballe rouge, et , profitant de la flaque centrale due aux intempéries de la semaine passée,s'efforçait de recréer les exercices estivaux de noyade- sauvetage du précieux objet. je vous laisse à penser et imaginer la série harmonieuse d'imprécations que l'expérience a déclenchée… "Regarde Ton chien……"

Tenace et guère découragé par l'incompréhension que rencontrent ses efforts d' apprenti jongleur, Copain reproduit les conditions nécessaires de trempage de la boule caoutchoutée dans la cuvette- abreuvoir qui reste à leur disposition… Nouvelle réprimande du Maître, qui n'admet pas que la dite baballe enrobée de terre mouillée souille le récipient et oblige à renouveler l'eau trois fois par jour!

Cet après-midi, notre pause café sur la terrasse a donné lieu, comme d'habitude aux "lancer-rapporter" de l'objet, ou ce qui en reste. Comme une vieille pelure d'orange rouge, fendue sur les trois-quarts de sa circonférence, la baballe se prête encore au jeu, mais elle rebondit nettement moins bien… Il faudra songer à lui trouver une remplaçante.
Un lancer malheureux du maître envoie l'objet dans les bambous. Les astuces du Copain sont si drôles que je ne résiste pas à l'envie de monter chercher l'appareil… Voici donc les témoins de l'expérience suivante.

Copain chien de cirque, il a de l'avenir ce petit…

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13/10/2008

L'empire des Larmes

Je reviens un instant sur une des lectures de l’été, une parenthèse Saga, plaisir lyrique qu’il faut savoir savourer à son heure…

Il s'agit d'un ouvrage en deux volumes, regroupés sous le titre commun de L’Empire des Larmes.
Cet empire, au sens propre c’est celui du Milieu, la Chine du XIXe siècle, où l’auteur José Frèches nous emmène à la découverte de la colonisation économique du pays par un autre empire, celui de la Couronne Britannique. En considérant la seconde partie du titre, le lecteur prendra la mesure des ravages engendrés par l’asservissement des chinois à une oppression d'un genre très particulier...
l’impérialisme britannique passe par l’introduction massive de l’opium sur le territoire chinois, en provenance des Indes le plus souvent, et revendu massivement à un peuple misérable, dans une Chine ravagée par la corruption et la déliquescence du régime impérial. L’action se déroule sur presque trente ans, c’est le principe d’une Saga, et nous permet de suivre les destinés de personnages très divers.

Le premier tome de l'ouvrage, la guerre de l'opium, commence en 1847 et dresse le tableau de cette page d'Histoire. La première intrigue se noue autour d'une famille anglaise expatriée en Chine pour faire fortune dans le commerce de pianos, et se venger d’un sort difficile. Mais l’Eldorado s’avère pourri et les chinois définitivement imperméables à la musique occidentale. Premier fil à dévider, nous suivons la descente aux enfers de cette famille, la mort du père, la contrition de la mère et son ultime sacrifice, le courage et la vertu de la fille Laura, qui prend en charge son frère trisomique en dépit des difficultés où la fratrie se trouve engluée. C’est le destin de Laura qui dévide la pelote, en rencontrant La Pierre de Lune, fils caché de l’Empereur Mandchou Daoguang. Le jeune homme est menacé de mort par de cupides conseillers mais ignore le péril qui le guette. La Pierre de Lune et Laura s’aiment et leur lien dessine la trajectoire de l’intrigue : bien sûr leur amour est contrarié, les amants se perdent et se cherchent jusqu’au dénouement du second volet. En parallèle se noue une autre idylle hors norme, celle du Prince Tang avec une jeune paysanne contorsionniste qu’il sauve du Gynécée impérial. D’abord rallié au pouvoir par confort, ce personnage change son système de valeurs en rencontrant l’Amour en la personne de Jasmin Éthéré, se déclare félon au pouvoir et entre en résistance. Mais pas plus que la jeune Anglaise et le Bâtard Impérial, le prince ne pourra conserver près de lui sa paysanne. Car ces amours-là reposent sur des mésalliances, la pureté de leurs liens s’affranchit des tabous victoriens et impériaux, sur fond d’évangélisation forcée, de manipulations politiques, de détournements d’objets précieux. José Frèches observe un schéma romanesque assez classique : ses personnages « purs » évoluent parmi les représentants de la lie morale. Le portrait de l’Angleterre victorienne est peu flatteur : à travers la Compagnie des Indes et les corporations marchandes, les représentants diplomatiques de la Couronne, les ordres religieux plus affidés aux trafics de Biens qu’à la transmission de leur foi, l’Europe civilisée apparaît plus dépravée encore que le pouvoir impérial chinois, pourtant roulé dans la fange de la décadence absolue. Isolé de tous et tout, l’empereur n’est plus que la marionnette de ses conseillers cupides qui s’affrontent par clans. Au point de ne plus se souvenir d’avoir abandonné son fils…

Le second volet de l’ouvrage, le sac du palais d’été, nous permet de suivre les épisodes d’une guerre interne, la rébellion contre le pouvoir Mandchou menée par Hong, un curieux illuminé passé par la case évangélisation avant de s’investir en Christ rédempteur. Dans ce contexte de guerre civile Laura se retrouve mêlée à ce groupe de partisan qui la protège plus ou moins, elle, son frère débile et l’enfant qu’elle a eu de La Pierre de Lune. Tandis que les péripéties des combats se succèdent, le destin du fils caché de l'Empereur connaît de sinistres rebondissements, sa mère,concubine "libre", réapparaît pour le sauver, mais elle meurt victime des eunuques, qui craignent que cet héritier improbable ne contrecarre leur influence. Violence et passion constituent la toile de fond de ce second roman, folie meurtrière et destructrice, Laura est contrainte de fuir la société des rebelles, rencontre des pirates japonais, manque périr dans un naufrage, tandis que la Pierre de Lune est victime à son tour de brigands rebelles… Voilà pour l'essentiel des péripéties et la menée d'un suspense à rebondissements multiples. Les personnages sont dessinés à grands traits, ils s'apparentent aux archétypes romanesques monoblocs: héroïsme, droiture , félonie ou cupidité . Peu donc de psychologie dans les déchirements que vivent les personnages, mais de nombreuses figures secondaires emblématiques du genre. Du jésuite affairiste au barbare chef de la rébellion, celui-ci étant par ailleurs le personnage secondaire le plus original et le plus fascinant.
Le sac du Palais d’été dessine la fin d’une dynastie, l’achèvement d’une civilisation usée de l’intérieur, ce qui l’affaiblit contre les dangers venus d’ailleurs. Rongé de misère, miné par l’opium et la veulerie, courbé sous les caprices de la corruption, L’Empire du Milieu sombre sous les coups de l’autre Empire, celui des Britanniques représentant un monde tout aussi sournois, cupide et vain. José Frèches construit de ces deux sociétés un portrait cruel qui nous éclaire peut-être sur le fossé qui persiste entre Asie et Occident.

José Frèches a écrit d’autres ouvrages sur la Chine et son histoire, ce roman, manifestement très documenté, apporte un éclairage particulier sur un pan de notre propre passé, guère glorieux. Voilà un intérêt qui n’est pas des moindres. La Saga romanesque convient à merveille aux séances de lecture cocoonage, petite gourmandise que les soirées fraîchissantes autorisent autant que les siestes- lecture à l’ombre de la piscine… Ne boudons pas ce plaisir.

L'empire des Larmes, de José Frèches , tome 1: la guerre de l'opium, tome 2: le sac du palais d'été, édition XO, année 2006.
Lien avec le site de l'auteur pour apprécier sa culture asiatique:http://www.josefreches.com/ouvrages.php